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Métropoles (CMP)

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous parvenons au terme de l’examen de ce texte qui engage une mutation profonde et radicale de l’organisation des territoires. Ce bouleversement ébranle la nature même des relations des citoyens à leur espace et remet en cause des territorialités façonnées par notre histoire, et qui structurent la citoyenneté. En portant atteinte à l’unicité de traitement républicaine, il ouvre la porte au démantèlement du territoire national.
En effet, ce texte ouvre la voie à la déstabilisation de nos administrations locales, à l’effacement des départements, des communes et de leurs coopérations intercommunales, au profit d’une conception recentralisatrice des régions et des métropoles, initiée par la réforme de décembre 2010.
Ce faisant, votre réforme foule aux pieds les besoins et les préoccupations des élus locaux, pourtant clairement exprimés lors des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat en octobre 2012. Rappelons qu’à cette occasion, plus de 20 000 élus locaux, souvent très critiques envers la réforme de 2010, ont réaffirmé leur attachement à la commune, la nécessité de respecter chaque niveau de collectivité et d’évaluer les différentes lois de décentralisation avant de procéder à toute nouvelle réforme.
Sur la forme, le découpage de l’« acte III » de la décentralisation en trois parties distinctes et le calendrier retenu pour l’examen de cette réforme sont révélateurs. En décidant d’examiner d’abord la partie consacrée aux métropoles, vous avez pris les choses à l’envers. Il aurait été en effet plus cohérent de commencer par les fondations, c’est-à-dire la commune, ce qui aurait permis de rappeler sa place absolument essentielle dans notre organisation territoriale. Or vous avez préféré partir d’en haut, de l’affirmation de métropoles qui vont en quelque sorte chapeauter la République. La démarche choisie est claire : il s’agit de concentrer les pouvoirs locaux et d’éloigner les citoyens des lieux de décision.
Ce premier volet de la réforme consacre donc l’abandon d’une conception de la décentralisation fondée sur les dynamiques locales et sur le principe d’égalité des territoires, d’une conception coopérative entre les communes, leurs intercommunalités, les départements et les régions.
Il privilégie au contraire une conception centralisatrice des communautés urbaines et des métropoles, qui va contribuer à éloigner encore plus les citoyens des lieux de décision pour mieux les inscrire dans une mondialisation à la fois uniforme, stéréotypée et financiarisée.
Par ailleurs, pour mieux intégrer le fait métropolitain, ce projet de loi passe du choix volontaire à l’application automatique du statut de métropole, dès lors que les conditions légales sont réunies.
Seront ainsi automatiquement transformés en une métropole les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui forment, à la date de sa création, un ensemble de plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine de plus de 650 000 habitants.
Concernant la répartition des compétences, l’opposition entre l’habilitation générale de la collectivité à prendre en charge l’intérêt public local et le principe de spécialité qui caractérise traditionnellement les EPCI est remise en cause par le renforcement des compétences et du rôle des métropoles. En effet, celles-ci élargissent leurs compétences de nature communale, gardent les principales compétences départementales, et acquièrent en outre des compétences régionales par convention.
Les marges de manœuvre qu’offrent ces compétences obligatoires ou facultatives sont telles que la question de la clause de compétence générale restituée aux régions et aux départements n’a plus qu’un intérêt marginal, dès lors qu’existe une métropole sur le territoire régional.
En réalité, ce texte apparaît bien comme un projet de recentralisation antidémocratique et non, hélas, comme une nouvelle étape de décentralisation.
Votre projet de métropole du Grand Paris en est une parfaite illustration. Alors que l’intercommunalité avançait, vous balayez d’un revers de main les dix-neuf EPCI de la petite couronne et, avec elles, le long travail de coopération entre les villes qui commençait à faire émerger de véritables dynamiques de territoire, tellement nécessaires pour une métropole solidaire, polycentrique et attractive.
En passant en force contre l’avis d’une majorité d’élus locaux qui souhaitent en finir avec le statu quo et être partie prenante d’une dynamique métropolitaine ambitieuse, vous prenez le risque de démolir le patient travail entrepris depuis plusieurs années, notamment au sein de Paris Métropole, pour une prise en compte par tous de leurs responsabilités dans les défis communs pour une métropole attractive et solidaire.
Avec ce chamboulement institutionnel, dont le meccano comporte plus que des zones d’ombre, les grands projets en cours d’élaboration par les intercommunalités risquent d’être purement et simplement gelés pendant plusieurs années, au détriment du développement de l’Île-de-France, de l’urgence de la création de logements et du développement de l’emploi.
Votre conception de la métropole du Grand Paris, dont le périmètre crée une nouvelle frontière dans l’Île-de-France, n’apportera aucune réponse aux problèmes des Franciliens. Rien n’est prévu pour lutter réellement contre les terribles inégalités entre les territoires. Les dispositions concernant la solidarité financière entre les départements, insuffisantes au demeurant, ont été renvoyées en loi de finances, ce qui démontre au passage qu’il n’est pas besoin de votre conception de la métropole pour renforcer la péréquation.
Pour notre part, nous considérons toujours que la métropole du Grand Paris doit se construire dans une démarche ascendante, dans le respect des dynamiques de territoires existantes et potentielles. Les contrats de développement territoriaux font ainsi la démonstration du potentiel de la méthode coopérative et contractuelle, et cela à partir de la coopération des communes et de leurs regroupements.
De même, la mise en place de la métropole Aix-Marseille-Provence, témoigne du caractère antidémocratique et autoritaire de votre démarche métropolitaine. En refusant en première lecture tout amendement à l’article 30, qui instituait cette métropole, vous avez ajouté un déni de démocratie à un texte qui en compte déjà beaucoup.
Rappelons que 109 maires sur 119, cinq présidents d’EPCI sur six et sept sénateurs sur huit sont contre l’instauration à marche forcée de cette métropole. Ils ont formulé des propositions alternatives équilibrées qui ont été balayées d’un revers de main.
En résumé, en Île-de-France, à Lyon, à Marseille, la métropole centrale deviendra le seul lieu de pouvoir et de décision. Les communautés d’agglomération et de communes, construites sur des projets et des dynamiques de territoire, lieux d’innovation et d’expérimentation, seront balayées. La commune, reconnue par la République comme le lieu fondamental de la démocratie, sera vidée de ses compétences et dépérira. C’est la fin des maires bâtisseurs, élus sur des projets forts qui valorisent leur territoire.
Nous contestons l’organisation territoriale que cette réforme dessine et nous récusons, de manière globale, la démarche engagée. Comme l’a souligné mon collègue Marc Dolez en deuxième lecture, la discussion a permis sur plusieurs points de mieux mettre en perspective ce qui nous est proposé.
Trois points méritent d’être cités à titre d’exemple. Premièrement, avoir fait sauter le verrou du référendum pour la fusion des régions laisse augurer, à terme, un remodelage de la carte régionale, avec la constitution de grandes régions à l’échelle européenne.
Deuxièmement, le rapport que le Gouvernement s’est engagé à remettre sur les effets de la possible suppression des départements de la petite couronne montre que la disparition des départements constitue bel et bien une perspective.
Enfin, le souhait, émis lors des débats par Mme la ministre, d’un projet de loi électoral permettant, en 2017, d’élire les métropoles au suffrage universel direct, ferait de ces dernières des collectivités territoriales à part entière, dans une organisation tout à fait différente de celle d’aujourd’hui, avec de grandes régions, de grandes métropoles, des communes et départements mis à mal et un État quasi inexistant.
Je le répète, nous réfutons l’organisation territoriale que cette réforme dessine et récusons la démarche engagée. Dans ces conditions, vous ne vous étonnerez pas que notre groupe vote résolument contre ce projet de loi.

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Jacqueline
Fraysse

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