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Discussions générales

Modernisation de la presse

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voici au terme de la discussion de la proposition de loi sur la modernisation du secteur de la presse, avec l’examen du texte de la CMP.
Depuis notre première discussion, la presse et sa liberté ont été, de façon dramatique, au cœur des débats. Le : « Nous sommes Charlie » résonne encore dans nos consciences, comme résonne encore le lien étroit entre l’avenir de notre République et celui de cette liberté qui, avec l’égalité et la fraternité, fonde ses valeurs.
Je rappelais en première lecture combien cette liberté de la presse avait marqué l’histoire de notre pays et témoignait de ses heures de gloire comme de ses moments les plus sombres. Nous ne dirons jamais assez, chers collègues, combien l’avenir de la presse dans notre pays n’est pas une question anodine, mais un témoin essentiel de son degré d’émancipation. Personne n’est obligé de lire un journal, mais tout le monde doit être en mesure de lire celui de son choix. Le pluralisme de la presse, la liberté éditoriale, le droit d’investigation des journalistes sont ainsi consubstantiels de l’exercice de la citoyenneté dans notre pays.
Aussi, permettez-moi de saluer à mon tour l’adoption par le Sénat, confirmé par la CMP, de l’amendement « Charb ». Dès le mois de novembre, le directeur de Charlie Hebdo m’avait alertée sur la nécessité de remédier à une discrimination frappant certains organes de presse quant à leur droit de bénéficier de dons ouvrant droit à déductions fiscales. Nous n’avions pas pu, ni dans la loi de finances, ni lors de notre première lecture, faire adopter l’amendement proposé par notre groupe. Aujourd’hui, c’est chose faite et c’est une grande satisfaction pour les acteurs des journaux concernés et ceux qui les soutiennent.
Au-delà, le texte issu de la CMP reste insatisfaisant. Certes, et je l’avais noté en première lecture, cette proposition de loi comporte des avancées comme l’homologation des barèmes fixés dans le respect des principes de solidarité qui sont au cœur de la loi Bichet, ou la création des sociétés de presse solidaires. Tout cela est le résultat du travail de notre rapporteur, Michel Françaix, mais nous ne sommes pas au bout.
J’avais dit mon espoir de voir avancer la loi vers des mesures plus ambitieuses, à la hauteur des défis lancés pour la survie et le développement de la presse. Le Sénat a accentué les atteintes au statut de l’AFP, et si la CMP a rétabli ce point, les inquiétudes demeurent.
La réforme des aides à la presse est encore remise. Il était pourtant possible d’intégrer un article de la proposition de loi de 2013, élaborée avec les organisations syndicales, qui les accordaient en priorité aux sociétés de journaux et de publications périodiques de la presse écrite et numérique présentant un caractère d’intérêt général quant à la diffusion de la pensée et qui remplissaient les conditions suivantes : l’instruction, l’éducation, l’information politique et générale.
Aucune nouvelle avancée n’a eu lieu sur la question de la distribution de la presse depuis notre première lecture. Si nous pouvons être satisfaits de voir maintenue, dans l’article 7, la possibilité d’une fusion des différentes messageries, nous en restons là. Pourtant, le problème reste entier et se pose de plus en plus urgemment.
Les mesures prises par la précédente majorité en 2011 menacent toujours l’existence de Presstalis. La coexistence de deux messageries, dont une seule est soumise à des obligations concernant la presse quotidienne, a conduit à ce que des magazines disposant de rentrées publicitaires importantes ne soient pas solidaires de la distribution d’une presse à faibles ressources. Nous savons que l’existence d’une coopérative unique permettrait une réelle mutualisation des moyens, une régulation du système par l’État et donc l’égalité de tous les supports de presse. Voilà qui garantirait le pluralisme en permettant à tous les journaux, quelles que soient leurs ressources financières, d’être distribués y compris sur le dernier kilomètre, et donc lus par celles et ceux qui le souhaitent.
Concernant l’AFP, j’avais fait part des inquiétudes des personnels concernant les dispositions contenues dans cette loi. Les mesures prises risquent de remettre en cause l’unicité de l’Agence et le modèle qu’elle constitue à l’échelle internationale. En effet l’AFP n’a pas d’équivalent, tant par l’étendue de sa couverture générale que par la compétence de sa rédaction et les garanties qu’elle offre en termes de qualité et de pluralité de l’information. L’événement récent autour de Martin Bouygues est l’exception confirmant cette règle, montrant où peuvent conduire la course derrière les chaînes d’info en continu ou la course au scoop.
Monsieur le rapporteur, vous avez qualifié l’AFP d’exception culturelle. Mais faisant droit à la plainte d’une agence allemande, la Commission européenne a décidé de faire passer cette exception culturelle sous les fourches caudines des critères libéraux, dans un secteur où ce n’est pourtant ni le marché, ni la concurrence, mais l’intérêt général qui devrait prévaloir.
C’était l’objectif de la loi de 1957 portant statut de l’AFP. Ce texte, dans un savant dosage, a défini ses missions et garanti son autonomie tout en assurant son financement par l’État. Ce savant dosage est aujourd’hui bousculé par les exigences de la Commission européenne. Le courrier que celle-ci a adressé est d’ailleurs très explicite sur ses motivations liées au dogme de la concurrence libre et non faussée !
Certes, comme l’avait souhaité notre commission, les deux premiers articles de la loi de 1957 qui fondent le statut et les missions de l’AFP ont été préservés, et je m’en félicite. Cependant, la mise en place d’une double comptabilité à l’article 12 vise bien à assurer le plein respect du droit de l’Union européenne en matière de concurrence. Car quelles activités de l’agence ne relèvent pas de l’intérêt général ? À cela s’ajoute la création d’une filiale pour attirer les financements nécessaires à l’AFP, y compris d’origine privée.
Enfin, je regrette vivement que le texte qui est soumis au vote ce soir confirme qu’il est retiré à l’État toute responsabilité envers les créanciers de l’Agence, et réaffirme au contraire dans son article 12 que la responsabilité de l’État ne peut se substituer à celle de l’Agence France-Presse envers ses créanciers.
Aussi, c’est avec le regret de n’avoir pas vu évoluer cette proposition de loi vers des mesures plus ambitieuses que nous confirmons notre abstention exprimée en première lecture. Et vous seriez surprise, madame la ministre, que je termine cette intervention sans faire part de mon souhait de voir arriver le plus vite possible la loi sur la protection des sources !

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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