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Modification élection des membres du Parlement européen

Mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est déconnecté des enjeux démocratiques qui se posent à toute l’Union européenne et à ses États membres. Compte tenu de l’actualité et des exigences démocratiques et anti-technocratiques qui s’expriment dans notre pays– et pas seulement celles toutes de jaune vêtues –, ce texte est, à bien des égards, surréaliste. Sa vocation se limite, comme les précédents orateurs l’ont dit, à harmoniser les procédures nationales, afin d’unifier l’organisation des élections européennes au sein de l’Union. Cet objectif figurait déjà dans le traité de Rome de 1957 ! Il aura fallu du temps et une succession de scrutins européens qui ont tous battu des records d’abstention pour tenter d’atteindre cet objectif.
Élaboré en France en juin dernier, ce texte, une fois ratifié, entrera en vigueur à l’échelle de l’Union européenne. La question de la circonscription unique et les réflexions menées sur la proportionnelle sont importantes aux yeux des députés communistes. Cette décision n’appelle donc que peu d’observations critiques en tant que telles, à l’exception toutefois du problème des seuils. L’instauration d’un résultat minimal pour être élu introduit une sorte de tri sélectif entre les grands et les petits partis. Ces derniers se trouveront exclus, ce qui est extrêmement gênant pour la diversité démocratique. Ce choix, du reste, est tout à fait assumé, puisqu’il est indiqué dans l’exposé des motifs que les seuils visent à « favoriser l’émergence de groupes politiques d’une taille significative afin de faciliter le processus législatif au Parlement européen ».
Tout est dit ! Il s’agit de préserver un entre-soi pour être plus tranquille dans l’enceinte du Parlement, pendant qu’on laisse à la porte ceux dont on estime qu’ils ne sont pas assez représentatifs. Mais le propre de la démocratie n’est-il pas d’assurer une représentation proportionnelle de toute la diversité des opinions ? Au-delà de ces considérations et de cette proposition, à laquelle le groupe de la Gauche démocrate et républicaine va donner son accord, une double question se pose. À quoi sert le Parlement européen, d’abord, et comment faire pour le renforcer ? C’est bien de cela qu’il s’agit, et ce n’est pas un simple toilettage qui répondra aux enjeux actuels.
Depuis que les eurodéputés sont élus au suffrage universel direct, le problème de l’utilité du vote saute visiblement aux yeux des électeurs potentiels et des citoyens. Ils sont de moins en moins nombreux à se déplacer pour choisir leurs représentants à l’échelle européenne. Cette abstention récurrente est symptomatique, en même temps qu’elle affaiblit, de fait, la légitimité démocratique de l’Union européenne. Si nous nous élevons contre ceux qui veulent des « États-Unis d’Europe », parce que cela irait à l’encontre de l’idée d’Union européenne et des valeurs qu’elle est censée incarner, nous ne cautionnerons jamais pour autant une Union technocratique et antidémocratique, si éloignée des attentes et des intérêts des peuples qui la composent.
Cette Union-là, c’est celle qui sert les marchés, au détriment des gens ; celle qui est aux mains des prétendus experts et des comptables ; celle qui fait triompher les logiques de l’argent en rognant les services publics et les protections collectives ; celle qui est sous l’influence des lobbyistes. Nous venons encore d’en avoir la triste démonstration, avec la révélation des Implant files… La Commission européenne a finalement rejeté l’idée de créer une agence publique de certification, qui serait chargée de délivrer les autorisations de mise sur le marché des produits médicaux, notamment des implants et des prothèses. Elle a cédé à la pression des grands groupes privés comme Medtronic, qui font leur business sur le dos des patients et de nos systèmes de protection sociale.
Cette Europe qui jargonne, au point de n’être plus audible par ceux qui ne sont pas du sérail, les peuples européens n’en peuvent plus et n’en veulent plus. Soit on peut attendre que le mouvement des gilets jaunes gagne un jour toute l’Europe, soit on peut se saisir de cette opportunité pour asseoir un nouveau type de représentation européenne et rénover en profondeur ses instances. Comme le proposent Didier Quentin et Sébastien Nadot dans leur rapport sur la refondation démocratique de l’Union européenne, il serait bon d’entreprendre une réforme de l’initiative citoyenne européenne, pour en faire un outil de démocratie participative, qui impliquerait plus directement les Européens dans le fonctionnement des institutions de l’Union européenne.
Cela affaiblirait un peu cette bureaucratie bruxelloise, politiquement toute-puissante – et c’est peu dire. Et cela renforcerait le Parlement, qui est l’une des solutions de sortie de crise que l’Union européenne gagnerait à mettre en œuvre.
Le problème majeur du Parlement est celui de la « codécision ». Ce terme peut faire rêver, et je sais qu’il vous fait rêver, madame la présidente de la commission des affaires étrangères. Ce principe vise à créer un équilibre entre : la Commission, qui est la seule habilitée à proposer des directives et des règlements européens ; le Conseil de l’Union européenne, qui est composé de ministres d’État membres et sans lequel rien ne peut être adopté ; le Parlement, enfin, qui ne peut amender que ce que lui soumet la commission – c’est assez limité !
Ainsi, le rôle du Parlement européen est tourné vers la négociation de ses amendements pour obtenir le consensus avec le Conseil et la Commission. Pendant ce temps, les peuples sont oubliés. Nous devons rompre avec ce déséquilibre et commencer par couper court à l’opacité des réunions bruxelloise : le huis clos a bon dos et, quand les responsables politiques reviennent dans leurs pays, il leur est facile de dire que ce n’est pas leur faute. Mais qui sait ce qu’ils ont dit autour de la table des négociations, à Bruxelles ?
À ce titre, je soutiens la proposition que notre collègue Sabine Thillaye a formulée dans son rapport d’information sur le rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel européen. Elle propose d’améliorer le contrôle des gouvernements au sein du Conseil en publiant systématiquement un compte rendu écrit des négociations et des prises de position des gouvernements : ce serait un premier pas. Ce système est d’ailleurs renforcé par le fait que la répartition des eurodéputés est faite en fonction de la taille de la population. Cela donne un avantage considérable aux grands partis des grands pays.
C’est pourquoi il est extrêmement important que les résultats des élections européennes dans notre État soient basés sur la diversité des courants de pensée des Français. Sans cela, c’est la frustration et le sentiment d’abandon qui domineront, car les coalitions portent en elles les germes de la compromission, voire de la confusion. Il faut des députés capables de tenir tête à la Commission, et non des députés inféodés à de grands partis, cherchant à se partager un pouvoir, d’ailleurs bien dérisoire en comparaison de celui de la Commission.
Bien évidemment, c’est cet immobilisme et cette opacité des décisions qui ont nourri ce profond sentiment de défiance des peuples européens dans les institutions de l’Union européenne. Ce qui est clair, c’est que depuis le référendum volé aux Français et aux Néerlandais de 2005, l’Union européenne a du plomb dans l’aile, et à juste titre. Ce scepticisme ne sort pas de nulle part, et la campagne du référendum sur la sortie du Royaume-Uni en 2016 a elle aussi été l’occasion de voir à quel point l’Union européenne – cette Union européenne-là – est rejetée. La raison principale de ce rejet est le carcan budgétaire imposé aux États membres. Cette décision de règle d’or budgétaire bloque depuis plus de dix ans toute tentative de mener une politique économique alternative.
En se privant des outils de relance économique utilisés depuis très longtemps en Europe, les gouvernants ne pensent plus qu’à travers le prisme de la dette. « La dette ! La dette ! La dette ! ». Cela me rappelle le poumon.
Nous y sommes aujourd’hui asservis sans possibilité de nous en sortir autrement qu’en payant. Pourtant, la dette a une vertu : elle permet de relancer l’économie, de mener de lourds chantiers pour l’avenir, comme la transition écologique ou la transition sociale que nous appelons de nos voeux. C’est particulièrement vrai lorsque l’on est à la croisée des chemins, ce qui est le cas de la protection climatique. Hélas, elle a également un vice, celui de satisfaire les appétits du monde financier, devenus si incontrôlables que les États doivent se prosterner devant eux. Je ne développerai pas davantage le problème des traités commerciaux de libre-échange comme celui du CETA, lourds de conséquences pour notre modèle de protection et de production.
À la finance, nous voulons substituer l’humain. Le cœur d’un projet européen d’avenir doit être social, écologique, économique, redistributif et attentif à ceux qui souffrent. L’orientation néolibérale a cadenassé tous les espoirs des peuples. Leurs dirigeants ne cessent de dire qu’ils ne peuvent rien, l’Europe étant la seule responsable. Cette inaction crée la colère. Elle aura couvé des années avant de trouver en France son expression. Le peuple dans la rue, les gilets jaunes, le blocage des routes et les manifestations sont l’expression d’un peuple qui n’en peut plus qu’on lui rétorque que ses envies coûtent cher alors que la vie de ses membres et celle de leurs enfants ne sauraient avoir de prix.
Les besoins des peuples doivent être entendus, surtout quand le PIB augmente chaque année. Plus les richesses progressent, plus la pauvreté et la précarité s’étendent. Les gens ont plein de bon sens et ils le voient bien. Les communistes ont toujours voulu rompre avec cette Union européenne libérale qui n’offre que des perspectives de désespoir et de repli sur soi.
En finir avec cette austérité permettra de capter à nouveau les richesses et de les redistribuer là où les besoins sont les plus pressants : aux personnes précaires, aux salariés trop peu payés, mais aussi aux associations ou aux services publics, sans oublier la planète, la lutte contre le réchauffement climatique, la rénovation énergétique, la protection de la biodiversité, etc.
Nous voulons une Union européenne qui permettrait d’en finir avec le dumping social, en harmonisant par le haut les revenus ou le droit du travail, qui remettrait à plat les équilibres institutionnels pour renforcer la diversité des peuples dans le Parlement et le poids de ce même Parlement face aux autres institutions de l’Union européenne.
Les peuples pourraient ainsi s’exprimer dans leur complexité tout en étant plus forts que le Conseil et la Commission.
Toutes ces ambitions permettraient de développer une vision enfin optimiste de la construction européenne, car si elle a réussi à arrêter la guerre militaire sur le continent, elle n’a pas pu empêcher la guerre économique, la guerre sociale. Or, ces nouvelles formes de guerre portent en germe le démantèlement de l’Union. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et SOC.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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