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Moniteurs de Ski

Avant d’en venir au fond de la proposition de loi, présentée par M. Bruno Le Roux, Mme Frédérique Massat et l’ensemble du groupe socialiste, tendant à la mise en place d’un dispositif de réduction d’activité des moniteurs de ski ayant atteint l’âge de liquidation de leur pension de retraite, sujet très spécifique et très délimité pour une loi de la République, mais sujet qui souligne l’importance de l’activité des moniteurs de ski et la qualité de leur travail, un travail qui joue dans le rayonnement de notre pays au plan économique et dans son attractivité touristique, avant cela donc, et j’en suis désolée, je vais sortir de cette ambiance consensuelle qui prévaut.
M. Michel Issindou. Dommage ! C’était bien parti !
Mme Marie-George Buffet. Oui, avant d’en venir au fond, je voudrais m’interroger sur le contexte et rappeler les propos du président du Syndicat national des moniteurs du ski français dans le dossier d’un magazine sportif consacré aux réseaux dans le sport : « Je suis l’homme le plus puissant de l’arc alpin », disait-il. « Avec mes moniteurs et leurs familles, j’ai plus de pouvoir qu’un groupe parlementaire. » Il poursuit un peu plus loin, à propos des élus : « C’est inenvisageable que je ne sois pas ami avec eux. Celui qui n’est pas ami avec moi aura du mal à être élu ».
À propos du jugement rendu le 18 mars 2013 par le TGI de Grenoble déclarant discriminatoire le pacte intergénérationnel qu’il avait mis en place, il poursuit : « Je ne peux rien dire mais j’ai bon espoir d’obtenir gain de cause. » Fin de citation. Il avait raison : cette proposition de loi lui donne satisfaction. Je devrais dire « ces » propositions, puisque des collègues de l’autre côté de l’hémicycle ont déposé la même.
Venons-en à son contenu. Je voudrais tout d’abord rappeler qu’un moniteur de ski est un travailleur indépendant qui cotise à l’URSSAF et au régime social des indépendants. Il n’est pas fonctionnaire du ministère de la jeunesse et des sports et encore moins salarié du Syndicat national des moniteurs du ski français. Il est bon de le rappeler, pour les non-spécialistes, car la lecture de ce texte pourrait le laisser penser. Cette loi officialise en effet le fait qu’un syndicat professionnel s’est arrogé un pouvoir dépassant sa raison d’être : celui de décider de la réduction d’activité d’un moniteur. Un syndicat professionnel qui pourtant n’a pas de clientèle propre et ne devrait donc pas pouvoir répartir la charge de travail. Adopter la présente loi reviendrait à accepter cet état de fait.
Il est vrai que ce syndicat bénéficie d’une quasi-exclusivité. La deuxième organisation, le Syndicat international des moniteurs de ski, ne regroupe que les 1 800 membres de l’École de ski internationale. Et lorsque d’autres moniteurs ont voulu créer un syndicat indépendant, ils n’ont pu y parvenir et ont dû se constituer en association.
Mais vous savez tout cela, mes chers collègues. Or vous nous proposez, même si la proposition de loi la modifie un peu, l’améliore, d’officialiser une mesure qui, depuis 2007, a été jugée discriminatoire par deux tribunaux et qui, après avoir été une fois reconnue licite par la cour d’appel de Grenoble, est l’objet d’un pourvoi en cassation déposé par des moniteurs. Une mesure qui est loin de faire l’unanimité dans la profession, et on le comprend. Car si le syndicat national a toujours fixé dans ses statuts un âge de départ à la retraite, ce départ se faisait sans décote. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Je ne m’étendrai pas ici sur les problèmes rencontrés par le fonds de prévoyance lié à cette organisation.
Un grand nombre de moniteurs en âge de faire valoir leurs droits à la retraite n’ont pas les trimestres nécessaires, les moniteurs étant, comme le reste de la population, touchés par les réformes successives, régressives, de notre système de retraite. Cette proposition de loi peut donc avoir pour conséquence la paupérisation de moniteurs en fin de carrière, ce que dénonçait Jean Glavany dans une question écrite au ministre du travail du 5 novembre 2013 dans laquelle il évoquait un risque de « précarité forte pour les moniteurs concernés ».
À ce problème s’ajoute l’absence de démocratie sociale. Les moniteurs ne sont pas salariés, ils ne sont pas donc pas en capacité de négocier avec une direction d’entreprise un accord comportant des contreparties en leur faveur. Travailleurs indépendants, c’est par une loi dérogatoire qu’ils se voient fixer leurs conditions de départ en retraite. Et si d’autres groupements d’intérêts nous le demandent, allons-nous légiférer ? Quel est en vérité le sens juridique de cette loi ?
Vous motivez cette proposition de loi par la nécessaire insertion des nouveaux diplômés, mais cela ne peut se faire au détriment des autres générations de travailleurs indépendants. D’autant que l’attribution à l’ordre de l’ancienneté ne facilite pas la tâche aux jeunes ! D’où la proposition alternative soutenue par certains moniteurs : le départ ne doit se faire qu’à taux plein, disent-ils, et le remplacement par un jeune moniteur doit se faire avec une distribution normale et non une garantie minimale. Cette proposition mérite d’être débattue au sein de notre assemblée.
Mais cette loi, en fait, protège-t-elle les jeunes ou les écoles de ski françaises ? Lors du congrès national du SNMS, en 2012, le président nous a donné des éléments de réponse : il a dit que l’entrée deviendrait de ce fait impossible pour les jeunes moniteurs, qui selon toute probabilité n’hésiteraient pas alors à s’établir en structures concurrentes. Tout est dit : la concurrence !
Mais la liberté de s’associer ou non pour exercer son métier, de choisir son syndicat, voire de créer un syndicat, tout cela existe dans notre République !
Madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, les députés du Front de gauche ne voteront pas cette proposition de loi. Ils sont en profond doute sur le fond, mais aussi sur le drôle de cheminement qui nous fait discuter de ce texte en plein milieu du débat sur la loi-cadre pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Peut-être un problème de calendrier parlementaire, une urgence avant la trêve ?

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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