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Motion référendaire Réforme des retraites

Déposer une motion référendaire est un acte rare et important, comme l’a rappelé solennellement le président Chassaigne. Nous soumettons celle-ci à votre vote avec soixante de mes collègues – soixante et un députés attachés à la démocratie, qui, dans leur diversité, considèrent que ce projet de loi procédant à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 ne peut s’imposer dans une telle confusion et selon un tel calendrier.

Cet acte pose la question de la souveraineté du peuple et du rôle du Parlement. Depuis l’avènement du quinquennat et l’élection des députés, dans la foulée de celle du Président de la République, du fait de l’inversion du calendrier, de quels moyens nos concitoyens disposent-ils pendant cinq ans pour exprimer leurs opinions, pour exercer leur souveraineté, pour refuser une réforme qu’ils estiment injuste ? C’est une vraie question qui nous est posée aujourd’hui.

La Constitution française est là pour nous rappeler les principes fondamentaux de la souveraineté nationale, et cela dès son article 1er. Après quoi, elle affirme à l’article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Elle pose le principe de la République comme étant le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Elle rappelle enfin que cette souveraineté est une et indivisible, puisqu’aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.

Dès lors, comment sortir de la crise dans laquelle notre pays est enfoncé depuis plus de soixante-dix jours en raison de la présentation de votre projet de loi ? Convenons qu’une telle mobilisation est inédite sous la Ve République. Jamais on n’avait vu descendre dans la rue autant de professions différentes du public comme du privé : ouvriers, avocats, cadres, enseignants, personnels soignants, étudiants, pompiers, personnalités du monde de la culture et de la création, professions libérales et tant d’autres encore crient leur inquiétude et leur incompréhension.

Toutes les organisations syndicales se montrent toujours déterminées à obtenir de véritables négociations pour améliorer notre système de retraite, et non pour le casser, comme le texte prévoit de le faire, aux termes d’une réforme paramétrique qui demanderait aux Français de travailler plus longtemps.

Le Gouvernement nous rappelle tous les jours que le dialogue est ouvert depuis plus d’un an. Mais alors, pourquoi nos concitoyens sont-ils toujours aussi nombreux à demander le retrait de la réforme ? Les doutes et les interrogations des syndicats s’ajoutent à ceux du Conseil d’État. Des formations politiques très différentes de gauche et de droite, des parlementaires, même parmi la majorité, soulèvent tant de questions, qui ne reçoivent toujours pas de réponse… Quel est son financement ? Pourquoi y a-t-il tant de trous dans cette réforme, tant de zones blanches, par exemple sur le calcul du point ou sur la prise en compte de la pénibilité ? Pourquoi prévoyez-vous un recours aussi massif aux ordonnances ?

À ces zones d’ombre s’ajoute un calendrier à marche forcée incompatible avec un examen serein et approfondi de la réforme. Vous avez choisi d’étudier le texte en procédure accélérée mais, dès lors que ses premiers effets se feront sentir en 2022, on n’est pas à deux mois près ! Une réforme de notre système de retraite, qui concerne tous les Français et toutes les générations, mérite que nous lui accordions tout le temps qu’il faut, avec l’objectif de rassembler la nation, comme le fit Ambroise Croizat en 1946. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe FI.)

Il n’y a pas urgence. Le temps de la démocratie, pour ce sujet majeur, ne peut pas être celui de la procédure accélérée. En refusant d’écouter le mouvement social, en refusant de donner au Parlement le temps du débat, vous prenez le risque d’aggraver la fracture profonde avec nos concitoyens, les syndicats et les partenaires sociaux, de creuser encore le fossé qui sépare les députés et les Français, et d’abîmer encore la démocratie. Le moment est venu de mettre fin à l’incompréhension et à la colère de nos concitoyens – et de la meilleure façon qui soit en démocratie : en redonnant la parole au peuple. Seul le référendum permettra de sortir de cette situation par le haut.

Peut-on imaginer qu’une réforme aussi importante se fasse sans le peuple, ou malgré lui, voire, plus grave encore, contre lui ? Nous n’avons le droit ni de jouer avec sa colère ni d’alourdir son découragement.

Le Président de la République et le Premier ministre ont certes les moyens de sortir de cette crise, notamment en retirant le texte, mais ils ne sont pas les seuls à pouvoir aider notre vie démocratique à surmonter l’épreuve qu’elle rencontre aujourd’hui. Nous autres parlementaires disposons tous ensemble d’un levier très efficace pour donner au peuple la possibilité de surmonter sa défiance à l’égard de ses représentants. Ce levier, c’est la motion référendaire prévue à l’article 122 du règlement de notre assemblée.

Cette procédure nous permet de proposer au Président de la République de soumettre la réforme des retraites au référendum. Chacun d’entre nous ici a la faculté d’en faire usage. Chacun d’entre nous ici a l’immense pouvoir, grâce à cette motion, de faire qu’on sollicite l’avis de ses concitoyens. Chacun d’entre nous ici possède, en son âme et conscience, la responsabilité de revenir au fondement de notre démocratie, qui est d’entendre le peuple lui-même.

Loin de s’opposer au suffrage universel, la motion référendaire renforce la démocratie, car elle offre une sortie de crise digne et solennelle. Elle permettra par exemple d’ouvrir de vraies négociations pour améliorer le système actuel. Nous vous appelons d’ailleurs à la voter au nom de la fidélité supérieure que nous devons au peuple et qui, en chacun d’entre nous, doit l’emporter sur tout autre attachement, si légitime soit-il.

Nous ne vous demandons pas de contredire en quoi que ce soit la légitimité du Président de la République ou du Gouvernement, ni leur droit à mener la politique sur laquelle ils se sont engagés. La motion référendaire constitue au contraire le recours, en cas de difficulté grave, qui permet de vérifier si l’on suit la bonne route ou s’il est nécessaire d’en changer. Oui, le référendum est une solution de sagesse, réservée aux crises graves comme celle que nous vivons depuis de longs mois et dont l’issue ne peut plus être raisonnablement trouvée en dehors de nos concitoyens.

Nous sommes, nous autres communistes, de ceux qui disent qu’on ne gouverne pas un pays par référendum.

Mais on ne gouverne pas non plus sans écouter le pays. La majorité prétend que bon nombre de nos concitoyens vous demandent de tenir bon, mais entendez-vous toutes celles et tous ceux qui disent qu’ils ne veulent pas de cette réforme ? Êtes-vous à l’écoute de tous les Français ou seulement du Président de la République ?

L’Histoire nous rappelle avec force que la grandeur de la nation française est d’accepter de retourner vers le peuple lorsque des circonstances majeures l’imposent et de faire confiance à son intelligence, à sa capacité à comprendre une loi, une réforme, à juger si celle-ci est bonne ou mauvaise.

Dans notre pays, en 2005, sur le traité constitutionnel européen que certains annonçaient trop complexe, le référendum a donné lieu à un très beau débat. Nos concitoyens se sont emparés de ce traité ligne par ligne, avec passion, et à l’arrivée, ils ont choisi. La démocratie, quand elle fait le pari de l’intelligence, l’emporte toujours.

Certes, trois ans plus tard, avec une violence inouïe et toujours vivace, certains ont préféré s’asseoir sur l’avis du peuple, mais c’est là un autre débat. Aujourd’hui, chacune et chacun d’entre nous, dans tout le pays, doit pouvoir se saisir du projet de réforme des retraites. Faisons confiance à l’intelligence du peuple français. De grâce, n’insultons pas cette intelligence ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. – M. Jean-Louis Bricout applaudit aussi.)

Les Français doivent savoir. Ils doivent découvrir par eux-mêmes, dans chaque usine, dans chaque atelier, dans chaque bureau, dans chaque hôpital, dans chaque école, ce qu’il y a dans votre texte, dont les députés communistes du groupe GDR et d’autres, comme mes camarades insoumis, demandent le retrait.

À rebours du progrès de civilisation, de la chance que représente l’allongement de la durée de la vie, il faut que les Français découvrent par eux-mêmes qu’avec ce texte, ils devront travailler plus longtemps, jusqu’à 65 ans, puis, pour la génération de 1990, jusqu’à 66 ans et demi. De fait, en partant à 62 ans, les futurs retraités subiraient sur leur pension des décotes de l’ordre de 15 %. Quant aux avocats ou aux kinésithérapeutes, ils perdraient la gestion de leur caisse autonome et subiraient une forte hausse de leurs cotisations. C’est de cela qu’il faut discuter avec les Français.

Oui, il faut débattre de la part que notre pays veut consacrer aux retraites. C’est le fond du problème : cette part, qui représentait 6 % du PIB en 1950, a toujours été augmentée, pour tenir compte de l’allongement de la durée de vie. Elle est aujourd’hui de 14 %, et nous produisons quatre fois plus de richesses.

Nous considérons que cette part doit continuer de progresser, alors que votre projet de loi vise à la diminuer pour la porter à 12,8 %, en contradiction complète avec l’évolution naturelle de la démographie – puisque, et c’est tant mieux, le nombre de personnes de plus de 65 ans augmente.

Ainsi le montant des pensions, leur évolution ou l’âge de départ à la retraite seront-ils, dans votre projet, les seules variables d’ajustement.

Et que dire de la pénibilité ? Désireux de faire des économies sur notre système de retraite, refusant de taxer le capital et n’écoutant que le MEDEF, vous refusez de la prendre en compte. Ainsi, de nombreux travailleurs – couvreurs, égoutiers, bûcherons, caissières, agriculteurs, infirmières, conducteurs de métro, de train ou de bus – ne sont pas pris en considération par votre projet de loi.

Quant aux femmes, avec cette réforme, elles seront de nouveau victimes, laissées au bord du chemin. Vous oubliez celles qui subissent, entre autres, le temps partiel et vivent avec 800 ou 900 euros de salaire net mensuel. Un véritable projet de société sous-tend votre réforme, qui n’a rien à voir avec ce qui fait la force et l’originalité de la nation française.

De tout cela, mes chers collègues, il faut pouvoir discuter sincèrement, les yeux dans les yeux, avec nos concitoyens, favorables à 67 % à l’organisation d’un référendum.

Il faut – y compris pour vous, qui prétendez démontrer les bienfaits de la réforme et en montrer les avantages – engager le débat à travers tout le pays.

Relevons le défi tous ensemble !

Mes chers collègues de la majorité, n’ayez pas peur de débattre devant nos concitoyens, cartes sur table, projet contre projet, en permettant à chacun d’avancer ses arguments, selon sa sensibilité et ses convictions.

Le général de Gaulle, qui a utilisé cinq fois le référendum en dix ans, disait : « La démocratie se confond exactement pour moi avec la souveraineté nationale. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave. ».

La démocratie, mes chers collègues, ne s’exerce pas tous les cinq ans, comme vous le prétendez, surtout quand le Président s’est engagé, alors qu’il était candidat, à ne pas augmenter l’âge de départ en retraite et à ne pas changer les règles du système par répartition.

C’est pourquoi, avec soixante et un députés venus de tous horizons, issus de groupes politiques très différents, et dans le respect de la diversité de nos opinions, nous vous invitons tous, mes chers collègues, à voter en faveur de cette motion référendaire. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Par ce vote, nous pouvons, tous ensemble, reconquérir une part de la confiance citoyenne dont notre démocratie manque cruellement. La force de la nation française, qui s’est forgée en abolissant la monarchie il y a 230 ans, réside dans son peuple, dont nous sommes ici les humbles représentants. Et depuis, le peuple de France, dans sa grande diversité, est très exigeant en matière de démocratie et de souveraineté. Il n’aime pas être trompé. Alors donnons-lui le moyen d’être entendu ; retrouvons en France le goût de la politique, du vote, du débat digne, sur le fond et pas sur les personnes. Redonnons le goût de la démocratie aux Françaises et aux Français, qui nous observent et veulent toutes et tous rester maîtres de leurs choix et de leur destin. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et SOC.)

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