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Discussions générales

MRC - majoration des droits à construire

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le secrétaire d’État chargé du logement, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Gouvernement nous présente ce soir un projet de loi consacré à l’urbanisme et composé d’un article unique, qui majore de 30 % les possibilités de construction : pour les trois ans à venir, tout terrain, toute maison, tout immeuble pourra voir sa surface augmenter de 30 %.
Nous pouvons légitimement nous interroger sur l’opportunité d’examiner un tel texte, à quelques jours de la fin de la législature et à huit semaines de l’élection présidentielle. La réponse du Gouvernement à la crise du logement, aux loyers chers et au mal-logement, c’est la déréglementation ; c’est un blanc-seing accordé aux spéculateurs fonciers et immobiliers pour faire toujours plus d’argent. Décidément, avant de quitter le pouvoir, vous voulez finir en offrant des cadeaux à ceux que vous chérissez !
M. Serge Poignant, président de la commission des affaires économiques. Quels cadeaux ?
M. Jean-Pierre Brard. Mais si, monsieur le président de la commission. Avouez, avouez ! Faire des cadeaux à ses amis n’est pas un crime ; mais au moins dites-le, confessez-le !
M. Serge Poignant, président de la commission des affaires économiques. Mais il n’y a pas de cadeaux !
M. Jean-Pierre Brard. Mais si, ce sont bien des cadeaux. Vous pouvez parler au singulier, dire : un gros cadeau. Je parle, moi, de cadeaux, car les destinataires sont multiples.
M. Serge Poignant, président de la commission des affaires économiques. Il y a décidément des moments où nous avons du mal à nous comprendre !
M. Jean-Pierre Brard. Oui, nous avons du mal à nous comprendre : le jour où vous me comprendrez, je me demanderai quelle sottise j’ai pu bien proférer !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Heureusement, il y a bien peu de Français qui vous comprennent !
M. Jean-Pierre Brard. Oh, monsieur le maire de Valmy…
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Je ne suis pas maire de Valmy !
M. Jean-Pierre Brard. Pardon, monsieur le député de Valmy…
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Le député de Valmy, c’est M. Bourg-Broc !
M. Jean-Pierre Brard. Vous étiez député de Valmy, monsieur le secrétaire d’État, et il y a là-bas un moulin. Eh bien, vous foncez, vous, vers un autre moulin, celui dont parle Cervantès – vous êtes un peu Don Quichotte, par certains côtés. Et vous verrez, dans quelques semaines, que vous serez toujours sur Rossinante avec votre lance, mais que vous aurez manqué la cible. (Sourires.) Vous verrez : il ne faut jamais injurier le futur ! À votre place, monsieur le secrétaire d’État, je serais prudent.
M. Gérard Gaudron. C’est peut-être vous qui serez bientôt juché sur Rossinante !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Gaudron, je suis sûr que vous avez chez vous aussi des Rossinante. Monsieur le président, il y a sur ma droite des candidats pour le rôle de Sancho Pança ! (Sourires.)
La réponse du Gouvernement à la crise du logement, je le disais, c’est un blanc-seing accordé aux spéculateurs.
L’exemple de Montreuil, que je vais vous donner, devrait vous inciter à réfléchir : comme le disait Karl Marx, il faut toujours partir de l’analyse concrète de la réalité concrète pour construire sa réflexion.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Chacun ses références !
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Qu’en dit Mme Voynet ?
M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes curieux de savoir ce qu’en dit Mme Voynet : j’y viens.
Le plan local d’urbanisme de Montreuil voté au mois d’avril 2011 par la municipalité de Mme Voynet prévoyait déjà une importante densification, en autorisant des hauteurs majorées et en supprimant toute limitation de densité. Le plan local d’urbanisme prévoyait également divers bonus de hauteur, pouvant être cumulés avec une majoration de 20 % pour logements sociaux, adoptée par délibération séparée du conseil municipal.
Ce projet de loi que vous nous présentez ajoute une nouvelle couche à ce dispositif, dont les résultats s’avèrent déjà désastreux. Tous les gabarits seront en effets majorés automatiquement, sauf en cas de délibération expresse du conseil municipal. Cela va conduire à des hauteurs et à des densités tout à fait inacceptables.
En voici deux exemples, qui vous démontreront ce que donne le cocktail Voynet-Apparu. Vous verrez que c’est un vrai bonheur pour les spéculateurs et les promoteurs !
Pour les zones centrales, composées principalement de bâtiments collectifs continus, le PLU de Montreuil a prévu une hauteur plafond de 24 mètres, soit R+7. Cette hauteur pourra être portée à 29 mètres, soit R+9. Compte tenu de l’emprise autorisée, cela équivaut à un coefficient d’occupation des sols de 9, alors que l’usage était jusqu’à présent de s’en tenir à un coefficient d’occupation des sols de l’ordre de 3 dans ce type de zone.
Avec le présent projet de loi, la hauteur plafond passerait à 38 mètres, soit R+12, et la densité équivaudrait à un coefficient d’occupation des sols de 12 ! On passe de 3 à 12. Et ce qui a été démontré tout à l’heure à propos de l’explosion des valeurs foncières est ici évidemment confirmé et amplifié.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Mme Voynet fait dans la spéculation ? Ce n’est pas très joli ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. Mme Voynet et vous, même combat, monsieur le secrétaire d’État ! Vous favorisez la spéculation, c’est vrai, c’est incontestable. D’ailleurs, M. de Rugy le confirme.
M. François de Rugy. Pas du tout ! Absolument pas !
M. Jean-Pierre Brard. Pour les zones pavillonnaires les plus basses, le PLU a prévu une hauteur plafond de 12,70 mètres, soit R+3 ; un étage supplémentaire, R+4, est autorisé en cas de logements sociaux. Compte tenu de l’emprise autorisée, cela équivaudrait à un COS de 4, alors que l’usage est de s’en tenir à un COS de l’ordre de 0,8.
Puis vint M. Benoist Apparu. Avec le présent projet de loi, la hauteur plafond passerait à 20 mètres, c’est-à-dire R+6, et la densité à un COS de 5 – au lieu de 0,8 ! Vous faites suer le terrain. C’est juteux, pour les promoteurs.
Nous pourrions tous, sur ces bancs, nous accorder sur l’opportunité d’une réforme de l’urbanisme. Mais il aurait alors fallu organiser une concertation avec l’ensemble des acteurs pour mener une réflexion globale sur les questions d’urbanisme et proposer une vraie réforme, une réforme concertée avec les élus des collectivités territoriales. Je suis certain que Jacques Pélissard, le président de l’Association des maires de France, n’aurait pas refusé cette concertation.
En lieu et place de la mesure « extrêmement puissante » promise par le Président de la République – pour citer ici son vocabulaire extrêmement modéré –, nous examinons ce soir une mesure électoraliste qui cache, en réalité, un dernier cadeau fait aux spéculateurs fonciers et à cette France des propriétaires, dont la droite rêve, et que le président-candidat essaie de séduire une nouvelle fois, à huit semaines de l’élection présidentielle.
Le 12 décembre 2006, au congrès de la FNAIM, le candidat UMP à la présidentielle – un certain Nicolas Sarkozy – déclarait déjà que son « premier projet en matière de logement [était] de faire de la France un pays de propriétaires », à grands coups de subprimes. Vous vous rappelez, monsieur le secrétaire d’État, que le Président de la République était, avant le crash aux États-Unis, favorable aux prêts hypothécaires.
M. François de Rugy. Eh oui, il faut le rappeler !
M. Jean-Pierre Brard. Ce nouveau cadeau fait aux gros propriétaires immobiliers et fonciers doit être présenté pour ce qu’il est : ce n’est sûrement pas, comme s’attache à le faire croire le Gouvernement, une mesure visant à « encourager l’offre de logements » ; ce n’est pas non plus, comme l’affirme notre rapporteur Bernard Gérard, la traduction de l’engagement du chef de l’État de « faire du logement une grande cause nationale. »
M. Bernard Perrut. C’est pourtant le cas !
M. Jean-Pierre Brard. Se réveiller, deux mois avant l’élection, après dix ans de pouvoir, on pourrait dire que la maturation intellectuelle a été longue. Je vois que vous souriez, monsieur le rapporteur : c’est certainement l’effet de ma référence à la maturation intellectuelle. Monsieur le président de la commission, vous souriez aussi ; vous avez des doutes, je le vois bien. Le doute, disait Descartes, c’est déjà quelque chose de très positif, monsieur le président. Cela prouve au moins que vous ne tombez pas, vous, dans l’idolâtrie vis-à-vis du chef de votre majorité.
M. Serge Poignant, président de la commission des affaires économiques. Je souris en vous écoutant, mais n’en faites pas d’interprétations trop audacieuses !
M. Jean-Pierre Brard. Vincent Renard, économiste spécialiste des questions d’économie financière et immobilière, nous le confirme : cette possibilité d’augmentation de 30 % du coefficient des sols ne devrait réjouir que les seuls gros propriétaires. Cette augmentation, selon lui, « c’est une incitation à la rétention. Les propriétaires peuvent se réjouir : leur patrimoine va augmenter de valeur et ils ne seront pas davantage incités à vendre. Ils seront plus riches, c’est tout. »
Après bientôt cinq ans de mandat et dix années de gestion du pays par la droite, le bilan de la majorité en matière de logement est accablant.
M. Bernard Perrut. C’est faux !
M. Bernard Gérard, rapporteur. Les chiffres prouvent le contraire !
M. Jean-Pierre Brard. Tous les grands engagements du président-candidat en la matière doivent être regardés à la lumière de ce bilan. Monsieur Perrut, vous le savez bien, et c’est la même chose dans votre circonscription : les hommes et les femmes politiques doivent être jugés non pas sur ce qu’ils disent, mais sur ce qu’ils font. Et de ce point de vue, le bilan est pour vous accablant !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Comparons nos bilans !
M. Jean-Pierre Brard. Que voulez-vous comparer, monsieur le secrétaire d’État ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Les bilans en matière de logement social, par exemple !
M. Jean-Pierre Brard. Si vous voulez.
M. le président. Nous vous écoutons, mais n’interpellez pas vos auditeurs, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, c’est le dialogue républicain, au contraire. Monsieur le secrétaire d’État, vous voulez que nous parlions bilan : il faut donc examiner vos résultats à la lumière des besoins et de l’appauvrissement de la population, dont vous êtes co-responsables. Jamais les difficultés des Français n’ont été aussi grandes ! Vous détenez un record : plus de 8 millions de pauvres, 5 millions de chômeurs.
M. Jean Dionis du Séjour. Vous vous éloignez du sujet !
M. Jean-Pierre Brard. C’est vrai aussi à Agen, monsieur Dionis du Séjour. Je ne m’éloigne pas du sujet, j’appuie simplement là où ça fait mal, où ça vous fait mal, vous qui êtes au centre, parce que vous êtes en train de remarquer que l’UMP va vous emmener avec lui par le fond ! Je comprends que vous vouliez prendre vos distances.
Mais revenons à notre sujet, donc vous avez essayé de me détourner. Comme le dit très bien Patrick Doutreligne, délégué général de la fondation Abbé-Pierre, « nous assistons à l’une des pires crises du logement depuis cinquante ans ». C’est au regard de cette affirmation, monsieur le secrétaire d’État, qu’il faut juger votre politique : les belles formules du chef de l’État ne peuvent pas faire oublier aux Français la situation qu’ils vivent.
M. Bernard Perrut. Il faut regarder l’évolution !
M. Jean-Pierre Brard. Mais justement, j’ai déjà parlé de l’évolution.
Dix millions de Français ont des difficultés à trouver un toit, et personne n’est épargné : étudiants, salariés, chômeurs, célibataires, divorcés et séparés, familles... Le logement est devenu le premier poste de dépenses des ménages. Il représente désormais 23 % de leur budget, contre 13 % il y a vingt ans. Et, vous le savez comme moi, cette part peut, particulièrement en région parisienne, grimper jusqu’à 50 %, parfois plus. En dix ans, les loyers ont augmenté de 90 % et les prix de vente de 110 % ! À Paris et dans sa région, un jeune sur dix seulement parvient à trouver un logement décent, tandis que 100 000 logements restent inoccupés. Les plus modestes et les classes moyennes paient au prix fort les choix faits par la majorité, pour le logement comme pour le reste.
Ce bilan désastreux devrait vous inciter à réfléchir, à prendre le temps de débattre, à consulter le peuple et ses représentants sur un sujet crucial qui touche chacun de nos concitoyens. Il n’en est rien. Puisque le Président de la République a été touché par la grâce et qu’il trouve des mérites au référendum – mérites bien tardifs, puisque je vous rappelle qu’il s’est assis sur le résultat de celui de 2005 –, voilà un sujet sur lequel un référendum serait particulièrement bienvenu.
Cette fin de législature et les conditions dans lesquelles nous légiférons sont particulièrement symboliques du peu de considération – et c’est un euphémisme – du Président de la République pour les parlementaires, la démocratie représentative et le débat citoyen. D’ailleurs, les déclarations du chef de l’État à Marseille ne laissent pas de doute à ce sujet. La réduction du nombre des représentants de la nation élus au suffrage universel direct est à l’ordre du jour de son prochain quinquennat. La démocratie n’a plus qu’à bien se tenir !
D’ailleurs, pour ceux qui siègent dans cet hémicycle depuis un certain temps, vous vous rappelez que Nicolas Sarkozy, comme parlementaire, ne rallongeait pas les débats. On peut bien le dire, il n’a pas trop usé son fauteuil, puisque les parlementaires de l’époque ne se rappellent pas l’avoir souvent entendu dans cet hémicycle. C’est sûrement ce qui lui permet aujourd’hui de donner des conseils sur l’activité qui devrait être celle des députés !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Ce n’est pas gentil de parler comme cela de François Hollande !
M. Jean-Pierre Brard. Je ne parle pas de François Hollande, qu’on voit souvent dans cet hémicycle (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC), et dont je ne suis pas l’avocat. On ne voyait jamais Nicolas Sarkozy : tout parlementaire normal, en une législature, siège autant que lui tout au long de sa vie de parlementaire !
Le calendrier d’examen de ce texte est une préfiguration de ce qui nous attendrait au cas où il serait réélu, même si, au terme de cinq ans de mandat, nous commencions à avoir pris une certaine habitude du fonctionnement monarchique du Président de la République.
M. Éric Berdoati. Pour le fonctionnement monarchique, voyez plutôt François Mitterrand !
M. Jean-Pierre Brard. Annoncé par le Président le 29 janvier dernier, ce projet de loi a été présenté en Conseil des ministres le 8 février, pour un passage en commission des affaires économiques le mardi suivant. Nous avons dû déposer les amendements à l’aveugle, ne disposant pas officiellement du texte sur le site de l’Assemblée.
M. Éric Berdoati. Nous allons vous éclairer !
M. Jean-Pierre Brard. L’étude d’impact a été disponible à la distribution moins de vingt-quatre heures avant la présentation du projet de loi.
Alors que nous débattons ce soir en première lecture, le texte est inscrit à l’ordre du jour du Sénat le 29 février, pour un retour à l’Assemblée le 5 mars, sous la forme d’un texte de commission mixte paritaire ou bien en deuxième lecture. Comment travailler dans ces conditions ? Légiférer prend du temps ! Mais le Président n’en a que faire et considère notre Assemblée comme la caisse enregistreuse de ses desiderata.
M. François Brottes. Et encore !
M. Jean-Pierre Brard. Le Parlement ne peut pas se transformer en caisse de résonance de la campagne électorale de l’UMP !
L’organisation de nos travaux est particulièrement significative du peu de considération du Gouvernement à notre égard. Je dis cela avec une certaine solennité car je crois sincèrement qu’au-delà des divergences politiques, nous sommes tous ici les garants du respect de l’Assemblée nationale et de notre démocratie. Elle est aujourd’hui bien malmenée.
Cette situation reflète, si cela était encore utile, la nécessité d’un changement institutionnel et l’avènement d’une VIe République. C’est cet espoir d’une démocratisation de nos institutions que nous portons, au Front de gauche, et que nous défendrons le 18 mars prochain Place de la Bastille à Paris, en hommage au peuple de Paris qui, en 1871, a choisi de reprendre en main le destin que les Versaillais voulaient lui confisquer.
Mes chers collègues, ces remarques introductives…
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Introductives ?
M. Jean-Pierre Brard. …pourraient justifier à elles seules le renvoi en commission de ce texte.
Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, je ne gâcherai pas votre plaisir en abrégeant trop prématurément mon propos. Mon collègue Jean-Paul Lecoq détaillera, dans son intervention générale, les réflexions des députés communistes, républicains et du Parti de gauche, sur le contenu du projet de loi. Pour ma part, je souhaite mettre l’accent sur le contexte prévalant à l’application de ce texte.
Mes chers collègues, le manque de logements n’est pas la conséquence des rigidités du code de l’urbanisme. Cette pénurie est, au contraire, entretenue à dessein par le marché de la spéculation foncière. Elle nourrit la rentabilité du capital immobilier. Elle est le prolongement de logiques spéculatives.
Or avec ce texte de loi, le Gouvernement ne fait que renforcer le marché et ses acteurs privés. Il libéralise le secteur. Vous vous obstinez à penser que le marché libre est optimal et rationnel. Mais enfin, vous avez chaque jour des exemples qui vous démontrent l’inverse ! Vous vous obstinez, englués que vous êtes dans vos certitudes libérales. Ce n’est pas en majorant de 30 % les droits à construire que vous relancerez la construction de logements, et particulièrement de logements sociaux. Une fois de plus, vous allez gaver des investisseurs immobiliers avides qui se sont déjà gorgés des milliards du Scellier et autres de Robien, avec le résultat que l’on connaît.
M. Bernard Perrut. Que d’exagérations !
M. Jean-Pierre Brard. Allez leur demander ! Ils ne se plaignent pas de votre politique !
On connaît le résultat. Vous vous exonérez de tout bilan et de toute analyse de la crise du logement car vous en êtes autant les responsables que les instruments.
M. Philippe Vitel. Quelles solutions proposez-vous ?
M. Jean-Pierre Brard. J’y arrive.
Tout, dans votre politique, entretient cette situation. Mais les Français ne sont pas dupes.
Selon un sondage Nexity,…
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Quelle référence !
M. Jean-Pierre Brard. …plus de 65 % d’entre eux jugent que les pouvoirs publics n’en font pas assez en matière de logement. Ils ont raison. Vous, monsieur Apparu, qui êtes un grand communicant, vous devriez écouter ce que les Français disent à travers les sondages.
En cinq ans, vous avez réduit les budgets des aides à la pierre de plus d’un milliard d’euros.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. On a doublé la construction de logements sociaux !
M. Marcel Rogemont. Qui est ce « on », monsieur le secrétaire d’État ? Ce sont les collectivités qui ont financé la construction des logements sociaux !
M. Jean-Pierre Brard. Écoutez la suite, monsieur le secrétaire d’État ! Cela alimentera votre réflexion.
Tous les exercices budgétaires ont enregistré des coupes sombres.
M. Marcel Rogemont. Plutôt des coupes claires !
M. Jean-Pierre Brard. Vous ne cessez de mettre en avant les chiffres de la construction.
M. Philippe Vitel. Parce qu’ils sont éloquents !
M. Jean-Pierre Brard. Vous omettez de dire qu’ils ne compensent même pas l’évolution démographique et les effets des recompositions familiales. Vous vous glorifiez des chiffres de la construction de logements sociaux, mais vous ne les financez plus.
Dois-je vous rappeler, mes chers collègues, que l’État a décidé de prélever 340 millions d’euros par an sur l’ensemble des organismes HLM ? En droit commun, on appelle cela un hold-up !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est une insulte au Parlement qui a voté cette mesure !
M. Jean-Pierre Brard. Avec ce projet de loi, vous nous promettez à nouveau monts et merveilles. La majoration des droits à construire permettrait de faire sortir de terre 40 000 logements et par conséquent de faire baisser les prix. Cette rengaine n’est pas sans me rappeler les vœux pieux – bien sûr – professés par Mme Boutin au moment du vote de la loi MOLLE.
M. François de Rugy. Une loi qui porte bien son nom !
M. Jean-Pierre Brard. Cette dernière était censée, elle aussi, à l’instar des six lois qui l’ont précédée, apporter une réponse efficace aux enjeux du logement. Il n’en a rien été.
Aujourd’hui vous nous ressortez les mêmes discours, les mêmes vaines promesses. Arrêtons donc ici cette mascarade qui n’a que trop duré. N’infligeons pas à notre assemblée un huitième texte bâclé sur le logement. Mettons-nous tous autour d’une table et engageons un travail à long terme d’élaboration d’une autre politique du logement. Pour notre part, nous ne manquons pas d’idées. Le programme du Front de gauche en fait la démonstration.
Nous proposons de prendre la question du logement social à bras-le-corps. Dans plusieurs niches, nous vous avons proposé de voter des mesures efficaces. Mais de celles-ci vous ne voulez pas. Non, vous n’en voulez pas, parce que vous n’avez que faire du logement social. Pour vous, une France forte, c’est une France de propriétaires. Ceux qui ne peuvent pas le devenir ou ceux qui n’ont pas encore cédé à vos appels en s’endettant sur trente ans ou plus pour se loger dans des logements insuffisants et enrichir les banquiers, ils ne vous intéressent pas.
Par contre, ils sont le souci premier des élus du Front de gauche. Pour nous, ils ne sont pas invisibles, nous les croisons chaque jour dans nos villes. Leur combat quotidien pour un toit, s’il force notre respect, n’est pas une fatalité. Ces situations humaines dramatiques sont la conséquence de la hausse des loyers – ils ont augmenté de 50 à 90 %, selon les endroits, entre 2000 et 2010 – et du nombre bien trop faible de constructions de logements sociaux.
C’est pourquoi nos propositions s’attachent à renverser cette logique et que nous vous opposons un plan d’urgence pour le logement et contre la spéculation immobilière.
Nos propositions sont ambitieuses, peut-être un peu trop pour le candidat de la France forte qui nous promet ici une pièce supplémentaire, là l’élargissement d’une terrasse ou, là encore, la construction d’une véranda.
Au Front de gauche, nous voyons plus grand. Nous proposons de faire du logement un droit et une priorité nationale. Nous abrogerons la scandaleuse loi Boutin et toutes les aides fiscales au logement spéculatif privé.
Le logement locatif social sera reconnu comme le logement universel accessible à tous. Nous engagerons un plan d’urgence national pluriannuel de construction de 200 000 logements publics sociaux par an pendant cinq ans, comprenant un volet spécifique de logements étudiants et pour les jeunes.
Nous porterons donc le budget logement à 2 % du PIB en crédits de paiement.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est déjà le cas !
M. Jean-Pierre Brard. Vous le croyez vraiment ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Oui, car vous oubliez la dépense fiscale !
M. Jean-Pierre Brard. Mais bien sûr.
Nous reviendrons à une aide à la pierre à hauteur de 40 % du coût des opérations avec des prêts publics bonifiés et de longue durée de remboursement.
Nous interdirons les expulsions locatives de toute personne et famille en difficulté économique et sociale.
Nous garantirons à chacune et chacun le droit au maintien dans son logement, par la mise en œuvre d’une sécurité locative mutualisée.
Nous mettrons en place une tarification sociale garantissant le droit et l’accès de toutes et de tous à l’eau et à l’énergie.
Mme Laure de La Raudière. Ce n’est pas assez ! Il faut aller plus loin : réquisitionnez les logements !
M. Jean-Pierre Brard. Nous garantirons et renforcerons les moyens de l’hébergement d’urgence.
Mme Laure de La Raudière. C’est tout ? Vous me décevez !
M. Jean-Pierre Brard. Écoutez donc la suite, madame de la Raudière !
Nous revaloriserons l’APL en supprimant le mois de carence de son attribution, son caractère rétroactif, et en indexant le forfait charges sur l’évolution réelle de celles-ci. Pour favoriser l’accès au logement dans le parc privé, nous supprimerons la caution.
Nous supprimerons également le surloyer, ainsi que les plafonds de ressources. Nous bloquerons les loyers dans le public et encadrerons leur évolution dans le privé par le plafonnement des prix à la vente et à la location, en fonction de la tension dans les territoires.
À ce sujet, il est d’ailleurs étonnant qu’au cours de son allocution télévisée, Nicolas Sarkozy, qui a tant cité l’Allemagne, ait rejeté toute possibilité d’encadrement des loyers pourtant en vigueur outre-Rhin et dont M. Dionis du Séjour nous a dit que cette vision était pathétique. Il aurait pu ajouter qu’elle était apocalyptique.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Ce n’est pas ce que fait l’Allemagne. Vérifiez ce qu’elle fait !
M. Jean-Pierre Brard. Outre-Rhin, en effet, c’est le locataire qui a la priorité. Pas question de payer des sommes extravagantes pour se loger.
Les loyers sont encadrés…
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est faux !
M. Jean-Pierre Brard. …par un dispositif appelé le « miroir des loyers », adopté en 1973 à Cologne entre une association de propriétaires et de locataires, et étendu par la suite à la plupart des villes allemandes.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Allez faire un tour en Allemagne ! Vous comprendrez que cela ne marche pas du tout de cette façon !
M. Jean-Pierre Brard. J’y vais de temps en temps, monsieur Apparu. Si, cela marche comme ça.
Cela dit, je ne prendrai pas M. de Courson comme interprète, car comme vous l’avez vu cet après-midi, il a quelques lacunes dans la langue de Goethe ! (Sourires.)
Ce dispositif permet d’établir des fourchettes de loyers dans chaque ville en fonction d’un certain nombre de critères, comme la qualité du quartier, la taille du logement, le niveau d’équipement ou encore la date de construction.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est le marché qui fixe les prix, personne d’autre !
M. Jean-Pierre Brard. Résultat : l’évolution des prix sur le marché locatif est strictement encadrée dans une zone géographique et à un moment donné.
Ne nous étonnons pas de cet oubli, par le chef de l’État, de l’exemple allemand. Nous savons que ses appréciations sont à géométrie variable.
Pour garantir l’égalité d’accès de tous à un logement de qualité, la mixité sociale de l’habitat, et permettre la baisse des loyers pour le plus grand nombre, nous nous fixerons l’objectif que la proportion du loyer et des charges dans le budget des familles n’excède pas 20 % de leurs revenus, libérant ainsi du pouvoir d’achat et contribuant à faire fonctionner la machine économique et donc à réduire le chômage.
Nous appliquerons la loi de réquisition des logements vacants et engagerons un plan de mobilisation des logements vides réduisant le délai de vacance d’un logement. Nous renforcerons les critères de procédure de réquisition et l’abattement annuel de 10 % au bout de la cinquième année et d’exonération pour les étrangers. Nous instaurerons une taxe sur les bureaux vides. Nous créerons un service public national et décentralisé du logement, de l’habitat et de la ville. Nous agirons pour une application résolue de la loi SRU élargie, mais pas en augmentant les amendes.
À Saint-Maur-des-Fossés, le maire de l’époque, c’est-à-dire le prédécesseur de M. Plagnol, avait préféré augmenter l’impôt pour pouvoir payer l’amende plutôt que de voir s’installer sur sa commune ces populations dangereuses. Ainsi, il s’exonérait du logement social. Pour éviter cela, il suffit de rendre inéligibles les maires qui ne respectent pas la loi.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Y compris celle qui interdit d’avoir plus de 35 % de logements sociaux ?
M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr que non ! Il n’y a jamais excès de bonnes choses ! Par contre, il n’y a pas de raison de constituer de réserves d’aristocrates ou des bourgeois dans lesquelles ces privilégiés s’isolent pour rester dans l’entre-soi et ne pas fréquenter la société française, réelle et dangereuse !
Mme Laure de La Raudière. Très drôle !
M. Jean-Pierre Brard. Cela vous fait sourire, madame de la Raudière ! Les ghettos aristocrates vous rappellent des souvenirs !
Le financement des crédits alloués au logement social sera assuré par le relèvement du plafond du livret A à 20 000 euros, la recentralisation de sa collecte par la Caisse des dépôts et consignations, la majoration de 0,55 % de la contribution des employeurs à l’effort de construction pour rétablir un véritable 1 % logement. Nous taxerons la spéculation financière et immobilière avec la création d’une taxe « contribution logement » de 10 % sur les revenus financiers et nous supprimerons la taxation des bailleurs sociaux adoptée dans le projet de loi de finances pour 2011.
Nous soutiendrons les collectivités qui créeront les conditions d’une accession sociale à la propriété, car cela fait partie de la diversité nécessaire. Nous appuierons les projets innovants, favorisant l’accompagnement des personnes en demande d’urgence.
Nous agirons pour la généralisation, dans l’ensemble du parc d’habitation public et privé, des normes environnementales, pour l’application des normes réduisant les factures énergétiques et les émissions de C02 et pour l’émergence d’une filière de l’écoconstruction.
Voilà les bases d’une autre politique du logement, qui répondrait concrètement aux enjeux actuels. Ce sont toutes ces propositions dont nous devons discuter.
Celles que vous nous proposez aujourd’hui ne sont pas à la hauteur des enjeux auxquels notre pays et ses habitants sont confrontés. Ils ne font que les choux gras des promoteurs et des spéculateurs.
Par décence, mes chers collègues, votez cette motion de renvoi en commission, pour que, demain, vous puissiez vous présenter à visage découvert devant vos électeurs qui souffrent du mal-logement.
Pour ce qui nous concerne, c’est sur ce dossier que nous nous battrons durant la campagne électorale. Et nous dirons aux Français « Pour que ce soit possible, votez Front de gauche, pour que demain le centre de gravité soit bien à gauche. » (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

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Jean-Pierre
Brard

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