Interventions

Discussions générales

MRP - ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire

Mme la présidente. J’ai reçu de M. André Chassaigne et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. François Asensi.
M. Marc Dolez. On va entendre des choses intéressantes !
M. Jean-Christophe Cambadélis. C’est sympa pour les orateurs précédents !
M. François Asensi. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’Union européenne est dans l’impasse. Elle traverse une de ses plus graves crises, c’est un constat partagé. Cette crise est celle de la finance folle, de la spéculation et de la dérive bancaire.
Prétendre que nous sommes dans la crise du fait du surendettement des États est une contre-vérité ! Ce mensonge est au cœur de la règle d’or.
Il y a urgence à sortir des aveuglements idéologiques qui nous ont conduits à cette débâcle économique et sociale.
Les députés communistes, républicains, du Parti de gauche, profondément attachés à l’idéal européen de paix et progrès, sont pleinement engagés dans cette bataille.
Non, l’Europe économique ne souffre pas des dépenses, si utiles, de ses États membres. Elle souffre de sa soumission au capitalisme financier et à ses logiques spéculatives.
Non, l’Europe politique ne pâtit pas de l’expression démocratique des citoyens européens. Elle pâtit d’une construction coupée des peuples, véritable monstre technocratique.
Endossée aussi bien par les sociaux-démocrates que par les libéraux-conservateurs, cette tragique erreur de diagnostic nous conduit à l’Europe de la misère et du chômage de masse ! Ce n’est pas une formule, dans un continent où 115 millions de personnes sont menacées de pauvreté ! Où plus de 50 % des jeunes Espagnols ou des jeunes Grecs sont au chômage !
À mauvais diagnostic, mauvais remède.
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance n’est pas une cure salutaire, mais une potion si amère qu’elle risque d’anéantir l’économie européenne, de nourrir la défiance des peuples et de faire le jeu des pires nationalismes.
Votre règle d’or est une arme antidémocratique, antisociale et antiéconomique. Le traité que nous examinons aujourd’hui n’a rien d’anecdotique, contrairement à ce que prétend le Gouvernement depuis plusieurs semaines, avec l’aide du Conseil constitutionnel. Si tel était le cas, pourquoi un tel entêtement de la part de l’Allemagne ? Pourquoi un tel empressement du Gouvernement, qui engage la procédure accélérée pour couper court au débat avec les Français ?
Les dirigeants européens tentent de masquer les véritables enjeux de ce texte, rendu complexe à dessein. Mais les citoyens ne sont pas dupes.
Premièrement, ce traité bafoue la souveraineté du peuple français.
Deuxièmement, il transfère l’élaboration du budget de la nation aux institutions européennes et à leurs experts non élus.
Troisièmement, il vide de sa substance parlementaire notre assemblée.
Quatrièmement, il s’oppose au caractère social de notre République et détricote le programme du Conseil national de la Résistance.
Ce traité dicte à notre pays ses orientations politiques fondamentales, grave dans le marbre les politiques d’austérité et place les budgets nationaux sous tutelle et sous sanction. Il remet ainsi gravement en cause les fondements constitutionnels de notre démocratie, de notre République. Je m’attacherai à vous en convaincre en défendant cette motion de rejet préalable.
Chaque jour, la construction européenne aggrave un peu plus son déni démocratique. Une Europe sans les peuples, voilà le projet que vous semblez défendre ! Le traité d’austérité européen en est le dernier avatar. Le principe de souveraineté du peuple, inscrit à l’article 3 de notre Constitution, devient une formule plus qu’une réalité. Quitte à déranger, je tiens à rappeler que la crise démocratique en Europe a des racines profondes et des acteurs bien identifiés. En 2005, les peuples français et néerlandais ont repoussé le traité constitutionnel. À l’époque, nous avions gagné ensemble, monsieur le ministre des affaires étrangères !
Ce non à l’Europe des marchés financiers et à la concurrence libre et non faussée n’a pas été écouté. Nous payons encore le prix de cet autisme. À peine deux ans plus tard, en effet, le traité de Lisbonne reprenait les mêmes dispositions, de l’aveu même de son rédacteur, Valéry Giscard d’Estaing. Pour assurer le succès de ce passage en force, interdiction était faite aux États membres d’organiser un referendum sur ce texte. L’Irlande, seul pays constitutionnellement tenu à une consultation de son peuple, a dû s’y reprendre à deux fois pour parvenir à son adoption, en exerçant un chantage indécent en faveur du oui. En France, l’abstention de la majeure partie des députés socialistes et écologistes au Congrès de Versailles a permis à la droite de faire adopter ce traité. Ce fut une véritable forfaiture !
Après tant de scrutins foulés aux pieds, comment s’étonner de la défiance des citoyens à l’égard de la construction européenne ? Comment expliquer autrement le désamour des Européens et en particulier des Français envers l’Union ? Pour notre part, nous avons toujours défendu une même position. À chaque étape majeure de la construction européenne, le peuple doit être associé et consulté. Ses choix doivent être respectés. C’est le sens de la proposition de loi constitutionnelle de mon ami Marc Dolez, prévoyant que tout traité modifiant en profondeur nos institutions soit soumis aux Français.
Depuis 2005 et la trahison de la souveraineté populaire, jamais les Français n’ont été consultés sur l’orientation de l’Union européenne. Depuis ce péché originel, l’Europe avance contre les peuples. Il existe un principe républicain, simple et basique, auquel nous tenons : ce que le peuple a fait, seul le peuple peut le défaire. La souveraineté du peuple est inaliénable et les parlementaires ne peuvent être une nouvelle fois les censeurs du peuple. Le Conseil constitutionnel, garant de ce principe, aurait dû déclarer ce traité budgétaire européen incompatible avec notre Constitution.
La constance de notre position tranche singulièrement, disons-le, avec les engagements reniés de la social-démocratie. Comment accepter que le déni démocratique orchestré par M. Sarkozy et Mme Merkel se poursuive dans notre pays après l’élection d’un Président de la République de gauche ? Qu’il est loin, le temps où celui qui est aujourd’hui Premier ministre défendait une motion appelant à la consultation des Français, par référendum, sur la ratification du traité de Lisbonne ! Le référendum, disait-il, « est une exigence démocratique. Parce que l’Europe le vaut bien. Parce que c’est le droit des Français ». « Je ne veux plus, ajoutait-il, de cette Europe obscure, de cette Europe honteuse. Je veux une Europe au grand jour. »
M. André Chassaigne. Je n’ai pas bien entendu. Qui tenait ces propos ?
M. François Asensi. Jean-Marc Ayrault.
M. André Chassaigne. Ah !
M. François Asensi. Alors pourquoi ne pas consulter les Français sur ce traité budgétaire dont les conséquences pour notre pays sont majeures ? Le choix de contourner une révision de la Constitution pour masquer les enjeux n’honore pas notre Gouvernement, je le dis très sincèrement. Qu’il est loin, le temps où les socialistes s’abstenaient de voter le mécanisme européen de stabilité pour marquer leur refus du traité budgétaire ! Qu’il est loin, le temps où le candidat François Hollande s’engageait de la manière la plus explicite à renégocier ce traité à la faveur de son élection ! Cette promesse, énoncée dans le discours du Bourget et inscrite dans les engagements de campagne, a succombé devant l’intransigeance de l’Allemagne et, je crois, devant la peur d’affronter les marchés financiers et les spéculateurs.
Hormis un pacte de croissance assez maigre et relégué en annexe, le traité accepté par le Gouvernement français lors du Conseil européen de juin dernier n’a bougé d’une seule virgule. Oubliées, les conditions posées par François Hollande concernant la création d’eurobonds ou l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, celle-ci étant encore reportée de plusieurs mois ! Quelques mois à peine après l’élection présidentielle, ce renoncement creuse encore plus le fossé entre la politique et les citoyens. Dans ces conditions, rien d’étonnant à voir dimanche dernier des dizaines de milliers d’électeurs de François Hollande – j’insiste bien : il s’agissait d’électeurs de François Hollande –manifester contre le traité Sarkozy-Merkel et pour une Europe sociale et solidaire. Comment ne pas leur donner raison ? La souveraineté du peuple est à nouveau bafouée !
En validant la transposition du traité par une loi organique, le Conseil constitutionnel a dépossédé les Français de leur vote. C’est inacceptable. Peu osent l’avouer, mais les élites politiques et administratives sont convaincues que l’Europe est trop complexe pour les citoyens. Les Français ne seraient pas capables de comprendre des sujets aussi sérieux alors même qu’ils concernent leur avenir ! Dimanche, le ministre du budget estimait, non sans condescendance, que les manifestants contre le traité d’austérité commettaient une erreur de fond. De la droite à la social-démocratie, ce dessaisissement des citoyens fait consensus.
Nous nous y opposons. On ne peut continuer à construire une Europe sans les peuples. J’ai entendu hier M. Borloo parler à cette tribune, et de manière prolixe, de chiffres, de graphiques, de résorption des déficits budgétaires. Je ne l’ai pas entendu prononcer un seul mot au sujet des peuples, du chômage, des jeunes, des indignés qui manifestent en Grèce, en Espagne, un peu partout. Jamais ! C’est absent, ça n’existe pas !
M. André Chassaigne. C’est culturel, ça !
M. François Asensi. La démocratie représentative que nous incarnons s’effacerait donc devant une démocratie des experts – juges, économistes, financiers –, qui s’arrogent le droit de décider des orientations politiques les plus fondamentales. De l’Italie à la Grèce, les gouvernements font d’ores et déjà la part belle à ces experts, qui ont, le plus souvent, émargé dans des banques d’affaires et défendent ardemment un parti pris ultralibéral. De l’Italie à la Grèce, les gouvernements d’union nourrissent le sentiment désastreux qu’il n’existe aucune voie politique alternative. Cette évolution alarmante imprègne le cœur du traité d’austérité. Le politique s’efface devant l’économique et les marchés financiers exigent de placer les nations en pilotage automatique.
Dans son dernier essai, le philosophe allemand Habermas, pourtant ardent défenseur de la construction européenne, met en garde contre un traité européen d’austérité qui, écrit-il, « permettrait de transférer les impératifs des marchés aux budgets nationaux sans aucune légitimation démocratique propre ». Il dénonce en termes forts et lourds de sens une Europe post-démocratique.
En France, ce gouvernement des juges et des experts adviendra si ce traité est adopté. Il prendra les traits du Haut comité des finances publiques : cheval de Troie de la Commission européenne, il veillera au respect des critères de réduction des déficits et rognera les pouvoirs du Gouvernement, pourtant chargé de conduire la politique de la nation. Pour cette mission, il n’aura reçu aucun mandat de nos concitoyens.
Le Conseil constitutionnel, autre étage de la fusée austéritaire, contrôlera la conformité des lois de finances à la règle d’or et pourra les censurer, là encore, sans mandat. Nous nous interrogeons, avec de nombreux juristes, sur la constitutionnalité de cette nouvelle compétence obligatoire dévolue au Conseil constitutionnel par le biais d’une simple loi organique.
J’en viens au cœur de mon propos, c’est-à-dire les dispositions mêmes du traité d’austérité qui bafouent notre souveraineté. Sa constitutionnalité fait débat, c’est le moins que l’on puisse dire ! La vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel, Anne-Marie Le Pourhiet, déclarait cet été : « Je trouverais incroyable qu’on estime que le traité budgétaire ne porte pas atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale alors que, pour cette raison précise, il a dû être ratifié en Allemagne à la majorité des deux tiers. »
Constamment, lors des traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Lisbonne, le Conseil constitutionnel avait jugé que les transferts de compétences portaient atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale. Mais l’incroyable est devenu réalité le 9 août dernier. Dans sa décision, le Conseil s’est écarté de cette jurisprudence, en avalisant un transfert de souveraineté sans modification constitutionnelle. Reconnaissons-le, cette décision est fondée sur des considérations politiques plus que juridiques. Dois-je rappeler ici que plusieurs membres du Conseil constitutionnel ont été les concepteurs des traités européens ? Y siègent notamment M. Valéry Giscard d’Estaing et, depuis peu, M. Sarkozy.
Comme l’affirme le constitutionnaliste Didier Maus, « le budget est une prérogative régalienne. C’est un des piliers de la souveraineté nationale. » Sous l’Ancien Régime, dans une France surendettée, la première décision du Tiers état a consisté à confier au peuple la pleine souveraineté sur la collecte de l’impôt et l’emprunt public. Par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Révolution française a placé les finances publiques au service de l’intérêt général.
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance constitue un terrible coup de boutoir contre ce principe de souveraineté du peuple en matière budgétaire. Quel parlementaire, quel républicain, quelle que soit son appartenance politique, peut accepter une telle régression ? Corseté par des règles absurdes et arbitraires, délocalisé à Bruxelles, poursuivi devant la Cour de justice au Luxembourg, notre budget ne nous appartiendra plus, chers collègues ! Subsisteront seulement des miettes de souveraineté budgétaire.
La règle d’équilibre budgétaire, qui n’est certes pas nouvelle, se trouve en effet considérablement durcie dans sa définition par un déficit structurel de 0,5 %. Plus préoccupant, le traité instaure un contrôle permanent et coercitif de la Commission européenne sur l’effort de réduction des déficits des États membres. Sa mission se résume à deux mots : surveiller et punir.
En cas de déficit trop important, un mécanisme de correction automatique frappe l’État concerné. En clair, il doit présenter pour approbation un programme de réformes structurelles à la Commission et au Conseil. La Commission a tout loisir de lui imposer des réformes structurelles désastreuses : programme de privatisations, flexibilité du marché du travail, baisse des dépenses sociales. Par l’article 7, chaque État devra soutenir les mesures antisociales imposées par la Commission à un État voisin. Que reste-t-il des relations bilatérales entre États ? En cas de non-respect de la discipline budgétaire, les États vertueux peuvent traduire en justice les États en difficulté et leur infliger de lourdes sanctions. Ce mécanisme de délation, détestable, sape la solidarité européenne !
Le traité qualifie ce processus de partenariat budgétaire et économique, mais il s’agit purement et simplement d’une mise au pas, qui s’ajoute aux dispositions du pacte de stabilité et de croissance et du six-pack. L’élaboration du budget de la France sera constamment placée sous l’étroite surveillance de la Commission européenne. Celle-ci confortera son rôle de directoire du capitalisme financier à l’échelle de l’Europe. En amont, les orientations budgétaires des États devront être validées, en mai et juin, par les instances européennes. En aval, les projets de loi de finances trop dépensiers pourront être attaqués et détricotés selon les canons de l’ultralibéralisme. Un nouveau pas est franchi vers un fédéralisme européen autoritaire.
Malgré ces bouleversements majeurs, le Conseil constitutionnel a jugé que ce traité n’apportait rien de nouveau ! Une telle mauvaise foi est remarquable ! Le Gouvernement prétend que la ratification du traité renforcera la souveraineté de la France. C’est difficilement soutenable, devant ces éléments. Quelle souveraineté asseoir sur l’asservissement à la finance ? Quelle souveraineté préserver dans la soumission à l’orthodoxie allemande ?
Nous ne sommes pas opposés – ce que je vais dire va peut-être vous surprendre – à des transferts de souveraineté, mais à la condition qu’ils soient consentis par les peuples et placés sous leur contrôle. Rien de tel dans ce traité d’austérité budgétaire. Face à un projet fédéraliste qui vise en réalité à la dissolution de la sphère publique dans le marché, nous défendons plus que jamais une Europe des peuples basée sur une coopération renforcée des États nations.
Je souhaite également, mes chers collègues, souligner le reniement absolu du parlementarisme dont ce traité est porteur. Le vote de la loi de finances représente, comme le souligne le constitutionnaliste Jean Gicquel, l’acte politique le plus important de l’année. La pratique présidentialiste sous la Ve République a grandement dénaturé nos institutions, ainsi que la prééminence du Parlement en matière budgétaire, pourtant reconnue par les articles 24, 39 et 47 de notre Constitution. La ratification de ce traité marquera un nouvel affaiblissement, pour ne pas dire l’extinction de nos pouvoirs budgétaires.
Que se passera-t-il demain ? Le budget, issu de négociations communautaires, sera ficelé et la discussion parlementaire se tiendra au sein d’une simple chambre d’enregistrement. Nos amendements seront systématiquement écartés par le Gouvernement, au prétexte de satisfaire à la discipline budgétaire imposée par Bruxelles. Bientôt, mes chers collègues, nous regretterons la clémence de l’article 40 ! Le Haut comité des finances publiques occupera la place de co-législateur, en qualité de chien de garde de la règle d’or.
L’article 13 du traité résume et consacre l’abaissement des Parlements nationaux. En guise de renforcement de leur rôle dans les institutions européennes, ces derniers se réuniront en conférence. Dans quel but ? « Débattre », « discuter », ce sont les termes employés. Cette supercherie est consternante. Fini le vote du budget ; place à la simple discussion ! Mes chers collègues, avons-nous été élus pour cela ? Accepterez-vous de siéger dans une chambre fantoche où tout se discutera et où rien ne se décidera ?
La proposition de résolution de M. Christophe Caresche sur l’ancrage démocratique du gouvernement économique européen démontre d’ailleurs un certain malaise. Cet ancrage n’existe plus, le bateau est à la dérive.
La réaffirmation, par les mots, de la souveraineté budgétaire des Parlements nationaux ne masque pas son affaiblissement dans la réalité. Députés communistes, républicains et du Parti de gauche, nous nous opposons à cette grave atteinte à la nature parlementaire de notre République et au spectre d’un véritable gouvernement des juges et des experts.
Ce traité d’austérité renferme aussi une attaque au caractère social de notre République.
Allons droit au but : ce traité, je le dis solennellement, interdira purement et simplement de mener une politique de gauche en France. J’irai même plus loin : il interdira de mener une politique social-démocrate dont votre gouvernement se revendique.
Comment ne pas voir que ce traité bloquera tous les fondements économiques de telles politiques : refus de la relance budgétaire, refus de l’investissement public dans l’économie, refus de l’utilisation de l’arme monétaire ?
J’ai lu, dans une interview au Monde, que M. Moscovici se réclamait de Keynes. Mais plus on en parle, moins on en fait !
Monsieur le Premier ministre a déclaré à propos du traité de Lisbonne : « On n’institutionnalise pas le libéralisme. On ne grave pas dans le marbre la concurrence libre et non faussée. ». Je regrette, mais j’ai le sentiment que Jean-Marc Ayrault a changé d’avis.
On ne dira jamais assez que figer des politiques économiques dans la loi est une absurdité, de l’avis même des économistes. Le politique se prive alors de toute marge de manœuvre pour agir avec discernement et pragmatisme devant une conjoncture économique toujours changeante. Il s’agit d’idéologie pure et de mauvaise gestion économique.
Mais les ultralibéraux se moquent du bien-fondé de leur dogme. Leur seul but est de réduire à néant la place de l’État dans la société et de faire place nette pour la loi du marché, la loi du plus fort, et le développement sans borne des inégalités.
Dans le cadre de ce corset budgétaire absurde et inefficace du traité européen, comment imaginer mettre en œuvre le préambule de 1946, partie intégrante de notre Constitution ? Qu’en est-il de ce qui est gravé dans le marbre de notre loi suprême : de la garantie de la sécurité matérielle, de la protection sanitaire, du repos et des loisirs ; de la propriété collective des services publics et des monopoles ; de l’égal accès à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ; de la prise en charge de toute personne dans l’incapacité de travailler ?
Je ne crois pas inutile de rappeler le premier article de notre Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. ». Quel sens donner à cette République sociale avec une austérité gravée dans le marbre ? De fait, l’ensemble du legs du Conseil national de la Résistance est remis en cause.
En limitant à 0,5 % le déficit de toutes les administrations publiques, le traité impose une triple camisole néolibérale : une camisole sur le budget de l’État, une camisole sur le budget de la sécurité sociale, et une camisole sur le budget des collectivités locales.
Les coupes drastiques prévues dans le projet de loi de finances pour 2013 illustrent les méfaits de ce malthusianisme économique. Baisse du nombre de fonctionnaires, étranglement du budget des collectivités, frein aux dépenses sociales, hausse des taxes indirectes ne sont que l’avant-goût de reculs plus durs encore.
Mais n’oublions pas que sans l’investissement et l’endettement de l’État, bien peu de droits sociaux et d’innovations technologiques auraient vu le jour dans notre pays. Nous sommes en train de scier la branche du progrès sur laquelle notre société repose. C’est cela dont les Français qui ont porté la gauche au pouvoir prennent conscience, ou du moins une grande partie d’entre eux.
Antidémocratique et antisociale, la règle d’or est une absurdité économique. Des voix autorisées s’élèvent, chaque jour plus nombreuses, pour tirer la sonnette d’alarme. Les doutes s’expriment également dans la majorité sur l’objectif de réduction des déficits à 3 % du PIB, qualifié par certains d’objectif « intenable ». Le rapporteur de la commission des affaires européennes a lui-même évoqué une « obsession contre-productive » et un « fétichisme » des 3 %.
Ne nous mentons pas à nous-mêmes : l’austérité mène impitoyablement à la récession. C’est la conclusion d’une étude récente de l’OFCE sur l’application de l’austérité en France. Le FMI est tout aussi direct : selon ses analyses, respecter le critère des 3 % conduirait automatiquement à une augmentation de 300 000 du nombre des chômeurs en France.
Les prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman ont démontré depuis de nombreuses années l’échec des plans d’austérité autrefois appliqués dans les pays en développement par le FMI, et désormais sur le Vieux Continent. Après neuf plans d’austérité, la Grèce s’enfonce dans la récession et son déficit s’accroît. Soyons clairs : ce traité ne répond pas à la crise, il l’aggrave.
Pourquoi refusez-vous d’écouter les oppositions politiques, intellectuelles, syndicales, qui rejettent ce traité ? Pourquoi s’entêter dans des politiques inefficaces ? Pourquoi chercher à tout prix à sauver les créanciers, au détriment des peuples ?
Car telle est la ligne de fracture, aujourd’hui, devant un surendettement historique. La ligne de partage n’est plus entre libéraux et sociaux-démocrates. La social-démocratie est en grande difficulté. Elle est en voie d’extinction en Europe depuis qu’elle a abandonné le keynésianisme pour faire siennes les armes du libéralisme : baisse du coût du travail, privatisations, réduction des dépenses publiques.
La ligne de partage se situe désormais entre ceux qui veulent à tout prix sauver les créanciers, sauver l’économie virtuelle, et ceux qui veulent sauver l’économie réelle, les emplois, les salaires, les amortisseurs sociaux à la crise.
Comme les gouvernements Zapatero, Papandréou ou Schröder, votre gouvernement semble avoir pris le parti de sauver la finance et de répondre aux diktats des marchés financiers plutôt que de les affronter.
M. André Chassaigne. Très juste !
M. François Asensi. Si François Hollande déclarait il y a quelques mois que l’ennemi était la finance – et il avait raison –, Pierre Moscovici apporte un petit amendement et déclare désormais que l’ennemi n’est plus la finance mais la dette. Ce changement radical est révélateur. Vous vous prêtez à la mystification de l’Union européenne et des libéraux présentant le surendettement des États comme cause de cette crise. Ne confondons pas cause et conséquence, n’inversons pas l’ordre des facteurs ! Souvenons-nous que les États aujourd’hui les plus en difficulté, comme l’Irlande ou l’Espagne, étaient parmi les moins endettés avant l’éclatement de la crise financière de 2008 !
La dette est la résultante de la crise financière des subprimes, et du rachat par les États des dettes pourries des banques privées.
Députés communistes, républicains, du Parti de gauche, nous avons conscience de l’impasse économique où vous nous menez. Nous avons conscience du désastre moral qui guette l’Europe, propre à faire ressurgir les pires idéologies. Contre l’Europe des égoïsmes, de la concurrence par le bas, imposée par l’Allemagne et par les marchés financiers, nous voulons ouvrir d’autres perspectives.
Nous plaidons pour un pôle public européen, sous le contrôle des citoyens et favorisant l’emploi. Nous plaidons pour la possibilité de prêt direct aux États par la Banque centrale, pour les libérer du chantage des marchés financiers et réinvestir vers l’économie productive les dizaines de milliards d’intérêts versés par la France aux banques privées. Nous plaidons pour la mise en place immédiate d’une taxe sur les transactions financières et de mécanismes visant à briser la spéculation et l’évasion fiscale.
Sous cette nouvelle majorité, ces propositions de bon sens, de gauche, devraient faire consensus et faire au moins l’objet d’un débat. Elles devraient être des bases de négociations avec nos partenaires européens.
Je crois avoir montré, qu’en plus de bafouer notre souveraineté et l’équilibre des pouvoirs, ce traité n’a pas lieu d’être car il n’apporte aucune réponse valable à la crise.
Alors, oui, il y a toutes les raisons d’adopter cette motion de rejet et de travailler à une réorientation profonde des traités européens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. André Chassaigne. C’était excellent, monsieur Asensi ! Et vous avez touché là où ça fait mal !

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François
Asensi

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