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Ordonnances qualifications professionnelles dans le domaine de la santé - Nlle lect.

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, avant d’aborder précisément le contenu des deux ordonnances qui nous occupent aujourd’hui, je voudrais rappeler quelques éléments de contexte récent, qui n’apporteront malheureusement rien de positif.
Il y a quelques jours, la majorité a voté le budget de la santé pour 2018, et ce premier projet de loi de financement de la Sécurité sociale nous inquiète à plusieurs titres. Il poursuit une politique d’ajustement par les dépenses, sans création de recettes nouvelles. Il prévoit 5,2 milliards d’économies sur les dépenses sociales, dont 4,2 milliards sur les dépenses de santé, dans le but de rétablir, à marche forcée, les comptes sociaux. Les hôpitaux, exsangues, sont, une fois de plus, visés.
En revanche, rien n’est fait pour améliorer les recettes, alors que le montant de la fraude patronale aux cotisations sociales, estimé il y a plusieurs années à 20 milliards d’euros par an, reste toujours aussi élevé. La fiscalisation du financement de la Sécurité sociale préfigure le détricotage de notre système solidaire, collectif et paritaire de protection sociale. S’y ajoute l’augmentation du forfait hospitalier, qui va accroître les restes à charge des patients, les complémentaires répercutant cette hausse dans leur tarif.
Ce carcan financier empêche de répondre aux besoins sanitaires et aux préoccupations de nos concitoyens, pourtant nombreux : vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, renoncement aux soins, déserts médicaux et, dans de nombreux départements, fragilisation de la protection de l’enfance. Alors que la priorité devrait être, selon nous, de déployer un service public de la santé sur tout le territoire, le Gouvernement et la majorité s’attellent, au contraire, à renforcer la désorganisation de notre système de soins.
J’en viens maintenant aux deux ordonnances qui, dans leur grande partie, ont été votées conformes par le Sénat, un seul article restant en discussion. Nous considérons qu’une meilleure prise en considération de la profession de physicien médical est une bonne chose. Elle était nécessaire. La reconnaissance de ce métier comme profession de santé va dans le bon sens, et nous aurions pu adopter cette ordonnance, si elle était votée indépendamment de la deuxième ordonnance. Je profite de l’examen de ce texte pour appuyer la revendication des agents de stérilisation en milieu hospitalier, qui réclament également la reconnaissance de leur métier comme profession de santé.
En revanche, nous sommes plus que réservés sur l’ordonnance qui vise à transposer en droit français diverses dispositions européennes. L’une des plus sensibles concerne l’accès partiel aux professions de santé, qui avait été largement critiqué sur les différents bancs de notre hémicycle en première lecture. En application de la directive européenne de 2013, ce dispositif permettrait à des professionnels de santé provenant de pays européens d’exercer en France sans avoir toutes les qualifications exigées par l’État français. Autrement dit, certains soins infirmiers ou de rééducation pourront être réalisés par des praticiens qui ne disposent pas du titre d’infirmier ou de kinésithérapeute. Ils exerceront alors sous le titre qu’ils ont obtenu dans leur pays d’origine.
Rappelons que les syndicats et les ordres de santé s’étaient opposés à la quasi-unanimité à l’avis présenté le 27 octobre 2016 par le Haut Conseil des professions paramédicales, qui ouvre la voie à une segmentation des professions de santé. Depuis le vote en première lecture, en juillet dernier, le décret qui détaille les conditions de l’accès partiel a été publié, mais les mesures qui encadrent la reconnaissance de l’accès partiel paraissent bien faibles. Dans le même temps, les professionnels de santé continuent d’être inquiets, comme en témoigne l’alerte lancée par les kinésithérapeutes dans une tribune publiée le 13 novembre, qui dénonce l’ouverture de cette profession à des personnes insuffisamment qualifiées.
Nous continuons de craindre les conséquences directes qu’une telle mesure pourrait avoir sur l’organisation de notre système de soins. Sa transposition laisse craindre l’instauration d’une médecine à deux vitesses, qui aura des conséquences majeures sur l’organisation et la cohérence de notre système de santé. À cet égard, madame la ministre, vos explications n’ont pas réussi à me rassurer. Dans la mesure où la formation initiale et les compétences des métiers de santé sont différentes d’un pays à l’autre, l’ordonnance pourrait avoir des conséquences importantes en termes de clarté, mais aussi sur la qualité des soins dispensés aux patients. Compte tenu de la rigueur demandée aux professionnels de santé français, quelles seront les conditions encadrant l’accès partiel de praticiens européens aux professions de santé ?
L’accès partiel laisse craindre un système de santé au rabais, et une dégradation de la qualité des soins, puisque le niveau d’exigence en termes de formation et de qualification sera abaissé pour certaines professions de santé. Cela pose la question de la sécurité des patients, mais également des garanties en termes d’information pour les patients, au moment de la consultation du médecin. Comment savoir qu’ils consultent un professionnel qui ne dispose pas de toutes les qualifications requises ?
Surtout, ce texte ne fait pas oublier les lacunes de notre système de formation, qui aboutissent aujourd’hui à une pénurie de médecins, le plus souvent généralistes, dans de trop nombreux territoires. Rappelons qu’un Français sur dix vit aujourd’hui dans un désert médical. Ces professionnels seront opportunément recrutés par des établissements de santé en pénurie de personnels ou par nos collectivités frappées par la désertification médicale, ce qui serait évidemment de nature à renforcer les inégalités territoriales de santé. Il est plus qu’urgent d’agir pour cette véritable priorité nationale. Nous ne pouvons dresser qu’un constat d’échec des mesures incitatives destinées à attirer les médecins dans les régions sous-dotées. Vous prévoyez pourtant de les prolonger.
De notre côté, parmi d’autres mesures, nous proposons, depuis longtemps, de déplafonner le numerus clausus, pour garantir à nouveau un nombre suffisant de médecins à nos concitoyens. Nous pensons également utile de réfléchir à des dispositifs de conventionnement sélectif dans les territoires surdotés, comme le préconisent la Cour des comptes dans son dernier rapport sur le système de santé et, encore plus récemment, le Conseil économique, social et environnemental – CESE –, dans un rapport sur les déserts médicaux. Malheureusement, les orientations que vous avez prises dans votre Plan d’accès aux soins, annoncé le 13 octobre dernier, ne font que prolonger des mesures incitatives qui ont pourtant peu d’effets sur la réduction de la fracture sanitaire.
Surtout, une autre solution à la surtransposition de la directive par la France était possible. Le texte européen précise bien qu’un « État membre devrait être en mesure de refuser l’accès partiel » en cas de raisons impérieuses d’intérêt général. La santé publique et la sécurité des patients sont, en effet, des arguments. C’est d’ailleurs la voie choisie par l’Allemagne et l’Autriche, qui ont refusé de reconnaître a priori l’accès partiel pour certaines professions de santé. Nous aurions pu suivre ce chemin, mais ce n’est pas la solution que vous avez retenue. Nous le regrettons.
Nous estimons, par conséquent, qu’il serait plus judicieux de ne pas transposer cette mesure dans notre corpus législatif. Les députés du groupe GDR ne voteront donc pas, en l’état, ces dispositions qui, sous couvert de favoriser la libre circulation des professionnels de santé, semblent marquer une étape supplémentaire dans le projet européen de démantèlement des professions réglementées. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)

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