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Discussions générales

Orientation et programmation de la sécurité intérieure

Chacun s’accorde aujourd’hui sur le constat de l’insuffisance des moyens, matériels et humains, des forces de l’ordre pour mener à bien leur mission. Chacun mesure également le malaise grandissant de la profession. Le taux de suicide dans la police est supérieur de 36 % à celui de la population générale et les risques psychosociaux sont avérés.

Patrimoine immobilier vétuste, vieillissement du parc automobile, non-paiement de 25 millions d’heures supplémentaires, pression sécuritaire, instabilité permanente de la doctrine d’intervention, politique du chiffre : nous pourrions énumérer longuement les causes de ce malaise.

Face à cette situation préoccupante, nous soulignons, année après année, l’insuffisance des crédits de la mission « Sécurités » et plus spécialement des crédits qui intéressent la police et la gendarmerie. Ce constat est le point d’accord essentiel que nous ayons avec vous dans cette proposition de loi.

En 2019, l’essentiel de la légère hausse des crédits portait sur les effectifs. L’engagement de création de 10 000 emplois nets supplémentaires, sur le quinquennat, pour la police et la gendarmerie ainsi que le déploiement de la police de sécurité du quotidien constituent certes un signe encourageant. Pour autant, nous exprimons des doutes sur la réalisation de cet objectif à la fin du quinquennat. Après 1 400 emplois supplémentaires l’an dernier, le Gouvernement a programmé la création de 1 735 emplois en 2019, dont plus de 800 dans la sécurité publique et 260 dans la police de sécurité du quotidien. Il n’est pas besoin d’être un grand mathématicien pour constater que le rythme de recrutement des deux premières années est largement insuffisant pour atteindre l’objectif de 10 000 emplois – il faudrait créer 2 000 postes par an.

Dans mon département, la défaillance de l’État est patente. Le rapport d’information rédigé en mai 2018 par François Cornut-Gentille, sur l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, intitulé « La République en échec », décrit une mécanique dans laquelle, si les politiques spécifiques aux quartiers prioritaires sont souvent mises en avant, les politiques de droit commun ne sont pas respectées et restent bien en deçà de celles mises en place dans le reste du territoire.

En Seine-Saint-Denis, il y a moins de tout, moins de policiers, notamment. Moins d’un policier pour 400 habitants : c’est le ratio qu’atteignent des communes comme Bondy et Stains, avec un taux de délinquance – nombre de faits constatés pour 1 000 habitants – supérieur à 100 ‰. Juste à côté, à Paris, le ratio est d’un policier pour 200 habitants, c’est-à-dire le double. C’est pourquoi on peut parler d’une véritable rupture de l’égalité républicaine.

Le budget reste également insuffisant en matière d’immobilier et d’équipement. Les crédits consacrés à l’équipement progresseront certes de 15,8 millions d’euros en 2019 – comme l’a noté M. le secrétaire d’État –, mais le montant consacré, par exemple, au renouvellement de la flotte des véhicules légers diminue, en dépit des besoins.

Les syndicats ont d’ailleurs rappelé les attentes de la profession en matière de renouvellement du parc automobile, mais aussi de revalorisation des heures de nuit, des astreintes ou de paiement des heures supplémentaires. Or le règlement du stock des 25 millions d’heures supplémentaires ne fait toujours pas l’objet d’une enveloppe dédiée.

À l’instar des policiers et gendarmes eux-mêmes, nous invitons depuis des années, budget après budget, les gouvernements successifs à prendre à bras-le-corps la question de la souffrance au travail et à reconsidérer la vision managériale de la sécurité intérieure.

Le taux de suicide chez les policiers et gendarmes, je l’ai dit, est trois fois supérieur à celui de la population moyenne. Nous ne devons pas nous accoutumer à ces drames qui témoignent d’une souffrance au travail et d’une forme de maltraitance subie par les forces de l’ordre.
C’est pourquoi, il y a quelques semaines, j’ai demandé au nom de mon groupe, la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions de travail, afin de poser un diagnostic et d’établir un plan de prévention agissant sur les causes profondes de ce phénomène tragique. J’espère que notre demande sera acceptée.

Cette terrible souffrance au travail sur fond de pression hiérarchique, de politique du chiffre, de contrôles accrus et de perte d’autonomie professionnelle appelle également une remise à plat de la doctrine d’intervention des forces de sécurité.

Nous regrettons l’abandon – avant même le terme de l’expérimentation – de la police de proximité. La relation entre police et citoyens s’est profondément dégradée. Elle souffre de ce que la police française est davantage une police d’ordre, tournée vers la sécurité de l’État, et de lutte contre la grande délinquance, qu’une police de la sécurité quotidienne, laquelle fait figure de parent pauvre. Il ne s’agit pas de proclamer que l’on crée une police de sécurité du quotidien. Il faut aussi faire évoluer la doctrine et lui assigner la tâche de retisser les liens entre la police et les citoyens.
Faire exister la police de sécurité du quotidien ne consiste pas seulement à envoyer des renforts d’effectifs dans des départements et des quartiers identifiés, à renforcer la coordination entre préfets et procureurs dans la lutte contre les trafics ou à organiser des réunions de quartier. C’est certes nécessaire. C’est un progrès, mais cela ne suffit pas à conforter policiers et gendarmes dans l’idée de l’utilité sociale de leurs tâches quotidiennes ni à créer un lien de confiance indispensable avec la population.

Rappelons qu’aucun bilan sérieux n’a été tiré de l’expérience de la police de proximité, qui n’a jamais pu, dans les faits, pu être conduite à son terme. La droite au pouvoir a voulu lui substituer une police exclusivement préoccupée de maintien de l’ordre et de lutte contre la grande délinquance, une police très centralisée qui ôte toute autonomie aux agents, une police toujours plus spécialisée enfin, qui déprécie le travail de généraliste et, au final, fait des policiers de simples maillons d’une chaîne pénale dont ils ignorent le reste.

La gendarmerie nationale a longtemps incarné au contraire le modèle d’une police de proximité capable d’utiliser toutes les palettes de l’action, de la médiation à la force, en garantissant aux agents une certaine autonomie. C’est sur un modèle analogue qu’il nous faut rebâtir une police de terrain, en nous assurant de moyens budgétaires suffisants pour soutenir une politique de recrutement et d’équipement ambitieuse.

À l’inverse de cet objectif, les mesures proposées par ce texte – en dépit de l’augmentation des moyens, à laquelle nous souscrivons – ne visent qu’à aggraver des sanctions. De tels coups de menton nous laissent toujours dubitatifs. Je garde un souvenir précis des déclarations tonitruantes de Nicolas Sarkozy qui voulait nous faire adopter séance tenante une loi interdisant l’occupation abusive des halls d’immeuble. Malheureusement, toutes les discussions que j’ai pu avoir avec les commissaires successifs de ma ville de Saint-Denis m’ont convaincu que le texte est inapplicable. Les policiers sont mis en difficulté pour accomplir leur mission, les délinquants rigolent et les habitants se retrouvent une fois de plus pris en otages entre des déclarations médiatiques et la réalité du terrain, sur lequel on ne constate aucune amélioration.

Alors, oui, il faut plus de moyens. J’espère que nous trouverons un consensus à ce sujet dans l’hémicycle. Mais ne répondons pas à la crise qui frappe la police par une fuite en avant, en votant des sanctions inapplicables qui ne seraient que des effets d’annonce. Ouvrons un grand débat, comme le demandent plusieurs syndicats dans une tribune. Ouvrons la discussion sur la rénovation de la doctrine du maintien de l’ordre et sur l’urgence de retisser des liens de confiance entre nos forces de l’ordre et la population.

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)

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