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PLF 2012 : Aide publique au développement

M. le président. La parole est à M. François Asensi.
M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur une planète accablée depuis 2008 par la crise du capitalisme financier, l’aide publique au développement est, plus que jamais, nécessaire pour promouvoir la réduction des inégalités Nord-Sud et le droit au développement des peuples.
Selon la Banque mondiale, 1,2 milliard de personnes vivent sous le seuil de l’extrême pauvreté. Les épidémies comme le sida ou le paludisme font toujours plus de ravages dans les pays en développement et la sécurité alimentaire de milliards d’individus reste très fragile, comme nous l’a montré la terrible famine qui sévit actuellement dans la corne de l’Afrique.
L’aide publique au développement n’est pas un geste de charité des pays les plus riches. Elle est la compensation, largement insuffisante, d’un système économique international fondamentalement injuste et inégalitaire. L’aide publique, aussi indispensable qu’elle soit, ne peut donc pas se substituer à l’absolue nécessité d’inverser le cours d’une mondialisation guidée aveuglément par la doctrine néolibérale.
Les résultats mitigés obtenus par la présidence française du G8 et du G20 démontrent l’absence de volonté de réforme des pays les plus riches. La régulation financière n’a pas progressé d’un iota, pas plus que la taxation des transactions financières et la mise au pas du libre-échangisme, notamment pour les produits agricoles.
Dans ce contexte, les pays en développement sont frappés par une triple peine. Premièrement, ils ont été les premiers à subir la brutalité des remèdes néolibéraux, sous la forme des plans d’ajustement du FMI : réduction du rôle de l’État, privatisation des services publics, développement des inégalités. Deuxièmement, ils sont désormais les premières victimes du chaos causé par le modèle ultralibéral, à travers le ralentissement économique mondial. Troisièmement, enfin, ils subissent le tarissement de l’aide au développement, car face à la crise, les pays développés font assaut d’égoïsme et l’aide publique sert de variable d’ajustement.
En conséquence, 18 milliards de dollars manquent à l’appel sur les 50 milliards d’aide promis par les États du G8 en 2005. Impossible, dans ces circonstances, d’espérer atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement fixés par l’ONU, pour diminuer l’extrême pauvreté de moitié d’ici à 2015 et améliorer l’accès des plus pauvres à la santé, à l’éducation et aux services publics.
Contrairement à ce que prétend le chef de l’État, l’aide publique au développement accordée par la France n’est plus à la hauteur. Son volume stagne à 3,3 milliards d’euros et ne représente que 0,45 % du PIB, loin de l’objectif des 0,7 % du PIB fixé par les Nations unies. Les ONG s’alarment de plus en plus du tarissement des subventions, qui empêche de nombreux projets de développement de voir le jour.
Quand la France se décidera-t-elle à respecter ses engagements ? Le diable se niche dans les détails. Comme chaque année, un examen approfondi du budget de la mission « Aide publique au développement » nous amène à relativiser encore plus l’effort français. Près de la moitié du budget est, en réalité, constituée de prêts ou d’annulation de dettes. En quoi les annulations de dette sont-elles une aide au développement ?
Mme Henriette Martinez, rapporteure pour avis. Si, elles sont une aide !
M. François Asensi. Dans la plupart des cas, les pays emprunteurs ont déjà remboursé plusieurs fois le montant de ces prêts et, par le service de la dette, ont encore enrichi nos économies développées. Par ailleurs, combien de remises de dettes ont été accordées par les pays riches à des régimes autoritaires, qui ont détourné l’argent pour leur profit et celui de certaines multinationales, sans en faire profiter leur population ?
Il s’agit, ni plus ni moins, de manipulations comptables visant à gonfler les statistiques de l’aide française, qui avoisine en réalité 0,3 % de notre PIB. La faiblesse du volume de l’aide publique française est un premier motif interdisant aux députés du groupe GDR d’adopter les crédits budgétaires pour 2012.
La manière dont cette aide est utilisée est un deuxième motif de désapprobation. Je déplore que l’aide publique se réoriente progressivement vers le soutien aux pays émergents et intermédiaires comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, parfois peu respectueux des normes sociales et environnementales. Que la France se préoccupe de son rayonnement économique international et conforte ses échanges avec les pays en forte croissance, c’est tout à fait naturel et indispensable pour favoriser l’emploi dans notre pays. Mais est-il besoin pour cela d’instrumentaliser l’aide publique au développement ?
On constate que la Chine est le quatrième bénéficiaire de l’aide bilatérale française entre 2007 et 2009, avec 167 millions d’euros. C’est totalement incohérent, à l’heure où ce pays vole au secours de la zone euro ! A contrario, la France a réagi très timidement au moment où éclatait la famine en Somalie, en ne décaissant que 15 millions d’euros. Notre pays a montré plus d’empressement à débloquer des milliards d’euros pour renflouer les banques en perdition après la crise financière !
Le budget de l’aide publique au développement ne trompe personne. La France se sert de l’APD pour poursuivre ses propres intérêts, qu’ils soient économiques, géostratégiques ou militaires. Depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, la France s’est réorientée vers une aide « qui rapporte », comme le disait un ancien ministre de la coopération. À cet égard, la politique de l’Agence française de développement est édifiante. Son directeur, ancien acteur des privatisations d’entreprises publiques en Afrique, a fixé à cet organisme un objectif de rentabilité. Les prêts représentent 87 % de ses engagements, ce qui a permis à l’AFD de dégager un excédent de près de 220 millions d’euros. La France utilise ainsi la pauvreté pour engranger des profits !
Dans un certain nombre de pays, notamment en Afrique subsaharienne, l’aide publique au développement est un instrument de domination économique et politique. Elle sert à maintenir le pré carré de la France, quitte à fermer les yeux sur certaines violations des droits de l’homme et sur la corruption. Les malversations des réseaux de la Françafrique, régulièrement dénoncées par les ONG, alimentent plus que jamais l’actualité politique. Que sont devenues les promesses du candidat Sarkozy qui, en 2007, disait vouloir le démantèlement de la Françafrique ?
Les millions d’euros déversés en aide bilatérale à des régimes dictatoriaux amis, comme le Cameroun ou le Congo-Brazzaville, n’honorent pas notre pays. Quelles en sont les contreparties ? Même si elle s’en défend, la France conditionne officieusement une partie de son aide à l’obtention de contrats juteux pour des multinationales françaises. Les multiples retours financiers vers notre pays sont répréhensibles éthiquement et légalement. À nos yeux, ce pan de l’aide publique au développement est inacceptable.
Le Gouvernement, en favorisant les intérêts d’une poignée de multinationales et de réseaux occultes, ne défend aucunement l’intérêt de la France. Notre véritable intérêt est de promouvoir un développement équilibré de la planète. Comment imaginer que notre pays pourra rester à l’abri des chamboulements du monde ? Comment croire que nous pourrons être épargnés par la hausse des violences liées à la pauvreté et aux inégalités ? Comment penser que nous resterons à l’écart des puissants flux migratoires qui en résultent ?
Notre richesse ne pourra guère s’asseoir plus longtemps sur la misère d’autres peuples. La mondialisation néolibérale, dont la crise des dettes publiques est la dernière arme, ne peut se poursuivre, sauf à ce que nous prenions le risque de conduire notre planète au bord du précipice. Les députés communistes, républicains, citoyens du Parti de gauche, défendent une tout autre vision de la coopération internationale et de la promotion d’un développement respectueux de critères sociaux et environnementaux.
Pour cela, nous devons mettre fin à la politique du laisser-faire des institutions internationales, à commencer par le FMI et l’OMC. Nous devons interdire purement et simplement les transactions dans les paradis fiscaux. Nous devons aller au-delà de l’aide publique au développement, outil structurellement dépendant du bon vouloir des États, en instaurant enfin une taxe sur les transactions financières. Les députés de notre groupe parlementaire portent depuis très longtemps cette juste revendication des ONG du développement et du mouvement altermondialiste.
Une taxe sur la finance au taux de 0,05 % pourrait générer jusqu’à 400 milliards de dollars par an – or, on sait que 25 milliards de dollars suffiraient, selon la FAO, pour éradiquer la faim sur la planète. Le Président de la République avait fait de cette taxe un objectif phare de la présidence française du G8-G20. Je dois dire que, pour l’instant, les efforts déployés ont engendré des résultats décevants. Si les déclarations en faveur de cette taxation des transactions financières se multiplient lors des sommets internationaux, nous nous désolons de constater que cette idée n’avance qu’à petits pas.
Il y a pourtant urgence. L’heure n’est plus à la réflexion, mais à l’action. Les grandes puissances ont une dette envers les pays en développement. Une dette historique, une dette économique, une dette politique et, ajouterai-je, une dette morale. Il est grand temps de la solder.

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François
Asensi

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