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Discussions générales

PLF 2016 (commission élargie) : Action extérieure de l’Etat

Après une décennie d’hémorragie budgétaire, le groupe de la gauche démocrate et républicaine pourrait se féliciter de la hausse des crédits pour 2016 ; mais celle-ci s’explique essentiellement par la détérioration du taux de change. Nous demeurons donc dans le cadre de l’austérité, à tout le moins de la contrainte budgétaire. Le plan triennal déjà évoqué affaiblit notre action extérieure : baisse de 3 % des crédits, suppression de 450 emplois équivalents temps plein, dont 115 cette année…
Monsieur le ministre, vous avez déjà largement répondu aux questions posées par ce budget. J’espère ne pas être hors sujet en abordant la question du Moyen-Orient.
Je cherche vainement la cohérence des initiatives françaises, notamment en Syrie. La France n’a pas été invitée à la conférence de Vienne ; en réponse, elle organise une conférence avec les alliés sunnites et l’OTAN, excluant à son tour les Russes et les Iraniens. Ne tournons pas un remake de la Guerre froide, avec une guerre par procuration que se livreraient sunnites et chiites !
Monsieur le ministre, peut-on justifier par « ni Daech ni Bachar Al-Assad » le soutien apporté, notamment par la livraison d’armes, par l’Arabie saoudite ou le Qatar à des organisations terroristes comme Al-Nosra, alors que l’Armée syrienne libre a été pratiquement dépouillée de ses armes au bénéfice de ces organisations criminelles ?
Quelle analyse faites-vous de la stratégie russe dans la région ? Celle-ci vise-t-elle à maintenir coûte que coûte un dictateur en place ou plutôt à entrer, et à rester, dans le jeu diplomatique et militaire du Moyen-Orient ? La réponse à cette question est importante, car elle conditionne la position de notre diplomatie et la possibilité d’établir un véritable front anti-Daech, aussi large que possible. Or, à mes yeux, la France joue sa partition de façon solitaire, certes avec les États sunnites, sans doute pour quelques contrats certainement intéressants. Ni la Grande-Bretagne, ni l’Allemagne, ni même les États-Unis ne semblent souhaiter partager le leadership que la France s’attribue et voudrait imposer dans la région.
Toutes les forces doivent contribuer à l’anéantissement de Daech : c’est le combat principal. Nous souhaitons tous le départ de Bachar Al-Assad, mais celui-ci passe, je crois, par une étape de stabilisation de la région. C’est au peuple syrien qu’il revient de battre politiquement ce dictateur ; en aucun cas la force n’y suffira.
Je souhaitais vous interroger sur ces points, car j’ai vraiment, je vous l’avoue, monsieur le ministre, du mal à comprendre la position de la France au Moyen-Orient.
Monsieur Asensi, vous m’interrogez sur la cohérence de la position française. Il faudrait évidemment une longue discussion. En tout cas, avant de dire que la France est écartée de telle ou telle conférence, je vous suggère d’attendre la fin de la semaine. Il nous arrive de travailler, et de travailler avec tout le monde, bien sûr ! Quel pays travaille avec les Américains, avec l’ensemble des pays arabes, avec les Iraniens, et avec les Russes ? La France !
Notre position, notamment sur M. Bachar Al-Assad, n’est pas suivie par tous, mais ce n’est pas une raison pour en changer. Observant votre propre pratique, cher ami, je n’ai pas le sentiment que n’être pas systématiquement suivi par la masse de la population française vous ait fait changer d’avis. Il en va de même pour notre diplomatie. Nous sommes indépendants, mais pas du bon sens ni de la justice et de l’efficacité.
Vous dites avoir du mal à comprendre la cohérence de notre position ; c’est une manière subtile et aimable de dire que notre position n’est pas cohérente. Ce n’est pas exact. Notre objectif, qu’il faut garder en vue sans se perdre dans les détails, même si c’est extraordinairement difficile, c’est de voir un jour une Syrie dont l’intégrité géographique soit préservée, qui soit en paix et dont les différentes composantes vivent côte à côte.
Pour en arriver là, il faut, bien sûr, lutter contre le terrorisme. Et je vous réponds tout de suite qu’il n’est pas question que nous armions des groupes terroristes. Cela n’aurait aucun sens, et la France ne mange pas de ce pain-là.
Les Russes disent lutter contre le terrorisme mais, jusqu’à présent, les évaluations de l’armée française – qui ne sont pas contestables – indiquent que 80 % de leurs frappes visent ceux que l’on appelle les modérés, et 20 % seulement Daech. Nous disons donc à nos partenaires russes que les actes doivent être conformes aux paroles ; nous leur disons que puisqu’ils disposent de forces importantes, d’avions en nombre, ils doivent frapper les objectifs terroristes et éviter de taper sur ceux qui ne le sont pas. Il y a d’ailleurs une contradiction effective dans le discours de ceux qui disent, d’une part, que tous ceux qui s’opposent à Bachar sont des terroristes, et, d’autre part, qu’ils sont prêts à discuter avec tout le monde en Syrie ! Il faut donc lutter contre le terrorisme, et nous le faisons.
Nous considérons également que si nous acceptions que Bachar Al-Assad soit l’avenir de la Syrie, nous pousserions dans les bras de Jabhat Al-Nosra ou de Daech la moitié au moins de la population syrienne qui a été victime des exactions de ce personnage ! Nous ne voulons donc ni des uns ni des autres – pour des raisons objectives, et absolument pas personnelles. J’ajoute que la dramatique expérience irakienne nous pousse à refuser un démantèlement de l’appareil d’État. Mais M. Bachar Al-Assad pose un problème spécifique. Nous discutons donc avec tous pour arriver à une solution, et pour qu’il cède la place.
Il n’y a là aucune incohérence : il faut lutter contre le terrorisme, et précisément pour ne pas alimenter celui-ci, il faut rechercher une solution politique, car évidemment la solution ne peut être militaire. Un mécanisme de transition doit aboutir, mais pas dans quinze ans, au départ de M. Al-Assad.
Vous m’interrogez également sur la stratégie russe. Elle est ambivalente. Au minimum, les Russes veulent conserver leur fief de Lataquié, qui n’était d’ailleurs pas en cause ; si possible, et c’est là que commence l’ambiguïté, ils souhaitent que M. Bachar Al-Assad reste au pouvoir. Laissons de côté, pour l’instant, la question morale – même si M. Bachar Al-Assad est évidemment un criminel contre l’humanité – et cherchons l’efficacité : nous devons arriver à faire évoluer la position russe sur ce dernier point. Or les Russes évolueront si nous réussissons à établir, sinon un rapport de forces, du moins un rapport d’opinions. Il faut pour cela qu’il y ait des pays dans le monde, des pays qui comptent, pour élever la voix et refuser que M. Bachar Al-Assad demeure durablement au pouvoir. Parmi ces pays, il y a la France.
Les Russes sont, je le répète, dans une situation – disons-le aimablement – ambivalente. Pour que la pièce finisse par tomber du bon côté, il faut que des pays, dont la France, qui n’ont ni agenda caché ni intérêts particuliers en Syrie, qui ne visent que l’intérêt général et la paix au Moyen-Orient, refusent que M. Bachar Al-Assad soit là pour l’éternité. Car, s’il devait se maintenir, il n’y aurait pas de paix en Syrie. Voilà la cohérence de notre position. Et, encore une fois, qu’elle ne soit pas partagée par tous n’est pas une raison pour la modifier.
J’ajoute, et vous devriez y être sensible, que c’est la position que nous avons constamment défendue. On peut changer d’avis, commettre des erreurs, mais si cette position avait été partagée dès le début, par les Russes peut-être, par les Américains à coup sûr, alors l’histoire en eût été changée.
Lorsque l’on écrira l’histoire, il faudra prêter une grande attention aux événements qui se sont déroulés en août 2013. Vous savez les armes chimiques, vous savez la « ligne rouge ». La France était prête, mais rien ne s’est fait parce que le président des États-Unis et nos amis britanniques ont refusé d’agir. Les historiens se demanderont si ce n’était pas là le point de basculement pour de nombreux événements ultérieurs. L’arme chimique avait été utilisée pour la première fois depuis des décennies ; elle avait provoqué des centaines de morts. Et alors que la principale puissance mondiale s’était engagée à intervenir, cet engagement n’a pas été tenu ! Les gouvernements arabes, mais aussi le dirigeant russe, observant cela, se sont dit qu’ils pouvaient peut-être se permettre d’autres interventions, sur d’autres continents. Bref, vous le comprenez, la Crimée et l’Ukraine sont en Syrie !
Nous en tirons les conséquences, non pas pour changer notre position, mais pour être ceux qui, dans le monde, affirment l’exigence de la liberté des peuples, et de la lutte contre les terroristes, mais aussi contre les dictateurs !

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François
Asensi

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