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Discussions générales

PLF 2016 (commission élargie) : Economie

Après ces deux heures et quarante minutes, j’ai dû réécrire mes cinq minutes d’intervention. Dans mon impatience, je voulais citer René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » Je ne le ferai pas, pour éviter une provocation qui serait pour partie inappropriée.
Parce que vous diminuez les crédits de la mission « Economie » de 80 millions d’euros, soit une baisse de près de 5 %, parce que vos coupes budgétaires se solderont par la suppression de 112 emplois après une réduction de 143 emplois en 2015, et parce que les dépenses de fonctionnement, d’intervention et d’investissement diminuent, comme l’an passé, de 9 %, je ne suis pas convaincu que vos désormais légendaires certitudes, monsieur le ministre Macron, ne présagent que du bon. Alexandre Vialatte disait d’ailleurs qu’« il ne faut pas piler le mil avec une banane trop mûre ». (Rires.)
Concernant le programme 134 relatif à la stratégie de développement des entreprises, les crédits pour 2016 s’inscrivent dans le prolongement de la loi pour la croissance et l’activité et de ses orientations d’accompagnement du libéralisme, ce libéralisme qui aurait selon vous, pour reprendre les mots de Jean Jaurès, « un privilège d’éternité ».
Vous confiez ainsi plus que jamais à la Banque publique d’investissement le soin de combler les défaillances du marché, non pas pour jouer un rôle de levier de développement économique mais pour pallier le refus des banques de faire crédit pour cause de rentabilité insuffisante. Quant au soutien prioritaire à l’investissement des entreprises innovantes et exportatrices, qui est désormais l’objectif central de Bpifrance, nous doutons qu’il porte ses fruits en l’absence de toute conditionnalité en matière d’emploi, de formation et de progrès écologique.
En outre, Bpifrance, en l’état, ne peut être à la hauteur des enjeux en matière de financement et de développement des filières industrielles. En effet, ses opérations sont conditionnées par la rentabilité financière – ce que vous appelez en termes élégants la mobilité des capitaux. Cette condition l’empêche de jouer le rôle contracyclique qui pourrait être le sien, si elle était en capacité de réaliser des prêts aux entreprises sur fonds d’épargne, à l’image de ceux dont bénéficient le logement social ou la rénovation urbaine. Bpifrance pourrait, dans le même esprit, être un véritable outil de financement de la transition énergétique, ainsi que de l’économie sociale et solidaire. Convenez-en, monsieur le ministre, ce ne sont plus là aujourd’hui que des missions marginales.
Rappelons pourtant l’objectif de la mission « Économie » : favoriser la mise en place d’un environnement propice à une croissance durable et équilibrée de l’économie.
Les orientations définies par le Gouvernement ne vont pas dans le bon sens. Cette remarque me conduit à évoquer le déséquilibre entre les politiques de subventions et les dépenses fiscales. D’un côté, le projet de loi propose pour le programme « Développement des entreprises et du tourisme » des crédits en baisse de 5 %, et, de l’autre, il consent un montant de dépenses fiscales sur ce même programme de 19,99 milliards d’euros l’an prochain, contre 12,8 milliards en 2014.
De fait, nous pouvons légitimement et collectivement nous demander s’il ne conviendrait pas d’inverser la logique actuelle : réduire le périmètre et le volume des exonérations fiscales, qui forment un « millefeuille » à la cohérence et à l’efficacité discutables, pour privilégier des politiques de subventions et d’aides ciblées aux entreprises, avec l’objectif de limiter les effets d’aubaine par un pilotage plus rigoureux de la politique économique et par l’attribution d’aides sur des critères donnant du sens à notre politique industrielle.
Concernant cette fois, les missions dévolues à la DGCCRF, gardienne de l’ordre public économique, nous continuons de nous inquiéter des sous-effectifs avec un nombre important de départements aujourd’hui sous le seuil critique de neuf agents. Nous soutenons pour notre part l’exigence de redonner des moyens, en particulier humains, à cette direction afin qu’elle soit en mesure de mieux défendre les consommateurs et de rééquilibrer les forces entre ceux-ci et les professionnels. Les effectifs ont été lourdement amputés sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, avec la révision générale des politiques publiques (RGPP). Des moyens supplémentaires seraient indispensables pour donner un véritable sens à la loi relative à la consommation, notamment en améliorant la nature et le volume des contrôles et en favorisant une plus grande réactivité ainsi qu’une lutte plus efficace contre différentes formes de criminalité économique. Nous ne pouvons donc nous satisfaire, pour la deuxième année consécutive, de la stabilité des effectifs.
La question du renforcement de certaines administrations après des années de gestion calamiteuse vaut également pour l’INSEE. De plus, quelles seront les conséquences des fusions de régions entraînant la fusion des administrations régionales de l’État, en particulier pour l’INSEE Auvergne ?
Pour conclure, j’évoquerai la nouvelle baisse de la dotation de la Banque de France, qui sera passée de 302 millions d’euros en 2014 à 252 millions en 2016. Cette nouvelle baisse nous laisse une fois de plus dubitatifs, car le nombre de personnes en situation de surendettement ne recule que faiblement. Je n’évoque pas les autres missions de la Banque de France, notamment celle d’observatoire économique, indispensable au pilotage de notre économie.
Les minutes attribuées au groupe étant plus rares que les cadeaux au veau d’or et à la France des dividendes, je dois en rester à ces quelques observations qui me conduisent à voter contre le présent budget.
Pour conclure, ayant commencé par un clin d’œil poétique, monsieur le ministre, je voudrais vous dire que vos choix économiques me rappellent cette terrible sentence de Rimbaud au lendemain de la Commune de Paris : « Société, tout est rétabli ! »
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique : Monsieur le président Chassaigne, vous avez eu l’élégance d’ouvrir votre propos en citant René Char et de le conclure par les mots du poète préféré de ce dernier, Arthur Rimbaud. Mais après la Commune, Rimbaud a vieilli ; je ne sais s’il s’est assagi, mais il s’est épaissi. Dans « Adieu », un poème d’Une saison en enfer, il s’exclamait ainsi : « Je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan ! » Rimbaud a montré, si besoin était, que le vrai idéaliste était un pragmatique ; or le pragmatique regarde la réalité en face. Si l’on décide que la stratégie industrielle se mesure aux crédits budgétaires, celle de nos prédécesseurs – qui ont dépensé bien plus que nous – ne peut qu’être saluée ; mais l’on ne peut pas tout juger à l’aune de ce critère. Or vous n’avez parlé que de chiffres et de plafonds d’emplois, et je le regrette car il faut également mener une discussion stratégique sur la vision et les priorités de l’État – sur lesquelles nous pouvons nous retrouver. Considérer que c’est en dépensant toujours plus, sans repenser notre organisation, que nous étreindrons cette réalité rugueuse si chère à Rimbaud, c’est prendre le risque que Vialatte avait pris avec la langue anglaise. Cet auteur, que j’affectionne comme vous, notait chaque jour dans son journal, pour s’en souvenir, qu’il convenait d’apprendre l’anglais le lendemain... L’infortuné est mort sans parler beaucoup de mots de cette langue !
Nous risquons, pour notre part, de ne pas réussir à relever le défi qui nous est lancé : à la fois nous doter d’un modèle compétitif en participant à la renaissance industrielle, et tenir nos engagements financiers afin de ne pas transmettre aux générations suivantes une dette insoutenable. Nous laisser la capacité de choisir exige d’être sérieux – mais non excessifs – en matière budgétaire, tout en suivant une stratégie et donc en définissant des priorités. C’est tout le sens de la ligne budgétaire adoptée par le Gouvernement. Je suis, comme vous, attaché aux grands opérateurs publics et à une stratégie en matière de télécommunications, de nucléaire et de filières industrielles ; les moyens offerts par ce budget, à travers le PIA et la Nouvelle France industrielle, permettent de les sécuriser. Je m’engage à faire tout ce qui est possible pour aller dans votre sens, en particulier dans le domaine des télécommunications ; mais nous devons mener un débat sur le fond et non seulement sur les moyens.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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