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Discussions générales

PLFR 2014 (Nlle lect.)

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, depuis le début de l’examen de ce collectif budgétaire, les projecteurs de la communication gouvernementale sont braqués sur l’article 1er et la mesure exceptionnelle de baisse d’impôts pour les catégories de contribuables les plus modestes. Après le gel du barème, le renforcement de la décote puis le dégel du barème, cette mesure favorise peut-être les plus modestes, mais elle favorise aussi l’illisibilité totale de notre système fiscal en suscitant l’incompréhension de ceux qui, bien que modestes, n’en bénéficieront pas.
L’empilement des mesures au fil des projets de loi renforce la suspicion de ceux qui croient devoir payer plus de prélèvements ou bénéficier de moins de prestations que les autres. Avec son maquis de règles disparates, d’exemptions et de statuts, notre système de redistribution, comme le soulignait récemment le sociologue Philippe Guibert, est « une vaste machine à ressentiment ». Il ajoutait que « le redressement dans la justice est impossible sans remise à plat préalable ». C’est pourquoi nous ne devons pas faire l’économie d’une remise à plat de la fiscalité dans son ensemble, et de la fiscalité des ménages en particulier, pour la rendre à la fois plus lisible, plus progressive et donc plus juste.
Pour en revenir au collectif budgétaire, il ne faudrait pas que l’article 1er occulte les autres mesures de ce projet de loi, à commencer par « l’ajustement des crédits » – que c’est joliment dit pour désigner une baisse ! – votés en loi de finances initiale. Le texte propose en effet une baisse de 1,6 milliard d’euros, qui concerne peu ou prou tous les ministères. Il s’agit de la première étape visant à réaliser l’économie en dépenses de 50 milliards d’euros qu’ont annoncée le chef de l’État et le Premier ministre. Entre 2015 et 2017, rappelons qu’il est prévu de réaliser 18 milliards d’euros d’économies sur le budget de l’État. C’est une logique austéritaire, qui met en œuvre les recommandations de la Commission européenne pour laquelle libéraux ou sociaux-libéraux s’entendent comme larrons en foire, au plus grand bonheur de M. Juncker.
Le Gouvernement a annoncé que ces économies proviendront pour l’essentiel de « la réduction du train de vie de l’État » et du « recentrage des interventions ». Il s’agit donc, à bien vous entendre, de cantonner toujours plus l’État à ses fonctions régaliennes.
Les déficits publics ne doivent cependant pas servir de prétexte à une stratégie de démantèlement de l’État. Il faut en effet rétablir certaines vérités, même si elles peuvent être désagréables à nos collègues de droite – car à droite mais aussi, hélas, très loin à gauche de cet hémicycle, on ne regarde que les dépenses et jamais les recettes.
L’État a progressivement provoqué un déficit de recettes. Le choix d’exonérer systématiquement les ménages les plus aisés et les grandes entreprises a entraîné une diminution de cinq points en trente ans de la part des recettes de l’État dans le PIB. Souvenons-nous du rapport rédigé en 2010 par Jean-Philippe Cotis sur la situation des finances publiques – je sais que M. le président de la commission le connaît par cœur. Ce rapport indiquait qu’en l’absence des baisses de prélèvements intervenues depuis 2002, « la dette publique serait environ vingt points de PIB plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’est en réalité ». Une telle constatation devrait nous conduire à nous montrer plus vigilants, mais aussi plus entreprenants sur le terrain de la dépense fiscale.
Nous avons insisté en première lecture sur la nécessité prendre à bras-le-corps la question des niches fiscales. L’an dernier, les dix premières niches fiscales ont représenté près de 30 milliards d’euros, soit 40 % des quelque 70 milliards d’euros que totalisent ces niches.
Rappelons encore le fameux rapport du Conseil des prélèvements obligatoires qui, en 2010, dressait le bilan des nombreux dispositifs dérogatoires qui bénéficient aux entreprises, particulièrement les plus grandes d’entre elles. Ce rapport pointait à mots couverts la responsabilité écrasante de la majorité d’alors dans la multiplication des mesures en faveur des entreprises et des titulaires des plus hauts revenus. Ces mesures se sont succédé au rythme de douze nouvelles dépenses fiscales par an entre 2002 et 2010. À ces dépenses fiscales répertoriées comme telles s’ajoutent les nombreux dispositifs dérogatoires qui ont été déclassés en 2006 pour devenir des modalités de calcul de l’impôt. La hausse spectaculaire du coût de ces modalités a eu pour origine principale certains régimes qui bénéficient aux grands groupes comme le régime des sociétés « mères-filles », le régime d’intégration fiscale des groupes et la taxation au taux réduit des plus-values à long terme provenant de cessions de titre de participation – la fameuse « niche Copé ».
Aujourd’hui encore, 43 000 entreprises bénéficient du régime « mères-filles » entraînant la non-imposition des produits de participation représentant au moins 5 % du capital d’autres sociétés, pour un coût estimé en 2013 à 24 milliards d’euros. D’autre part, 105 000 entreprises bénéficient du régime d’intégration fiscale, pour un coût de 18 milliards d’euros en 2013, et 5 300 entreprises bénéficient d’une exonération sur certaines plus-values, pour un coût de 3 milliards d’euros en 2013.
Si vous cherchez 18 milliards d’euros, monsieur le secrétaire d’État, il y a, on le voit, matière à faire quelques économies substantielles dans la réduction des niches et la révision des modalités de calcul des impôts. Nous avons d’ailleurs formulé quelques propositions en ce sens lors de nos débats en première lecture.
La chose serait d’autant plus utile que les efforts déployés en ce sens sont encore insuffisants. Comme le soulignait le Premier président de la Cour des comptes devant notre Assemblée, les économies sur ce chapitre ont été l’an dernier de 500 millions d’euros seulement, bien loin des 3,6 milliards d’euros attendus.
Venons-en à l’optimisation et à la fraude fiscale, deux domaines dans lesquels des progrès sensibles ont été réalisés. Nous nous félicitons d’ailleurs du renforcement du contrôle des prix de transfert, notamment en cas de transfert vers les paradis fiscaux.
Nous pensons néanmoins qu’il faut encore pousser les feux de l’échange automatique d’informations en matière fiscale ; c’est un enjeu essentiel. Il ne faut pas laisser croire que le seul retour des exilés « repentis » vers Bercy afin de régulariser leur situation suffira à éradiquer le scandale de l’évasion fiscale. L’essentiel de l’évasion et de la fraude passe par les entreprises transnationales et non par les individus. C’est toute une machinerie, toute une industrie qu’il faut démanteler afin d’espérer récupérer un jour les dizaines de milliards d’euros qui manquent au budget de la République. Il faut aussi pousser les feux de la transparence totale sans dérogation. C’est l’une des conditions de la réussite de la bataille à livrer pour la justice fiscale. C’est d’autant plus impérieux qu’il s’agit là de la principale cause des déséquilibres d’imposition entre grandes entreprises et PME. La concentration des régimes dérogatoires et l’optimisation fiscale au plan international aboutissent aux écarts qui pénalisent lourdement les PME et, par extension, les ménages et les comptes publics.
Je ne peux m’empêcher de vous citer l’exemple de Radiall, l’entreprise dirigée par le Président du MEDEF.
M. Jean Glavany. Eh oui !
M. Nicolas Sansu. La part des impôts payés en France par cette entreprise est passée de 25 % à 3 % entre 2010 et 2013 alors que son chiffre d’affaires global a augmenté de 27 % entre 2010 et 2013.
M. Jean Glavany. Et cela n’empêche pourtant pas son dirigeant de pleurer !
M. Nicolas Sansu. Voilà la réalité de l’optimisation fiscale !
Il faut donc avant toute chose rééquilibrer l’impôt sur les sociétés entre grandes entreprises et PME en veillant à ne pas en affecter le rendement global, sauf à vouloir reporter sur les ménages les conséquences de nouvelles baisses des contributions des entreprises, ce qui serait, une nouvelle fois, particulièrement injuste, mais aussi particulièrement inefficace en termes de relance de l’activité.
Sur le terrain des dépenses fiscales, il faudrait également, si nous en avions le temps, évoquer les points suivants : les baisses successives du taux marginal de l’impôt sur le revenu, la fiscalité de l’épargne, qui est très largement favorable aux personnes disposant d’importants portefeuilles d’actions et d’obligations, mais aussi la multiplication des incitations fiscales à l’investissement immobilier ou encore les larges exonérations en matière d’ISF. Toutes ces mesures et autres niches fiscales rentables ont un coût pour les finances publiques et ont constitué un puissant levier de l’aggravation des inégalités – aggravation que démontre d’ailleurs la dernière enquête de l’INSEE, selon lequel les inégalités ont atteint leur plus haut niveau depuis 1996. L’année 2011 fut particulièrement faste pour nos concitoyens disposant de hauts revenus, comme le rappelait tout récemment le magazine Challenges, tandis que la pauvreté n’a cessé d’augmenter et touche aujourd’hui 8,7 millions de personnes, soit un niveau historique.
Dans ce contexte, devons-nous privilégier la baisse des dépenses publiques, des dépenses d’investissement utiles au redressement économique, ou devons-nous nous attaquer à retricoter ce que la droite a détricoté pendant des années en aggravant la dette publique dans des proportions vertigineuses ? Je n’oublie pas l’effet récessif des 50 milliards d’austérité qu’a relevé notre rapporteure générale, et la manière dont ces économies sont réalisées, avec le risque d’une perte de 250 000 emplois d’ici 2017.
Dans le contexte actuel d’atonie de la croissance, la baisse de la dépense publique condamne toute perspective de relance. Ce dont notre pays, nos entreprises et nos finances publiques ont aujourd’hui besoin, c’est de sortir de ce marasme persistant. Or, à nos yeux, cette sortie ne peut s’entrevoir sans que l’État et les collectivités locales n’engagent les dépenses utiles à l’investissement et à la préservation d’un environnement propice à l’activité économique, aussi bien en termes de santé et d’éducation que de services publics.
Soutenir l’intervention publique et la protection sociale tout en réduisant les inégalités sociales n’est pas une ambition hors de portée, à condition de sortir des dogmes libéraux qui servent aujourd’hui de boussole à l’Europe. Ce n’est pas le cas avec ce PLFR. Les députés du Front de gauche ne pourront donc pas vous suivre sur ce collectif budgétaire !

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)

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