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PLFSS 2015

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, à travers cette loi de financement de la Sécurité sociale, le Gouvernement vise toujours un objectif de réduction des déficits, objectif renforcé par le plan d’économie de 21 milliards d’euros qui concerne la santé et la protection sociale.
Paradoxalement, cette loi doit aussi compenser les pertes de recettes générées par les 6,3 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales patronales que vous avez décidées et inscrites dans le pacte de responsabilité pour la seule année 2015, alors que ces mesures n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité.
Pour atteindre ces objectifs, vous comptiez notamment sur une reprise de la croissance permettant de générer davantage de recettes. Mais, une nouvelle fois, vos prévisions étaient irréalistes au regard de l’austérité que vous imposez au pays et qui plombe notre économie. Vous étiez alors face à une équation complexe : satisfaire le diktat des règles européennes en réduisant le déficit de la Sécurité sociale et compenser les pertes de cotisations que vous aviez volontairement décidées dans la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale.
Nous avons bien noté que vous avez résolu ce second point. Cependant, nous pouvons passer sous silence le fait qu’outre les décalages de trésorerie, cette compensation n’est rien d’autre que le résultat de mouvements en vases communicants à tuyauterie complexe. Vous transférez ainsi des dépenses de la Sécurité sociale vers l’État – l’aide personnalisée au logement, par exemple, désormais entièrement prise en charge par l’État – en même temps que vous attribuez à la Sécurité sociale des recettes précédemment perçues par l’État – comme le produit des prélèvements sociaux sur certains revenus du capital.
Ce ne sont donc que des jeux d’écritures. L’argent glisse d’un budget à l’autre, on bouge les chiffres, mais on ne crée aucune recette. D’autres budgets seront donc privés de ces ressources, d’autres mesures d’austérité seront donc mises en œuvre. À l’évidence, cet artifice est sinon à usage unique, du moins à visée limitée. En effet, il faudra bien, tôt ou tard, affronter la question de fond de l’augmentation des recettes, car c’est là que se situe le problème. Alors que vous vous concentrez, en paroles comme en actes, sur le prétendu excès de dépenses, vous ne proposez rien pour améliorer les recettes. Au contraire, toutes les mesures prises accentuent les difficultés budgétaires de notre protection sociale, dont l’efficacité est pourtant reconnue bien au-delà de nos frontières.
Il y a trop de fraudes aux cotisations. Leur coût total est estimé par la Cour des comptes à 20 milliards d’euros, au minimum. Votre texte ne prévoit de récupérer, sur ce total, que 76 millions d’euros : pourquoi si peu ? Il y a également trop d’exonérations de cotisations sociales patronales : ces exonérations aveugles représentent des dizaines de milliards d’euros, sans aucune exigence de résultat. Et vous ne cessez d’en ajouter !
Trop de revenus ne contribuent pas au niveau requis. Rappelons que les dividendes versés par les entreprises ont progressé ces derniers mois de 18,2 % en Europe. Les résultats de la France en la matière étaient parmi les meilleurs, selon l’étude Global Dividend Index publiée en août dernier par la société de gestion Henderson Global Investors. Nous proposons donc une mesure à la fois juste et efficace : appliquer aux revenus financiers, c’est-à-dire aux dividendes et intérêts, les taux de cotisations sociales patronales actuellement appliqués aux salaires. Cette contribution nouvelle permettrait non seulement de décourager la spéculation, mais aussi de financer une politique sociale active répondant aux besoins actuels et futurs de la population.
Dynamiser notre système de financement de la protection sociale, c’est aussi peser sur les entreprises pour les sortir de l’impasse de la financiarisation qui détruit les emplois. C’est pourquoi nous proposons de mettre en place un dispositif incitatif de modulation des cotisations sociales des employeurs en fonction de leur politique salariale, d’investissement et de création d’emplois.
Malheureusement, votre démarche est inverse. Dans cette version rectifiée du PLFSS, vous avez choisi de favoriser les employeurs au détriment des salariés ; les familles et les malades aussi paieront le prix fort. C’est d’autant plus préoccupant que les inégalités sociales et financières se creusent dans notre pays. Ce sont en effet les personnes les plus démunies, les plus exposées qui, faute de moyens financiers, accèdent le plus difficilement à la prévention et aux soins. De ce point de vue, nous apprécions les mesures visant à améliorer la prévention, qu’il s’agisse du dépistage du VIH, à l’article 33, ou de l’accès à la vaccination, à l’article 34. Je remarque également avec intérêt la volonté du Gouvernement de renforcer les dispositions prises depuis décembre 2012 dans le cadre du pacte territoire santé pour tenter de faire échec aux déserts médicaux.
Ces quelques points positifs mis à part, vous continuez de réduire les moyens des hôpitaux publics.
M. Philippe Vitel. Eh oui !
Mme Jacqueline Fraysse. Ils sont pourtant déjà fortement endettés, au point que certains d’entre eux ne parviennent plus à faire face à leurs dépenses courantes. Vous exigez qu’ils réduisent leurs dépenses de 520 millions d’euros : comment pourront-ils le faire sans remettre en cause la qualité des soins ?
De même, vous prévoyez d’économiser 370 millions d’euros grâce au développement des soins ambulatoires. Mais avant de réaliser d’éventuelles économies, des dépenses seront nécessaires pour réorganiser les pratiques, former les praticiens et créer des lieux d’accueil pour les patients. Le développement de la chirurgie ambulatoire est, de toute évidence, une pratique appelée à se développer, mais c’est moins pour les économies qu’elle permettrait de réaliser à terme, et qui restent à évaluer finement, que pour les progrès qu’elle permet en termes de prise en charge des patients pour certains actes. Il faut donc rester prudent quant au montant des économies envisagées.
Il faut aussi se demander jusqu’où l’on peut réduire la durée d’hospitalisation des patients sans nuire à la qualité de la prise en charge. Là encore, les inégalités sociales et territoriales sont fortement marquées et c’est une banalité que de dire que le retour à la maison après une intervention en ambulatoire n’est pas le même selon le cadre de vie et l’environnement familial.
Au-delà de l’hôpital, les économies seront pour l’essentiel réalisées, à hauteur de 1,015 milliard d’euros, grâce à ce que vous appelez la pertinence et le bon usage des soins. Nous partageons votre souci de mieux gérer le prix des médicaments et des dispositifs médicaux et de favoriser la prescription de médicaments génériques, mais nous sommes préoccupés par le renforcement de l’autoritarisme des agences régionales de santé. Nous avions d’ailleurs dénoncé ce point ensemble lors des débats sur la loi HPST – hôpital, patients, santé, territoires – de Mme Bachelot. Pourtant, vous n’avez pas modifié la législation sur ce point. Au contraire, vous renforcez cet autoritarisme puisque le présent texte invite les ARS à s’ingérer dans le fonctionnement des établissements de santé et à les sanctionner le cas échéant.
Concernant la branche famille, l’annonce par le Gouvernement de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus est extrêmement grave à nos yeux.
M. Dominique Tian. Nous sommes bien d’accord !
Mme Jacqueline Fraysse. Cette décision, prise par le Gouvernement et le groupe socialiste, est présentée comme définitive avant même d’avoir été débattue dans cet hémicycle. Permettez-moi de dire que cela illustre assez bien votre conception de la démocratie et du rôle du groupe majoritaire dans cette assemblée. Par ce procédé cavalier, il s’agit à la fois de remettre en cause le principe de l’universalité de ces prestations et de maintenir votre cap initial, c’est-à-dire de réaliser 800 millions d’euros d’économies chaque année aux dépens des familles.
M. Dominique Tian. C’est bien vrai !
M. Arnaud Richard. Absolument !
Mme Jacqueline Fraysse. Pourquoi cette décision est-elle grave sur le fond ? Parce qu’elle porte atteinte au principe même de la Sécurité sociale, héritée du Conseil national de la Résistance. La Sécurité sociale constitue un droit social, une assurance sociale pour tous, selon deux principes essentiels : solidarité et universalité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et RRDP.)
M. Jean-Pierre Door et M. Gérard Charasse. Très bien !
Mme Jacqueline Fraysse. Solidarité, car chacun apporte selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Universalité, car ces prestations ne sont pas des instruments de redistribution pour atténuer l’injustice sociale, même si elles y contribuent fortement, mais des droits sociaux pour tous. Vous voulez les transformer en un mécanisme d’assistanat pour les plus modestes.
Bien sûr, vous pouvez tenter de vous justifier en affirmant, comme je l’ai entendu, que l’universalité n’est pas l’uniformité. C’est un abus de langage, dont nous comprenons tout à fait les motivations. La définition de l’universalité que donne l’INSEE est pourtant claire : « les allocations familiales sont des prestations universelles parce qu’elles sont attribuées à tous sans condition de ressources. » (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, UDI et RRDP.)
M. Arnaud Richard. Bravo !
Mme Jacqueline Fraysse. En outre, vous osez prétendre que vous instaurez cette mesure au nom de la justice sociale, alors qu’en réalité l’argent supprimé aux ménages aisés ne sera pas redistribué aux familles les plus modestes, puisqu’il s’agit d’économies pures et simples. Je suis outrée ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Voudriez-vous nous faire oublier que l’instrument privilégié de redistribution de la richesse est la fiscalité républicaine, progressive en fonction des revenus de chacun ? Oui, il faut oser la réforme fiscale et rompre avec des mesures qui opposent les Français les uns aux autres !
M. Jean-Pierre Door. Nous allons finir par nous inscrire au Parti communiste !
Mme Jacqueline Fraysse. Vous aviez annoncé la remise à plat du barème des impôts, mais vous y avez renoncé, comme à tant d’autres promesses – vous leur tournez même le dos. Pour financer le CICE, vous avez augmenté la TVA, impôt injuste s’il en est, car les mêmes taux s’appliquent indifféremment aux riches comme aux pauvres, et vous l’avez fait y compris sur les produits de première nécessité. Je le dis clairement : non, ce n’est pas le souci de la justice sociale qui vous anime, et ce n’est pas la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu qui y changera quoi que ce soit.
La réalité est beaucoup plus prosaïque, mes chers collègues. Hélas, force est de constater que vous poursuivez chaque jour un peu plus la remise en cause de notre modèle social, déjà bien entamé par la droite.
Mme Sylviane Bulteau. Cette outrance est inadmissible !
Mme Jacqueline Fraysse. Il est d’ailleurs significatif que vous n’ayez remis en cause aucune des mesures que vous aviez pourtant dénoncées en leur temps, à juste titre : ni les franchises, ni les forfaits… Vous vous félicitez même de n’en avoir pas ajouté : bravo, je m’en félicite aussi !
Le dispositif de modulation des prestations familiales que vous proposez ne concerne aujourd’hui que les familles moyennes et aisées, mais il sera simple, désormais, de déplacer le curseur. Le Gouvernement, toujours à la recherche de nouvelles économies, n’aura plus qu’à baisser progressivement ce seuil jusqu’à réserver notre système universel de Sécurité sociale aux pauvres.
M. Bernard Perrut. C’est déjà fait !
M. Olivier Véran, rapporteur. Mais non !
Mme Jacqueline Fraysse. Car après les prestations familiales, la santé sera visée, n’en doutons pas ! Cette évolution est d’ailleurs déjà à l’œuvre : si la CMU et la CMU complémentaire ont été mises en place au bénéfice des personnes très modestes, c’est bien afin de contrebalancer l’inégalité d’accès aux soins due à l’insuffisance des remboursements de Sécurité sociale qui découle des plans Juppé, Balladur et autres. Même si vous vous en défendez aujourd’hui, la mise sous condition de revenus du remboursement des médicaments, voire des hospitalisations, pourrait être la prochaine étape. Il est vrai, après tout, que certains peuvent payer !
M. Jean-Pierre Barbier. C’est exactement ce que j’ai dit !
Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure. Ce n’est pas du tout la même chose !
Mme Jacqueline Fraysse. Déjà en commission, vous vous sentiez obligés de protester vivement contre cette hypothèse, en affirmant même que cela n’a rien à voir.
Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure. Exactement !
Mme Jacqueline Fraysse. Mais chacun voit ce qu’il y a à voir, mes chers collègues, ne sous-estimez pas l’intelligence de nos concitoyens ! Contre cette entreprise d’enfumage largement préparée en amont et complaisamment relayée par les grands médias, notre rôle est de dire la vérité, d’alerter sur votre stratégie qui n’a d’autre objet que de réduire les moyens de la Sécurité sociale tous azimuts, y compris pour les chômeurs, et en l’occurrence de réduire de 800 millions d’euros les prestations aux familles.
La vérité, c’est que vous vouliez économiser la même somme par d’autres mesures, notamment en divisant par trois l’allocation de naissance du deuxième enfant et en reculant de quatorze à seize ans le versement de la majoration pour âge.
M. Jean-Pierre Barbier. C’est une honte !
Mme Jacqueline Fraysse. Vous avez choisi un autre mécanisme, qui présente, dans votre visée ultra-libérale, le double avantage de réaliser les mêmes économies sur le dos des familles et d’aller un peu plus loin dans la remise en cause de notre modèle social. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Mme Martine Pinville, rapporteure. Ce n’est pas vrai : seules les familles les plus aisées seraient touchées !
Mme Jacqueline Fraysse. Et tout a été annoncé avant même que le Parlement ait pu en discuter !
M. Olivier Véran, rapporteur. C’est évident ! comment le Parlement pourrait-il discuter d’une mesure qui n’aurait pas été annoncée ?
Mme Jacqueline Fraysse. Je suis courroucée, plus que jamais, tant par le procédé que par le contenu. Il est clair que face à de tels comportements et à de tels enjeux, notre groupe ne peut que s’opposer fermement à ce texte. (Applaudissements et bravos sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

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Jacqueline
Fraysse

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