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PLFSS 2017

Madame la ministre, vous présentez ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017 comme la réalisation de la promesse, faite par le Gouvernement il y a cinq ans, de ramener à l’équilibre les comptes de la Sécurité sociale.
Je vous donne acte que le déficit du régime général s’est considérablement réduit. Trois branches sur quatre seraient à l’équilibre en 2017 : celles des retraites, de la famille et des accidents du travail. Seule la branche maladie serait encore en déficit, à hauteur de 2,6 milliards d’euros, expliquant un solde négatif de 400 millions d’euros pour l’ensemble du régime général de la Sécurité sociale.
C’est une évolution indiscutable dont je pourrais me réjouir si ces chiffres reflétaient la « réalité vraie », car je partage, comme nous tous sans doute ici, le souci d’une dépense publique raisonnable et équilibrée. Mais votre affirmation est trompeuse, pour ne pas dire mensongère. En effet, dans votre présentation, vous omettez volontairement de parler du FSV, le Fonds de solidarité vieillesse qui prend en charge des dépenses de solidarité envers les personnes âgées, comme le minimum vieillesse, et dont le déficit est estimé à 3,8 milliards d’euros pour 2017.
Ainsi, le trou de la Sécurité sociale ne sera pas réduit à 400 millions d’euros en 2017 ; il atteindra, une fois ajoutés les 3,8 milliards de déficit du FSV, 4,2 milliards d’euros. C’est certes mieux que les 7,1 milliards d’euros de déficit global du régime général et du FSV en 2016 ; c’est cependant un peu plus que « l’épaisseur du trait », pour reprendre l’expression que vous avez employée, madame la ministre.
Mais au-delà de cette bataille de chiffres, qu’en est-il de notre protection sociale ? Quelles sont les conséquences de vos choix pour les assurés sociaux ?
S’agissant de la branche famille, son déficit actuel de 1,5 milliard d’euros serait totalement résorbé en 2017. Ce retour à l’équilibre serait entièrement supporté par les familles, puisqu’il est essentiellement dû, outre le gel de la revalorisation des prestations familiales en 2014 et 2015, aux effets de la modulation des allocations familiales instaurée en 2015.
Vous aviez présenté cette mesure comme un geste de justice sociale ; mon groupe l’avait fortement combattue, en soulignant qu’il s’agissait avant tout d’économiser de l’argent sur le dos des Français.
L’histoire nous donne hélas raison, puisque 15 % des familles ont vu leurs allocations diminuer, et que les économies réalisées – 865 millions d’euros par an – n’ont pas été redistribuées vers les ménages plus modestes, mais ont servi à combler le déficit.
Quant à l’excédent de la branche vieillesse, il est principalement dû aux conséquences du recul de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans, décidé par la droite en 2010 et amplifié par votre réforme de 2014, qui a allongé la durée de cotisation donnant droit à une retraite à taux plein. Là encore, ce sont les Français qui subissent lourdement le poids de ce fameux retour à l’équilibre.
S’agissant de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, qui devrait être excédentaire de 700 millions d’euros en 2017, l’amélioration est due à la sous-déclaration notoire des accidents du travail. Quant aux maladies professionnelles, bon nombre d’entre elles ne sont pas reconnues comme telles et sont donc prises en charge par l’assurance maladie.
Concernant enfin la branche maladie, on peut s’attendre au pire, puisqu’elle doit économiser 4 milliards d’euros afin, d’une part, de ramener son déficit à 2,6 milliards d’euros contre 4,1 milliards l’an dernier et, d’autre part, de participer au financement du mal nommé « pacte de responsabilité », pour lequel l’assurance maladie a été mise à contribution à hauteur de 10 milliards d’euros – dont 3 milliards supportés par les seuls hôpitaux – pour la période 2015-2017.
D’ailleurs, avec un objectif national des dépenses d’assurance maladie – ONDAM – fixé à 2,1 % pour 2017, vous reconnaissez vous-même, madame la ministre, qu’il s’agit d’un « objectif historiquement bas au regard des taux de progression réalisés dans le passé » – je cite le dossier de presse accompagnant le PLFSS. De surcroît, le comité d’alerte veillant au respect des dépenses de l’ONDAM affirme que ce dernier est « minoré plus qu’à l’accoutumée » pour financer, hors ONDAM, d’autres dépenses relevant pourtant de l’assurance maladie mais qui, de ce fait, ne lui seront pas imputées, participant ainsi fictivement à la réduction de son déficit.
Le cas le plus significatif est celui de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui va être ponctionnée de 230 millions d’euros pour financer les établissements médico-sociaux, alors que cette dépense était auparavant prise en charge par l’assurance maladie.
Ce sont donc en réalité 230 millions d’euros de perte sèche pour les personnes âgées et handicapées. Tout cela n’est que la simple vérité.
Outre ces jeux d’écriture et ces ponctions inacceptables, encore une fois supportées par nos concitoyens les plus fragilisés, les hôpitaux seront de nouveau fortement mis à contribution. Il leur sera demandé en 2017 plus d’efforts encore qu’en 2016, avec notamment une réduction de dépenses de 845 millions d’euros venant s’ajouter aux 690 millions d’économies exigés en 2016. Pour y parvenir, le ministère compte principalement sur le développement des groupements hospitaliers de territoire, qui visent essentiellement à rationaliser – c’est-à-dire à réduire – les achats ainsi que la prescription de médicaments de la « liste en sus ». Finalement, les GHT ne sont pas mis en place pour faciliter le parcours des patients et l’organisation des soins.
Ils n’existent que pour améliorer la comptabilité et économiser 845 millions d’euros.
Non, monsieur le rapporteur, ce n’est pas un procès d’intention : je ne fais que décrire la réalité !
Je n’ai pas l’habitude de parler en l’air. J’ai étudié ce texte. Les chiffres que je vous donne sont les vôtres : je n’invente rien.
Par ailleurs, le Gouvernement compte sur le développement de la chirurgie ambulatoire pour générer 160 millions d’euros d’économies. Cela aussi, c’est dans le texte !
Enfin, pour parachever ce plan d’économies inédit, vous avez programmé la suppression de milliers de postes sur trois ans, en 2015, 2016 et 2017.
À terme, 22 000 emplois hospitaliers seront supprimés.
Il s’agit donc là d’une dégradation programmée sans précédent de l’hôpital public, qui porte atteinte à l’accès aux soins dans toutes ses dimensions, en termes financiers comme en termes d’équilibre territorial.
Comment voulez-vous lutter contre les déserts médicaux si vous dégradez ou fermez même les services des hôpitaux dont les médecins ont absolument besoin pour travailler sérieusement ? Ces choix sont désastreux.
Je note que la Fédération hospitalière de France ne cesse de vous alerter sur le fait que les hôpitaux et les établissements médico-sociaux sont engagés dans un plan d’économies inédit par son ampleur – 1 milliard d’euros en 2016 – et ses conséquences.
Quant au président de la Cour des comptes, l’ancien député socialiste Didier Migaud, il a lui-même publiquement exprimé ses doutes. Je le cite : « le retour à l’équilibre doit […] demeurer une priorité », mais l’assurance maladie doit aussi « mieux remplir sa mission d’accès aux soins ».
Si le diagnostic de la Cour des comptes montre la montée en puissance des prises en charge à 100 % pour les affections de longue durée, il souligne parallèlement le fait que l’accès aux soins est de plus en plus difficile pour une majorité de Français, et non plus seulement pour les plus modestes, en raison notamment des dépassements d’honoraires. Comme le montre également le rapport de la Cour des comptes, la diminution du reste à charge des dépenses de santé, que vous mettez en avant, masque en réalité la baisse régulière depuis quinze ans du taux de remboursement hors affections de longue durée, particulièrement en ce qui concerne les soins dentaires et l’ophtalmologie.
Aujourd’hui, selon l’INSEE, 9 millions de personnes vivent dans la précarité. Notre pays compte plus de 6,6 millions de chômeurs, et 36 % de la population renonce encore à se faire soigner. Dans ce contexte de paupérisation, alors que vous avez défendu une loi dite de « modernisation de notre système de santé » visant à lutter contre le renoncement aux soins, vous conduisez les hôpitaux publics au bord du gouffre en exigeant l’impossible, à savoir qu’ils réalisent 1,5 milliard d’euros d’économies supplémentaires.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les personnels hospitaliers, y compris les médecins dans la dernière période, se sont massivement mobilisés. Leurs conditions de travail ne cessent de se dégrader : 30 % des postes sont vacants, tandis que les GHT, imposés autoritairement et souvent dans l’incohérence – j’en ai un bel exemple dans ma circonscription –, sont trop souvent décriés et pèsent sur la qualité de prise en charge des patients.
Nous ne pensons pas, madame la ministre que ce PLFSS « sauve » la Sécurité sociale. Au contraire, nous pensons qu’il entérine des restrictions budgétaires au détriment des retraités, des familles, des accidentés du travail, des malades, au prix de la démolition progressive du service hospitalier public.
Une fois de plus, vous ne proposez aucune recette nouvelle pour financer la protection sociale, dans un pays où il y a pourtant beaucoup d’argent. Une fois de plus, ce sont les plus modestes qui sont sollicités et non pas ceux qui disposent d’importants moyens.
Ainsi, par exemple, vous avez instauré une taxe de 0,3 % prélevée sur toutes les retraites. Pourquoi ne prélevez-vous pas les mêmes 0,3 % sur le revenu des actionnaires ? Ce ne serait que justice et cela rapporterait 600 millions d’euros qui seraient bien utiles pour financer, par exemple, les dépenses liées au vieillissement.
Valérie Rabault, rapporteure générale socialiste du projet de loi finances pour 2017 a déposé et fait adopter en commission des affaires sociales un amendement visant à introduire dans ce PLFSS la possibilité que les retraités les plus modestes, appauvris par une série de mesures prises au début de ce quinquennat en matière d’impôt sur le revenu, soient exonérés de la CSG.
Cette disposition permet à 480 000 ménages retraités très modestes de ne plus payer la CSG et de gagner ainsi 45 euros par mois en moyenne. C’est une mesure positive, qui contribue à réparer un peu l’injustice sociale dont ils sont victimes. Elle devrait coûter 260 millions d’euros, et le Gouvernement semble y être favorable. J’espère que vous le confirmerez, madame la ministre.
Afin d’aller jusqu’au bout de sa démarche, Mme Rabault propose un amendement complémentaire ayant pour objectif que 430 000 retraités modestes supplémentaires bénéficient d’une CSG à taux réduit. Cette seconde mesure est également pertinente au regard de la situation de ces personnes. Elle entraînerait un manque à gagner pour la Sécurité sociale de 470 millions d’euros. Je souhaite que le Gouvernement soutienne cette mesure de justice.
Comment pourriez-vous en effet justifier le refus de rendre à ces milliers de retraités modestes un peu du pouvoir d’achat dont ils ont été privés ? Cette proposition est légitime et je veux croire que vous la soutiendrez. J’ajoute que notre amendement, évoqué plus haut, qui vise à taxer les dividendes des actionnaires au même niveau que ce que l’on applique à tous les retraités rapporterait 600 millions d’euros, ce qui serait largement suffisant pour financer cette dépense utile – et même nécessaire – en faveur des retraités les plus modestes de notre pays.
S’agissant toujours des recettes que la Sécurité sociale pourrait recouvrer, je voudrais évoquer la lutte contre le travail illégal et la fraude sociale, lesquels représentent entre 20 et 25 milliards d’euros par an. Le PLFSS envisage – à juste titre – de lutter plus efficacement contre ces phénomènes. Toutefois, nous nous interrogeons quant aux moyens dont disposeront réellement les URSSAF pour être à la hauteur de ce défi, dès lors que le dernier projet de loi de finances du quinquennat poursuit la politique consistant à supprimer des milliers de postes d’agents de la fonction publique, alors même que l’État ne parvient d’ores et déjà – et encore, à grand-peine – à recouvrer que 190 millions par an environ.
Je tiens tout de même, si vous me le permettez, à ne pas passer sous silence les quelques mesures positives que contient ce PLFS (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), telles que l’expérimentation concernant la prise en charge de la souffrance psychique chez les jeunes, celle des victimes du terrorisme, ou encore l’amélioration du recouvrement des pensions alimentaires non payées.
Je tenais à le dire avant de conclure. Mais ces mesures, dont l’utilité est incontestable, apparaissent bien modestes – pour ne pas dire dérisoires – au regard des effets dévastateurs et très concrets qu’aura ce PLFSS qui poursuit les restrictions budgétaires, au détriment de la réponse aux besoins de la population, et qui remet en cause le caractère solidaire de notre système de santé.

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Jacqueline
Fraysse

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