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Police et sécurité : chiens dangereux

 
Madame la ministre, monsieur le président, mes chers collègues,
 
Après la mort en août dernier à Epernay d’une petit fille de 18 mois des suite de morsures d’un chien de race « American Staffordshire terrier », vous avez annoncé immédiatement, Madame la ministre, un projet de loi contre les chiens dangereux. Mais au-delà de la légitime émotion face à ce dernier cas, force est de constater qu’il se situe dans la droite ligne des décès qui se succèdent depuis des années. En effet, près de 28 décès sont intervenus depuis 1989 : j’en ai la liste ici même sous les yeux.
 
Le présent projet de loi prévoit toute une série de mesures non sans intérêt. Pour autant, nous ne partons pas de rien : la loi de 1999 a fixé le cadre général des moyens de lutte contre ce phénomène, notamment en établissant deux catégories de chiens dangereux pour lesquelles de strictes obligations sont détaillées et sur lesquelles je ne reviendrai pas. Depuis lors, des mesures sont encore venues aggraver les sanctions pour manquement à ces obligations. Ces différentes mesures, allaient dans le bon sens et les députés communistes et républicains s’étaient prononcé en leur faveur. Grâce à ces dispositions, il a été notamment constaté une baisse du nombre d’actes de délinquance utilisant des chiens.
 
Mais, depuis quelques années, on assiste néanmoins à une augmentation notable du nombre de chiens de première mais aussi de seconde catégorie, cette dernière pouvant donner lieu aux mêmes agressions, comme le montrent les statistiques des faits de morsures. De ce point de vue, la division entre les deux catégories apparaît aujourd’hui comme assez artificiel, et je comprends les considérations de notre collègue Georges TRON qui, dans sa proposition de loi, souhaite que le régime appliqué à la première catégorie soit appliqué à la seconde. Mais, pour autant, est-ce bien le problème fondamental quand on constate que nombre de chiens hors-catégorie, tels que les bergers allemands, sont de plus en plus à l’origine d’actes de morsure parfois fatals ?
 
A ce propos, Madame la Ministre, vous avez annoncé des mesures contre le croisement. Or, cette annonce n’a donné lieu à aucune disposition dans ce projet de loi. Et pour cause : sur quels critères ? Quelle aurait été l’autorité de contrôle ? En réalité, il n’y a pas véritablement de race foncièrement dangereuse. Il s’agit d’individualités plus qu’autre chose. Disons que si un molosse attaque, les séquelles seront plus graves que celles du caniche. Mais en aucun cas un boxer croisé avec un labrador ne peut engendrer des chiots potentiellement dangereux du fait même du croisement. Ce qui fera la différence viendra de la stabilité de son environnement, du travail de l’éleveur sur lequel je reviendrai.
 
Je pense qu’il est temps de prendre ce problème dans sa globalité et surtout dans ses causes plutôt que de vouloir renforcer la lutte contre les effets. L’acquisition de chiens dangereux est très souvent le fait de populations socialement fragilisées, qui entretiennent parfois des relations conflictuelles avec le voisinage, et qui montrent ainsi un réflexe de protection. Or, ces personnes fragiles, souvent empêtrées dans une situation sociale complexe, tendent dans le même temps à laisser leur animal sans surveillance dans leur domicile, parfois en présence d’enfants en bas âge ou de personnes âgées. Le résultat est là sous nous yeux : les cas de morsure les plus nombreux se déroulent majoritairement dans la sphère familiale sur des personnes vulnérables.
 
Force est donc de la constater : le nombre de chiens croît donc aujourd’hui avec la misère et la précarité. La première des mesures pour lutter contre les chiens dangereux est donc de s’attaquer à la racine du mal en cherchant à résoudre les problèmes sociaux qui en sont à l’origine, à savoir en augmentant le pouvoir d’achat des plus modestes et en luttant contre le chômage, autant de chantiers laissés de côté par ce gouvernement.
 
A l’inverse, le gouvernement se contente aujourd’hui de surfer sur l’émotion, en faisant légiférer dans la précipitation, au coup par coup. Agissant de manière spectaculaire, il cherche ici à renforcer la répression plus que la prévention et l’éducation. Or, avec le passage au Sénat, cet aspect répressif a encore augmenté avec l’introduction d’un article 8 bis qui pénalise de manière démesurée le détenteur de chiens dangereux ayant commis des actes de morsure. Pourtant, la loi de 1999 prévoyait déjà des peines de prison ferme. A l’inverse, les mesures les plus préventives établies en 1999 n’ont jamais appliquées. Et je voudrais citer plus particulièrement la protection, la moralisation du commerce ou encore le transport d’animaux : les décrets d’application n’ont jamais vu le jour. Pourtant ces questions sont de plus en plus décisives : ainsi le commerce clandestin des chiens dangereux concerne aujourd’hui 100 000 chiots importés illégalement par an et rien est fait, ou si peu, pour traiter ce problème.
 
En-dehors du dispositif de formation des détenteurs, lequel vise de manière un peu illusoire à les « corriger » alors que les problèmes sociaux dont je parlais sont loin d’être « corrigés », le projet de loi laisse de côté l’enjeu majeur de prévention. Or, pour prévenir ces phénomènes, il serait indispensable d’accompagner la répression d’une vaste campagne de sensibilisation dans les médias, dans les écoles, sur les lieux publics. Les enfants doivent tout particulièrement être sensibilisés au respect du chien.
 
Mais le plus important est encore ailleurs : l’élevage. La première prévention est une amélioration de l’élevage des chiens. Aujourd’hui, n’importe qui peut élever un chien sans aucune déclaration préalable, sans aucune nécessité de compétences en matière de psychologie canine et donc sans aucune garantie en terme d’éducation. Beaucoup de problèmes rencontrés par les propriétaires viennent du fait qu’on leur a vendu un chiot non stabilisé et qu’on ne leur a donné aucun conseil en terme d’éducation. C’est dans ce domaine que le législateur doit intervenir. Je sais que le libéralisme veut dire la liberté d’entreprendre. Mais en société, ma liberté s’arrête où commence celle de mon voisin. Il est clair que les gouvernements successifs se sont à ce propos voilés la face.
 
Eleveur est un métier. Dans bien des domaines, il faut faire preuve de compétences. Il est grand temps que le législateur règlemente donc l’élevage de chiens. Je me répète : je considère que l’immense majorité des problèmes de comportement des chiens vient des conditions d’élevage.
 
Je passerai maintenant en revue les principales dispositions du présent projet de loi, pour en souligner parfois l’intérêt mais souvent aussi, hélas, pour en montrer les limites, si des moyens ne sont dégagés pour en permettre l’application. Et à ce propos des moyens, je ferai simplement remarquer que les députés communistes et républicains n’ont pas pu déposé les amendements nécessaires du fait de l’inique article 40...
 
Le projet de loi prévoit la formation des détenteurs de chiens dangereux, formation sanctionnée par une attestation d’aptitude. Certes, l’idée est bonne. Mais a-t-on réfléchi à toutes les conséquences de cette disposition ? Les détenteurs de chiens dangereux de 1ère et 2ème catégorie sont très nombreux, plus nombreux sans doute que nous l’imaginions, mes chers collègues. Or, si des moyens conséquents ne sont pas dégagés pour la mise en place de tout un réseau de formateurs assurant ces cours, la disposition restera lettre morte comme beaucoup de dispositions précédentes.
 
Et précisément, le projet de loi, très vague, ne précise par qui assurera cette formation. Les vétérinaires ne sont pas toujours formés en comportement canin. Aussi, beaucoup de membres de cette profession ne savent pas déceler les comportements déviant de la normale, les identifier. Par exemple un des habitants de ma circonscription a eu en sa possession un chien atteint d’un syndrôme d’hyper-activité, d’hyper-sensibilité. Son vétérinaire n’y avait vu que du feu et il a fallu qu’il consulte une comportementaliste pour que le diagnostic soit établi et qu’une thérapeutie soit mise en place, à savoir une modification totale des règles en vigueur au sein du foyer pour atténuer autant que faire se peut le report affectif du chien sur sa personne. Le chien avait en effet été coupé dès les premières semaines de sa mère qui n’avait donc pu faire son travail de socialisation.
 
Mais même les éducateurs canins et les comportementalistes souvent ne connaissent pas chaque race avec ses spécificités. L’idéal serait donc d’encadrer ces professions en établissant un diplôme d’Etat avec un agrément de la Société Centrale Canine après consultation des différents clubs de race. Mais cela, le projet de loi ne le prévoit pas et la disposition-phare de ce projet de loi qu’est la formation restera donc une coquille vide.
 
J’ai souligné que la possession de ce type de chiens est souvent le fait d’une population fragile. Or, le coût de cette formation sera supporté par les détenteurs de chiens eux-mêmes, ce qui pourrait être extrêmement dissuasif, d’autant que ces mêmes détenteurs doivent également supporter le coût de la consultation chez le vétérinaire pour faire passer l’évaluation comportementale. Le risque est alors grand que les propriétaires de chiens passent dans la clandestinité, voire abandonnent ou procèdent à l’euthanasie de leurs chiens. L’on aboutirait alors à l’effet inverse de l’objectif recherché.
 
Et même si les détenteurs de chiens étaient en capacité de supporter ce coût, ne pensons pas pour autant que la formation est une solution miracle au problème des chiens dangereux : inculquer les règles de la psychologie canine et des bonnes attitudes à adopter n’est pas une garantie absolue. Lorsqu’on apprend à conduire on se tient tranquille jusqu’à ce qu’on obtienne le permis. Mais après ?
 
Enfin l’article premier du projet de loi donne la possibilité pour le maire de prescrire une formation aux détenteurs de chiens présentant un danger alors qu’ils n’appartiennent ni à la 1ère ni à la 2nde catégorie. Mais comment un élu local peut-il évaluer la dangerosité d’un chien et décider de la pertinence d’une formation ? Je propose pour ma part l’extension de cette formation aux détenteurs, plus repérables, de chiens divaguant de façon réitérée sur la voie publique ou sur des propriétés voisines, ce qui fera l’objet d’un de mes amendements.
 
Je terminerai en évoquant la formation des agents de sécurité. Ici encore l’intention est louable car il s’avère que mêmes les vigiles peuvent mal maîtriser leurs chiens, n’ayant pas reçu d’apprentissage en ce sens. Mais une question importante qui n’est pas abordée est le fait que les agents de sécurité rentrent souvent chez eux le soir avec leur chien, faute de lieu de garde en-dehors des heures de travail. La question des moyens est là aussi posée, ainsi que des conditions de travail de ces personnels de sécurité.
 
Ensuite, et c’est le second grand volet de ce projet de loi, vous placez le maire au cœur du dispositif d’alerte, de capture et de prescription.
 
Mais, là aussi, il faut déplorer que le projet de loi ne se donne pas les moyens de ses ambitions. En effet, avez-vous conscience, Madame la Ministre, du temps et des moyens nécessaires pour mettre en œuvre ces dispositions ? Une responsabilité très lourde pèsera désormais sur les maires qui ne disposent souvent d’aucun moyen pour faire face, soit pour l’obtention de toutes les pièces nécessaires à la déclaration en mairie, telles que certificats de stérilisation, vaccination antirabiques, attestation d’assurance de responsabilité civile ou attestation du Livre des Origines Français, soit pour faire respecter les interdictions liées à l’acquisition de ces animaux. Comme pour d’autres projets de loi, la tentation est grande de laisser le maire seul face à des situations complexes, sans soutien de l’Etat ou très peu.
 
C’est pourquoi, j’ai introduit trois amendements, qui sont vous le verrez très raisonnables, pour que le maire dispose des moyens indispensables aux missions confiées. Je proposerai ainsi que le gestionnaire du lieu de dépôt où l’animal est placé facture les frais afférents au détenteurs de chiens eux-même, sans passer par l’intermédiaire de la mairie. Les communes rurales ont en effet de petits moyens et auront parfois ensuite du mal à recouvrir les sommes dues par les propriétaires. Je proposerai également que les services de l’Etat, en l’espèce la gendarmerie et la police nationale, puissent être le cas échéant mobilisés pour venir en aide aux maires dans la capture du chien. En effet, je vois difficilement des maires inexpérimentés et ne disposant pas d’un garde-champêtre ou d’une police municipale, faire face lui-même au chien dangereux, l’immobiliser et le confier ensuite au gestionnaire du lieu de dépôt ! Enfin, je trouverais logique que les services de police et de gendarmerie aient obligation d’informer le maire en cas de plainte pour morsure sur le territoire de sa commune : trop souvent, le maire supporte la responsabilité des mesures à prendre, alors même qu’il n’est pas informé de ce qui s’est déroulé sur le territoire de sa commune...

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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