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Police et sécurité : lutte contre la contrefaçon

Ce projet de loi, M. le Président, mes chers collègues, nous pouvons en partager l’esprit puisqu’il s’agit de s’opposer à la contrefaçon, cette organisation parallèle de la production et du commerce qui conduit en définitive, à nier l’inventivité et le travail des hommes. Bien entendu, nous considérons qu’il faut renforcer la lutte contre la contrefaçon mais cette loi est en soi quelque peu contrefaite. Elle a, en apparence, la volonté de combattre le commerce de contrefaçons, mais elle n’en a ni le contenu ni la qualité, tout au moins au niveau nécessaire.
 
 Nous ne contestons pas que cette loi comporte certaines avancées notamment en matière de saisine du juge. Il convient aussi de saluer le travail de la commission concernant la restriction du champ d’application des possibilités de requête. Le respect du droit de propriété intellectuelle ne saurait cependant se réduire à de seules dispositions juridiques. Il s’inscrit dans une transformation profonde du comportement des entreprises, des circuits bancaires, des pouvoirs publics et des consommateurs. Plus de 35% des français, en effet, déclarent avoir déjà acheté ou à être disposés à acheter des biens de contrefaçon.
 
La commercialisation illégale de biens contrefaits représente la première activité parallèle mondiale et entretient pour beaucoup la vivacité des réseaux mafieux. Son explosion a des conséquences lourdes sur l’économie française. En effet, ce phénomène coûte chaque année à la France 6 milliards d’euros, et 30,000 emplois. Le pouvoir politique se doit donc de réagir face à ce qui constitue un réel fléau tant pour l’économie nationale que pour la santé et la sécurité de nos concitoyens.
 
Toutefois, cette loi, loin de proposer une solution réellement efficace, se contente de renforcer l’arsenal juridique existant sans se questionner vraiment sur les causes réelles de ce phénomène. Or, s’attaquer aux effets plus qu’aux causes, en s’engageant dans une course sans fin à la sanction est à mes yeux un choix contestable.
 
La commercialisation de biens contrefaits s’inscrit dans une dynamique mondiale et globale, alors que ce projet de loi est avant tout une réponse nationale, au mieux européenne. Nous savons tous que la grande majorité des produits de contrefaçon sont fabriqués hors de l’UE, plus de 30% proviennent exclusivement d’Asie. A cela s’ajoute l’explosion de cette activité dans les pays du pourtour méditerranéen et des pays de l’Est.
 
De fait si la contrefaçon est destructrice d’emploi en France, elle repose d’abord sur l’exploitation d’une main d’œuvre particulièrement vulnérable dans ces pays. Par exemple, nous assistons aujourd’hui au développement de la contrefaçon médicamenteuse. Cet essor se traduit par des catastrophes sanitaires dans les pays en développement, les plus exposés à cette menace face à l’inaccessibilité des traitements, conséquence des politiques des grands groupes pharmaceutiques. Dans un article daté de juillet 2006, intitulé L’EPIDEMIE SILENCIEUSE, l’Express dénonçait des milliers voire des centaines de milliers de morts dans certains pays en développement. En Europe, ce fléau se traduit par l’explosion de la vente sur le Net de produits stimulants ou coupe faim contrefaits. Ces deux exemples, symbole criant des inégalités de condition de vie au travers de la planète, sont pourtant deux caractéristiques d’un seul et même phénomène, le trafic internationalisé de contrefaçons.
 
Le cœur du problème se situe donc là. Ce n’est pas une loi nationale qui fera reculer la production de biens contrefaits et nous ne combattrons pas efficacement leur circulation sans mettre en place une réelle coopération avec les pays concernés sous l’autorité par exemple d’un organisme international adapté.
 
Ainsi, la question des contrefaçons, revêt une dimension mondiale, elle s’inscrit aussi dans une logique globale qui est celle du libéralisme à outrance. Les délocalisations nourrissent ce phénomène en multipliant les flux et en externalisant les savoir-faire et les productions dans des environnements peu sécurisés. Combien d’entreprises de luxe commercialisent leurs produits sous étiquettes françaises alors que ces derniers sont en réalité fabriqués à l’étranger. Ces entreprises portent une part de responsabilité conséquente dans l’expansion de ce phénomène. Ainsi la lutte contre la contrefaçon ne peut être cantonnée au champ judiciaire, mais doit intégrer une réflexion sur les réseaux de production et d’échange ainsi que sur les lieux de décisions de ce marché illicite.
 
A cet égard, ce projet de loi, bien que déposé par le prédécesseur de F.Fillon, épouse parfaitement la logique du gouvernement actuel : un problème politique, une nouvelle loi, un renforcement des sanctions et surtout beaucoup de communication. Or comme je l’ai dit un durcissement des sanctions ne peut nullement constituer une solution exclusive. Une loi ne fera pas reculer les organisations mafieuses peu enclines par définition à se préoccuper de la légalité de leur commerce. Chers, collègues, soyons un peu pragmatiques ! Quels seront les résultats de cette nouvelle loi ?? Mettra-t-elle un frein significatif à ce commerce ??? Permettez-moi, Mesdames et Messieurs, d’émettre un sérieux doute ! J’en doute tout simplement car le gouvernement fait souvent le choix des mots plus que des moyens. Or une loi sans financement effectif est un ornement supplémentaire au lourd fardeau juridique de notre pays.
 
Ainsi on nous demande de voter une loi, de donner l’aval de l’Assemblée, alors qu’en même temps nous savons tous, qu’un plan de réduction du nombre de fonctionnaires, particulièrement dans les douanes est mis en œuvre. Vous pourrez me répondre, Madame, la Ministre, faisant écho à votre Président, qu’avec l’Europe, les frontières se sont effacées et donc qu’il est logique d’abaisser le nombre de douaniers. Or, le débat d’aujourd’hui le montre bien, les chiffres de la contrefaçon vous donnent tort, les services de douanes ont franchi en 2006 la barre des 6 millions d’articles saisis. Vous pourrez aussi me répondre que la diminution du nombre de postes dans les douanes correspond pour beaucoup à des emplois administratifs, je vous rétorquerais, que de 2002 à 2007, plus de 550 postes d’agents de surveillance ont été supprimés, et cela sans prendre en compte le projet gouvernemental de diminution drastique du nombre de fonctionnaires et donc de douaniers.
 
Je conclurais en appelant à une réflexion et une analyse poussée du phénomène complexe qu’est la contrefaçon. Sans un questionnement réel quant à ses causes, son ampleur, et aux contradictions engendrées par son expansion, cette loi demeurera d’autant plus inefficace qu’elle n’est pas accompagnée des moyens humains et matériels nécessaires. C’est pourquoi, les députés communistes et républicains s’abstiendront sur ce texte.

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Pierre
Gosnat

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