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Pouvoirs publics : articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (Parlement)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, depuis près d’un an, nous n’avons eu de cesse de dénoncer cette illusion que vous nous présentez comme une réforme constitutionnelle : ce n’est pourtant rien d’autre que de la poudre aux yeux, un leurre, voire un tour de passe-passe. Cette « modernisation des institutions » était censée renforcer les pouvoirs du Parlement et de l’opposition ; de la modernisation, nous ne retiendrons qu’un effet de mode trompant mal son monde. Du renforcement des pouvoirs du Parlement, nous ne trouvons nulle trace. Le bilan est même sidérant tant il est négatif. Non seulement le Parlement, dans son ensemble, en ressort trahi et affaibli dans ses missions fondamentales, mais surtout, l’opposition est trompée et abusée, car niée
Nous ne sommes pas dupes, monsieur le secrétaire d’État. Nous ne l’avons pas été l’année dernière, pas plus que nous ne l’étions en janvier dernier lors de la première lecture de ce projet de loi organique découlant de la réforme constitutionnelle, comme l’a rappelé à l’instant Jean-Marc Ayrault. Nous le sommes moins encore aujourd’hui quand nous découvrons, sans grand étonnement hélas, que le texte qui nous est soumis aujourd’hui a déjà fait l’objet d’un accord entre les deux chambres parlementaires. Il a, en effet, été validé dans le plus grand secret – quelque peu éventé tout de même – des salons feutrés de la République. Ainsi, M. Hyest et M. Warsmann -faisant office de CMP extraordinaire à eux seuls !- se sont mis d’accord sur un texte qui correspondait aux attentes des majorités des deux chambres. Il ne vous reste plus, chers collègues de la majorité – car nous, il ne nous reste rien –, qu’à lever la main et à approuver ce texte, puisqu’il faut aller vite.
Mes chers collègues, j’ai souvent posé, ces derniers mois la question de savoir à quoi nous servions. Les députés de l’opposition – vous vous en rendrez compte dans quelques années, lorsque vous ne serez plus dans la majorité – ne servent plus à rien, sinon à rester ancrés dans une opposition passive. Les quelques outils créés par cette loi ne changeront rien à cette manière de voir. Quant à la fameuse « coproduction législative » de M. Copé, on en est loin. Que dire également des principes de résolutions qui ne changent rien non plus, tant est grand le verrou gouvernemental sur les propositions des parlementaires ?
Quant aux études d’impact et aux évaluations, comment pouvez-vous nous faire croire une seule seconde qu’elles auront un quelconque impact ? Il n’y a pas de moyens financiers propres garantissant une véritable autonomie financière et politique. Il n’y a pas non plus de véritables commissions parlementaires à l’instar de ce qui existe dans d’autres démocraties européennes. Toute volonté ou tentative d’évaluation des politiques publiques seront vaines. Dans le cas qui nous occupe, l’administrateur rédacteur de la loi aura, au sein de son ministère, pour devoir, en même temps qu’il rédige les textes de lois, de s’atteler aux études d’impact en faisant en sorte qu’elles correspondent à la réalité politique du moment et qu’elles servent l’intérêt politicien… La neutralité n’existera pas, l’objectivité, moins encore.
Mais revenons au droit d’amendement, la substantifique moelle, l’essence même de ce texte : il est absent du projet de loi puisque les articles 12 et 13 ont été votés conformes par le Sénat. Enterrer le débat pour mieux l’éviter, tel est le maître mot du Gouvernement qui veut aller vite et qui aurait perdu assez de temps. Mais, mesdames et messieurs de la majorité, le temps du Parlement, comme l’a rappelé Jean-Claude Sandrier, c’est le temps du débat, le temps de l’écoute, le temps de l’échange. Forts de nos expériences et de nos expertises, nous analysons, évaluons et discutons les textes de lois. En découlent des contre-expertises de qualité, des analyses indispensables à la bonne conduite de politiques publiques cohérentes. En découleraient des lois de qualité, des décrets d’application signés à temps… Il est devenu presque illusoire de rêver à une démocratie française où le Parlement jouerait son rôle de législateur et de garant de lois utiles et de qualité.
En tout état de cause, la logique du « court-termisme » qui règne dans le paysage politique français est désespérante et stérile. Elle n’invente plus, elle n’entend que faire survivre un système essoufflé. Elle ne décide plus, elle colmate !
Or ces deux questions – le temps du débat parlementaire et la qualité de loi – n’ont jamais cessé d’être au centre de nos préoccupations. Loin d’être des lubies de l’opposition, elle sont fondamentales. Leur prise en compte révélerait de la part du Gouvernement une volonté de réconcilier les citoyens avec la politique en se donnant les moyens d’une représentation nationale plus équilibrée, reflet de la diversité et de la vivacité de notre société.
Nous ne pouvons nous résigner à considérer les trois points en débat aujourd’hui comme des avancées démocratiques ou parlementaires. D’autant moins qu’il nous semblait plus urgent de travailler sur les lois organiques destinées à réconcilier les Français avec la politique et à replacer les citoyens au centre du débat politique. Or, pour l’heure, sans compter celle sur laquelle nous planchons encore aujourd’hui, seules deux lois organiques ont été promulguées : la première modifiant l’article 25 de la Constitution, qui permet notamment aux ministres sortant du Gouvernement de retrouver automatiquement leur siège de parlementaire – ainsi M. Bertrand a pu bénéficier de cette mesure deux jours après son départ du ministère du travail ; la seconde, qui modifie l’article 13 de la Constitution, autorise le Président de la République à nommer les présidents de France Télévisions, de Radio France ainsi que de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France.
On est loin, très loin, des droits des citoyens, alors que le texte voté par le Congrès était censé instaurer des avancées majeures : quid du droit de pétition, de la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature ou encore de la mise en place du nouveau « défenseur des droits » ?
Ces avancées étaient présentées, pour ne pas dire vendues par la majorité, comme les faire-valoir citoyens de cette réforme, de ces faire-valoir censés adoucir les autres mesures liberticides en matière de droit parlementaire. Qu’attendez-vous pour les rendre réelles et effectives ? Si elles étaient si importantes, pourquoi les faire passer après les autres ?
S’il est une urgence institutionnelle en France, c’est celle de réconcilier les citoyens avec le politique, avec la chose publique. Et même si nous nous sommes élevés contre certaines dispositions et manière de construire la réforme constitutionnelle, il nous semble essentiel aujourd’hui d’enclencher la mise en place de ces dispositifs.
Mais revenons à ce qui nous intéresse très directement aujourd’hui. Il est assez inquiétant de noter que certains principes fondamentaux sont de plus en plus remis en cause, au point que l’on se sente obligé de les rappeler dans cet hémicycle – du côté de l’opposition, mais également sur vos bancs. Pas un débat ne se déroule sans que le principe de séparation des pouvoirs ne soit évoqué. Pas une discussion n’a lieu sans que les connivences des pouvoirs politiques, économiques et financiers ne soient dénoncées. Pas un seul texte qui ne vienne en discussion sans susciter une nouvelle levée de boucliers. Les débats sur l’audiovisuel public, la création artistique sur Internet et tous les projets de lois organiques liées à la réforme constitutionnelle en sont l’illustration parfaite. Autant de dossiers qui transforment presque définitivement le Parlement en machine à voter, en caisse d’enregistrement, en Parlement qui nie son opposition. Pourtant, des oppositions actives sont synonymes de vitalité et sont le moteur du dynamisme démocratique. Mais cette avancé ne figure pas non plus dans votre programme.
Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, l’existence de contre-pouvoirs est révélatrice de la bonne santé de la démocratie dans laquelle elle s’inscrit. Or vous vous faites un malin plaisir de les démanteler les uns après les autres, alors même que nous sommes en pleine crise. Vos urgences nous amènent à légiférer sur la nomination des PDG de l’audiovisuel public par le Président de la République, sur une loi qui se propose de restreindre nos propres droits au sein de cet hémicycle ou sur une autre, très bientôt, si l’on en croit le Président Sarkozy, visant à supprimer les juges d’instruction. Ainsi les pouvoirs parlementaires, médiatiques et judiciaires, devenus contre-pouvoirs par la force des choses, se voient-ils très directement remis en cause.
Nous voici arrivés au terme de cette discussion que nous avons menée en janvier au prix de débats houleux, souvent à la limite du respect, de la part d’une présidence parfois partiale, voire sous influence, qui a perdu pied quelques séances durant. (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.)
Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, vous comprendrez aisément que nous ne puissions accepter de nous faire bâillonner plus longtemps. Vous savez tout comme nous que le droit d’amendement est essentiel au débat parlementaire et qu’aucun autre dispositif ne pourra le remplacer : ni le droit de résolution, qui ne trompe personne quant à son inutilité, ni même les pseudo-études d’impact qui ne servent qu’à évaluer la capacité du Gouvernement à jouer deux rôles à la fois. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
 

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Patrick
Braouezec

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