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Pouvoirs publics : modification du titre XV de la Constitution

 
Monsieur le Président, Madame la Garde des sceaux, Ministre de la Justice Chers et chères collègues
Je commence mon intervention rappelant ce que le Conseil constitutionnel a affirmé dans sa décision du 20 décembre : « ..hormis les changements de numérotation, les stipulations de la Charte, à laquelle est reconnue la même valeur juridique que celle des traités, sont identiques à celles qui ont été examinées par le conseil constitutionnel dans sa décision du 19 novembre 2004 » (n° 12 de la décision du 20 décembre 2007).
D’ailleurs, Valéry Giscard d’Estaing, dans la même ligne de raisonnement, l’a également admis sans aucune ambiguité : « dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes ».
Le même Giscard d’Estaing a souligné le 17 juillet 2007 devant le Parlement européen que les modifications apportées sont, « purement cosmétiques ». « En termes de contenu –je le cite- les propositions demeurent largement inchangées. Elles sont juste présentées de façon différente … Les gouvernements européens se sont mis d’accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler ». On ne peut exprimer plus clairement que par la bouche de l’ancien Président le mépris revanchard de nos élites pour la démocratie.
Les dirigeants européens s’apprêtent à faire passer en force le traité de Lisbonne alors qu’un texte similaire a été rejeté par voie référendaire.
Il s’agit d’un acte grave, car si on impose ce « nouveau traité »- et le gouvernement n’est pas étranger à cette politique oligarchique-la crise de crédibilité et de légitimité des institutions européennes et de la construction de l’intégration européenne ne fera que s’approfondir encore plus.
Et malgré cela, voilà que le Président de la République s’associe à cette démarche oligarchique en décidant unilatéralement que le traité de Lisbonne sera ratifié par le Parlement et qu’aucun référendum, aucun débat public citoyen, aucune consultation, n’aura lieu.
Le Président de la République se targue d’avoir fait disparaître la « concurrence libre et non faussée » des objectifs de l’Union mais celle-ci réapparaît dans le protocole n° 6 au rang des principes que l’Union doit faire respecter ! C’est prendre les citoyens pour des imbéciles !
L’attitude autoritaire et antidémocratique du Président de la République suggère que pour lui et son entourage, le peuple français est ignorant, incapable de comprendre les enjeux de la construction européenne et incapable de décider de son avenir. En plus de méprisante, c’est une initiative opportuniste et politicienne. 
Je rappelle au gouvernement que la décision prise par le peuple français le 29 mai 2005 n’est pas caduque, elle est encore entièrement en vigueur et d’actualité en relation au traité de Lisbonne. Le gouvernement, en décidant unilatéralement la ratification par voie parlementaire, bafoue les droits du peuple français, pire encore, il les empiète et les nie.
Si le Conseil constitutionnel a clairement affirmé que la révision constitutionnelle doit précéder la ratification du traité de Lisbonne, le projet présenté par le gouvernement vise essentiellement un tout autre objectif : imposer par la voie de la ratification parlementaire le même traité avec les mêmes principes et les mêmes règles, bien cachés intentionnellement dans la jungle des articles rédigés, dans le marécage de renvois successifs et, dans d’illisibles références à d’autres traités, à d’autres articles et à des innombrables protocoles.
Le gouvernement sait très bien que ce « traité modificatif » n’a de nouveau que les apparences : en réalité c’est un clone difforme de feu le Traité constitutionnel Européen.
Comme l’a souligné, à juste titre, le professeur de droit public, Anne- Marie Le Pourhiet « ...chez nous le cynisme est bien pire puisque l’on nous refuse même le droit de revoter en nous imposant une ratification parlementaire. Tout démocrate, qu’il soit souverainiste ou fédéraliste, devrait s’insurger contre une telle forfaiture.... ».
On nous vante le fait que le Parlement européen verrait ses pouvoirs renforcés. Mais le gouvernement cache bien au peuple français le fait qu’il ne s’agit que d’un bien mince avantage dans un système où une commission indépendante des gouvernements, et donc des Parlements devant lesquels ces gouvernements sont responsables, monopolise l’initiative législative ! Le Conseil constitutionnel a constaté clairement que le Parlement européen n’est pas « l’émanation de la souveraineté nationale ».
Au -delà même des aspects légaux et techniques du projet présenté par le gouvernement, je rappelle un fait lourde des conséquences pour la démocratie et pour les peuples européens : aucune procédure de révision constitutionnelle, y compris la notre, n’est aussi contraignante que l’obligation de réunir l’unanimité des vingt-sept Etats signataires pour modifier le texte des traités, y compris le texte du traité de Lisbonne !
Nous sommes enfermés dans un carcan dont il ne sera pas possible de se défaire à moins d’une révolution bien improbable à l’échelle des vingt-sept, sauf à quitter l’Union européenne ! Il est clairement énoncé qu’en ces domaines, très nombreux et importants, les Etats membres exercent leurs compétences quand l’Union a cessé d’exercer les siennes ou a décidé de ne plus les exercer.
D’immenses domaines relèveront désormais de deux instances oligarchiques : la Commission à laquelle nous abandonnerons plus encore le droit d’initiative et la Cour de Justice chargée d’interpréter la Charte des droits fondamentaux, au détriment pour l’essentiel du Parlement français. Dans quarante nouveaux domaines, le vote au Conseil interviendra à la majorité qualifiée et sera couvert par l’illusoire co-décision d’un Parlement fantôme, dépourvu de légitimité, en l’absence d’un peuple européen. Rappelons-nous de ce que le Conseil constitutionnel a affirmé à cet égard.
Avec son projet de révision constitutionnel, le gouvernement oublie une règle essentielle en démocratie : la souveraineté du Peuple. La souveraineté appartient au peuple ! Et le peuple s’est déjà prononcé sur ce même traité à la différence qu’il porte un autre nom !
Ne pas respecter la souveraineté populaire constitue un véritable déni de démocratie, l’équivalent de ce que le professeur Anne-Marie Le Pourhiet a appelé un « coup d’Etat ».
Mais avec la démocratie, ce sont les droits des travailleurs qui reculent, le droit à la sécurité sociale qui est mise en cause !.
La logique du capitalisme financier aujourd’hui dominant dans le système de la globalisation est naturellement contraire à l’intérêt des peuples européens.
La mise en concurrence des territoires, des institutions, des Etats, des mains d’œuvre- qui enfin de compte est le cœur de la philosophie, du contenu et de la lettre des traités européens- à l’intérieur comme vis-à-vis des pays tiers, entraîne délocalisations, chômage, stagnation des salaires et du pouvoir d’achat, démantèlement de la protection sociale.
La construction européenne actuelle imposée aux citoyens est bien un courroie de transmission de la politique de marchandisation de la société menée avec vigueur par l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC) à travers l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). 
Le traité de Lisbonne consacre l’OTAN comme pilier fondamental de l’Union. L’article 23 affirme que la défense européenne n’existera que « conforme aux engagements souscrits dans le cadre de l’OTAN par les pays qui en sont membres et qui ont choisi d’en faire le cadre d’élaboration de leur défense et l’instance de sa mise en œuvre ».
Ce texte a au moins un mérite : il est cohérent avec le souhait formulé par le président de la république de faire réintégrer par la France les structures militaires de l’OTAN, dont le général de Gaulle nous avait fait sortir en 1964. Mais aussi c’est une disposition logique : les Etats-Unis ont besoin d’une Europe soumise, réduite au silence et à l’impuissance.
Ce traité et notre gouvernement accordent aux Etats-Unis, non pas seulement un alignement de principe, toujours réversible dans un pays démocratique mais beaucoup plus : c’est l’assurance d’un acquiescement automatique de l’Union européenne à toutes les décisions américaines dans un monde que les Etats-Unis ne peuvent plus dominer seuls. Soyons clairs : dans l’Europe de Lisbonne, il n’y aura plus de place pour la voix d’une France libre et indépendante.
Si les Etats-Unis décident demain de frapper l’Iran, l’Union européenne bénira ! C’est l’Europe de la guerre et armamentiste, c’est l’Europe alignée à la politique guerrière des Etats-Unis.
L’heure est grave : comment et avec quelle autorité, nous les parlementaires, pourrions-nous demain déplorer la crise de la démocratie, la crise de légitimité démocratique ? Comment nous les parlementaires pourrions- nous déplorer le fossé entre le peuple et les élites, l’abaissement du Parlement, si nous devions nous-mêmes consacrer par notre vote le droit du Président de la République de déclarer nul et non avenu un vote référendaire aussi explicite que celui du 29 mai 2005 ?
Nous ne pouvons et nous ne devrions pas cautionner cette démarche gouvernementale !
Notre peuple doit être consulté. Le peuple français a défait le précédent projet de Traité constitutionnel. Il doit impérativement s’exprimer sur ce nouveau Traité. C’est une double exigence : nationale et européenne.
Nous ne devrions pas cautionner la révision constitutionnelle proposée par le gouvernement car le projet qui cherche à nous imposer par la voie parlementaire ce que notre peuple a refusé, n’est ni plus ni moins que la consécration d’un système social darwinien, la privatisation des biens communs, la primauté des intérêts privés sur l’intérêt général, l’identification de l’Etat et de ses institutions à ces mêmes intérêts, somme toute, la destruction de tout lien de solidarité. Le gouvernement veut nous imposer, comme le souligne le Professeur Robert Charvin, l’ensemble d’un droit privatiste, privatisé, marchand, corporatiste, et antidémocratique !
Ce coup de force ne doit pas passer, ce coup de ne doit pas être cautionné : c’est aussi une question de morale politique. Il faut préparer une autre Europe, celle des coopérations, celle des solidarités, une Europe qui est autonome de la volonté guerrière des Etats-Unis, une Europe de paix qui respecte le droit international, une Europe respectueuse des droits humains, une Europe ouverte, démocratique qui cesse de criminaliser les mouvements sociaux sous prétexte de lutte contre le terrorisme !
Nous les démocrates ne pouvons que rejeter de la manière la plus catégorique cette mise en scène !

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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