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Pouvoirs publics : protection des témoins d’une commission d’enquête parlementaire

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés,
Permettez moi, pour commencer mon propos, de citer Monsieur ROULET, le Président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), directement rattaché au Premier ministre lui-même, et qui écrivait en introduction du rapport d’activités de la MIVILUDES pour 2005 : « Pendant les dix années écoulées, le gouvernement français a considéré de son devoir de garantir la sûreté des citoyens en faisant preuve d’une grande vigilance, en alertant le public sur les risques sectaires et en luttant contre les agissements délictueux.
[…] Le Parlement s’est montré extrêmement attentif à ces questions, et cela, de manière très consensuelle. Le vif intérêt manifesté en ce domaine par la représentation nationale a toujours constitué, pour les gouvernements successifs, à la fois un encouragement en même temps qu’un signe fort de la légitimité de son action contre les dérives sectaires et les atteintes inacceptables aux droits de l’homme qu’elles induisent. »
Ce propos, confirme le fait que le phénomène sectaire interpelle les pouvoirs publics, au plus haut niveau de leurs responsabilités. C’est d’ailleurs encore le cas, aujourd’hui même, avec cette proposition de loi dont l’initiative revient, au Président de notre Assemblée.
Je tiens d’ailleurs, à rendre hommage à cette réaction, exceptionnelle, qui illustre une fois de plus l’engagement des parlementaires - de toutes sensibilités politiques représentées dans cet hémicycle - pour la défense des libertés individuelles et collectives dès lors que certains mouvements pseudo-religieux utilisent la liberté pour faire progresser l’obscurantisme et partant, bafouer nos libertés.
Nous le savons, les mouvements sectaires exploitent, à leur profit, les vides de notre société, l’absence de lisibilité, l’effondrement des grands systèmes idéologiques, la peur de l’avenir, la difficulté de comprendre ce qui nous arrive individuellement et collectivement. Ces groupes menacent l’ordre public lorsqu’ils se radicalisent et au-delà, loin des médias, au quotidien : combien de personnes abusées et spoliées, de couples brisés, de parents accablés, de vies mises en danger ?
A cet activisme, s’ajoute, l’activisme procédurier déployé par certains mouvements, souvent les plus importants et les plus riches, tels que la Scientologie ou les Témoins de Jéhovah. Là encore, ces organisations agissent en exploitant les failles qui peuvent exister dans notre système juridique. En assaillant de procès, les ex-adeptes qui osent témoigner publiquement, ou encore en harcelant juridiquement tout journaliste ou tout parlementaire susceptible de mettre à jour la dangerosité des activités déployées par ces organisations. Ainsi, comme le constatent les associations de défense des victimes de sectes, les ex-adeptes ne peuvent que trop rarement trouver argent et force psychologique pour entamer de longues et coûteuses procédures judiciaires face à des groupes ou associations armés pour une guerre financière et psychologique à outrance.
Cette réalité n’est malheureusement pas nouvelle. Ainsi, dès 1997, l’observatoire inter-ministériel sur les sectes, dans son rapport annuel constatait l’utilisation pléthorique des procédures administratives et judiciaires : « au cours des deux dernières années, les associations répertoriées comme ayant un caractère sectaire dans le dernier rapport parlementaire, ont multiplié les actions judiciaires à l’encontre des personnes, élus ou spécialistes, et des associations engagées dans la lutte contre les dérives sectaires, sur le fondement de la diffamation, de l’injure raciale ou religieuse ou encore de la discrimination. Sans pour autant renoncer à ce type de comportement, certaines de ces associations privilégient aujourd’hui la saisie des tribunaux administratifs, en vue de gagner une reconnaissance sociale et obtenir des avantages identiques à ceux consentis aux religions traditionnelles. La multiplication des requêtes devant les juridictions administratives visant notamment à obtenir la communication des dossiers constitués au ministère de l’intérieur et sollicités, dans un premier temps, par l’intermédiaire de la CNIL ou de la CADA, témoigne de cette préoccupation. Mais, c’est surtout une organisation en particulier qui, désireuse de convaincre de l’insertion de ses membres dans la société, s’attache le plus à créer une jurisprudence en sa faveur. Attaquant en justice les municipalités qui s’opposent à l’implantation de ses lieux de culte, cette association a également engagé plus de 400 procédures devant les juridictions administratives, afin de bénéficier des exemptions fiscales réservées aux seules associations cultuelles régies par la loi de 1905. Au delà de l’enjeu financier non négligeable, il s’agit pour cette association d’essayer d’obtenir le statut d’association cultuelle. »
Dans ce contexte, la proposition de loi qui nous est proposée est un excellent rempart contre l’acharnement procédurier - qui finit par s’apparenter à une forme de harcèlement - et qui porte atteinte à la libre parole devant les commissions d’enquête.
Il nous appartient, à nous législateurs, de prendre le temps, dans l’objectivité d’un examen serein et méticuleux de la situation, d’établir un véritable état des lieux des conséquences de l’influence des sectes sur leurs victimes et des moyens dont disposent les acteurs concernés pour lutter, prévenir mais aussi sanctionner ce type de dérives. Pour mener à bien ce travail, il importe que le législateur puisse entendre les témoins, les ex-adeptes ou encore les acteurs de la lutte contre les dérives sectaires, dans un environnement juridique sécurisant. Avec la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau mais également grâce à l’excellence du travail mené par certains médias, et je pense particulièrement à La Chaîne Parlementaire, les députés ont permis aux commissions d’enquête de siéger publiquement, en multipliant les auditions télévisées. Cette donnée nouvelle est bonne pour la démocratie puisqu’elle encourage la transparence du travail parlementaire et fait ainsi œuvre de pédagogie, mais dans le cas qui nous occupe, elle ouvre la porte aux dérives procédurières.
C’est pourquoi, je partage le point de vue exprimé par le Président de notre Assemblée selon lequel « les personnes entendues sous serment devant les commissions parlementaires doivent pouvoir s’exprimer sans crainte. […] Il n’est pas admissible que le simple fait de rapporter ce que l’on a vécu puisse exposer à des poursuites. Si ce dispositif n’était pas adopté, on peut craindre qu’à l’avenir plus personne n’accepte de témoigner ! ».
Faire taire les témoins, faire taire ceux qui se battent sans relâche pour les libertés individuelles et collectives, voilà le combat mené par les sectes sur le terrain judiciaire.
Pour ce qui nous concerne, ne nous laissons pas embrumer par ceux qui cherchent à se dissimuler derrière le principe de la liberté de conscience pour mieux asseoir leur emprise sur leurs adeptes.
La liberté de conscience, nous y sommes tous profondément attachés. Nous sommes les défenseurs de la loi de 1905, nous l’avons rappelé avec force à l’occasion du centenaire la loi de 1905. Et c’est parce que nous voulons continuer de défendre les libertés individuelles et collectives et nous donner les moyens de rappeler les règles de la République afin de protéger les plus vulnérables que nous voterons pour cette proposition de loi.

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Jean-Pierre
Brard

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