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Prévention de la récidive

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’inflation législative sécuritaire de la décennie écoulée s’est révélée à la fois inefficace et contre-productive. Loin d’avoir des effets notables sur le taux de récidive, cette politique n’a eu pour conséquence que de complexifier les dispositifs existants et d’aggraver l’engorgement des établissements pénitentiaires. Aujourd’hui, la situation indigne de surpopulation carcérale de notre pays entraîne des condamnations à répétition par la Cour européenne des droits de l’homme et, en dépit de l’accroissement du nombre de places de prison résultant des programmes successifs de construction immobilière, les établissements pénitentiaires français demeurent surpeuplés.
Surtout, et j’insiste sur ce point, il n’existe pas de résultats probants montrant l’effet de prévention de la récidive qu’aurait la détention. Au contraire, il y a un risque accru de récidive en cas de détention, ce qui conduit le Conseil de l’Europe à rappeler continuellement que le recours à l’emprisonnement doit rester une réponse d’exception. La synthèse des contributions et auditions de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive le souligne : l’unanimité se fait sur les effets négatifs de l’empilement législatif de ces dernières années et de l’augmentation de la population carcérale et de la charge de travail des magistrats et fonctionnaires. Au regard de ce constat sans appel, nous soutenons pleinement les objectifs visés par cette réforme, à savoir simplifier et repenser le droit de la peine et de son exécution autour de la question centrale de la prévention de la récidive.
Le projet de réforme s’attache en premier lieu à redéfinir le sens de la peine. Cette nouvelle définition, qui constitue désormais le préambule des dispositions du code pénal relatives aux peines, consacre la nécessité de la protection de la société, de la prévention de la récidive, de la réinsertion et de l’équilibre social, ainsi bien sûr que le respect des droits reconnus à la victime.
Le texte réaffirme ensuite des principes fondamentaux du droit pénal. Le principe constitutionnel d’individualisation de la peine est clairement énoncé à l’article 2, tandis que l’article 3 affirme qu’en matière correctionnelle l’emprisonnement ferme ne peut être prononcé qu’en dernier recours, par une motivation spéciale, aussi bien pour les primodélinquants que pour les récidivistes.
Au-delà du rappel de ces principes généraux, plusieurs avancées méritent d’être soulignées. Tout d’abord, nous sommes pleinement favorables à l’abrogation pure et simple des dispositions relatives aux peines planchers, tant pour les mineurs que pour les majeurs, que ce soit dans le cadre de la récidive ou de certains délits particuliers. Pour notre part, nous avons toujours combattu cet automatisme qui limite la liberté d’appréciation du juge et porte directement atteinte au principe constitutionnel d’individualisation des peines. Les peines planchers n’ont, en outre, eu aucun impact sur prévention de la récidive et elles ont aggravé la surpopulation carcérale comme de nombreux rapports l’ont établi.
Ensuite, la suppression des révocations automatiques des sursis renforce ce principe d’individualisation des peines. Jusqu’à présent, les sursis étaient révoqués automatiquement du fait du prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme sanctionnant un nouveau délit commis dans le délai de cinq ans après le prononcé du sursis. Cette automaticité pouvait se déclencher sans que la personne condamnée, voire sans que la juridiction de jugement en ait connaissance. Désormais, avec l’article 6 du projet de loi, la juridiction prononçant une peine de réclusion ou d’emprisonnement sans sursis aura la faculté, si elle l’estime nécessaire, de prononcer par décision spéciale la révocation totale ou partielle de chacun des sursis en cours.
La réforme introduit également une nouvelle forme d’ajournement de la peine destinée à permettre un complément d’enquête sur la personnalité de l’intéressé et sur sa situation matérielle, familiale et sociale. Nous soutenons cette césure du procès pénal, qui permet de renforcer la personnalisation de la peine. Cependant, on ne peut que s’interroger sur son efficacité concrète au regard de la charge des juridictions et du manque de moyens des services chargés des investigations.
S’agissant de la contrainte pénale, nous sommes favorables à la création de cette nouvelle peine en milieu ouvert qui, au côté des peines déjà existantes, permettra un suivi renforcé du condamné. Ce dernier sera soumis à des mesures de surveillance, des obligations et des interdictions : obligation de réparer le préjudice causé, d’exécuter un travail d’intérêt général, de respecter une injonction de soins, interdiction de rencontrer la victime ou d’aller dans certains lieux. Nous approuvons l’extension du champ d’application de cette mesure à tous les délits. Cela permettra d’enrichir l’éventail des solutions à la disposition des juridictions pénales, en leur donnant les moyens de prononcer la peine la plus adaptée à chaque condamné, conformément au principe d’individualisation des peines. De même, nous soutenons la possibilité pour le juge d’application des peines de convertir une peine d’emprisonnement d’une durée maximale d’un an en contrainte pénale, possibilité introduite en commission des lois. Mais j’insiste sur le fait que cette peine, plus contraignante que les peines probatoires existantes, puisqu’elle prévoit un suivi renforcé, à caractère régulier, nécessitera des moyens importants. Il faudra donc un personnel suffisamment nombreux pour la mettre en œuvre dès le prononcé.
Autre avancée importante de cette réforme : afin de lutter contre les « sorties sèches », l’article 16 du projet de loi crée une nouvelle mesure de libération sous contrainte, laquelle garantira effectivement un retour progressif à la liberté et offrira à cette fin un suivi renforcé à l’issue de la détention. La situation des détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans fera obligatoirement l’objet d’un examen aux deux tiers de la peine. En fonction du résultat de cet examen et après avis de la commission d’application des peines, le juge décidera de la libération sous contrainte ou du maintien en détention.
Comme l’a souligné le Syndicat de la magistrature, l’examen automatique aux deux tiers de la peine aura aussi pour effet de retarder la possibilité pour les primodélinquants d’obtenir un aménagement de peine. En effet, ces derniers peuvent actuellement obtenir un tel aménagement à la moitié de leur peine, contre les deux tiers pour les récidivistes. L’examen par la commission d’application des peines n’étant obligatoire qu’aux deux tiers de la peine pour tous, il est à craindre que les efforts des services d’insertion et de probation ne se concentrent que sur cet examen obligatoire et non sur les possibilités pour les primodélinquants d’obtenir un aménagement de peine dès qu’ils en auront effectué la moitié. Nous proposerons donc de ramener l’examen automatique à mi-peine.
De même, nous pensons que la procédure d’octroi de la libération sous contrainte devrait reposer sur un débat contradictoire.
Nous avons déposé un amendement en ce sens.
Enfin, soulignons une fois encore que pour rendre cette mesure effective, il faudra donner les moyens nécessaires aux services d’insertion et de probation. Surtout, pour lutter contre les sorties sèches, il faudra que ces services disposent des moyens suffisants pour accompagner tous les détenus et les inciter à préparer un projet de sortie.
Si toutes ces avancées sont indéniables, je dois cependant, vous le comprendrez, exprimer aussi quelques regrets. D’abord, la réforme n’allant pas jusqu’au bout de sa logique, elle ne revient pas sur l’article 465-1 du code pénal qui établit une distinction entre primodélinquants et récidivistes au regard de la possibilité pour une juridiction de prononcer un mandat de dépôt.
Ensuite, le projet initial réduisait les possibilité d’aménagements de peines ; ce n’est pas, me semble-t-il, la philosophie de la réforme. C’est donc à juste titre que la commission des lois est revenue sur la distinction injustifiée entre primodélinquants et récidivistes en fixant à un an le seuil d’emprisonnement permettant l’octroi d’un aménagement de peine.
De même, elle a donné au juge d’application des peines la faculté d’aménager la peine de personnes plusieurs fois condamnées à des peines prononcées ou restant à subir dont la durée totale serait supérieure à un an mais inférieure à deux ans. Ces modifications vont dans le bon sens, même s’il nous semblait plus judicieux de porter à deux ans le seuil d’octroi des aménagements de peine pour tous les détenus, dans la mesure où les courtes peines de prison sont inefficaces pour prévenir la récidive.
Par ailleurs, le projet de loi reste silencieux sur des points importants. Il ne prévoit aucune disposition visant à réformer le système pénitentiaire, alors que le jury de la conférence de consensus avait considéré qu’une réforme profonde des conditions d’exécution de la peine privative de liberté était une condition sine qua non de la prévention de la récidive. En particulier, le projet de loi n’aborde pas les questions d’emploi et de formation en détention.
Il ne dit rien non plus sur la justice des mineurs, alors que nous attendons toujours la réforme de l’ordonnance de 1945. Enfin, il ne remet pas en cause les dispositions relatives aux peines de sûreté et n’aborde pas la question cruciale des moyens, sur laquelle tous les professionnels de la justice appellent l’attention. La difficulté majeure tient aux moyens mis à la disposition des services et juridictions, actuellement surchargés, pour faire leur travail.
Pour conclure, et malgré les insuffisances que je viens de souligner, les députés du Front de gauche voteront avec conviction cette réforme, qui constitue un progrès incontestable, car ils sont persuadés qu’elle permet d’allier des considérations humanistes au souci légitime d’efficacité de la loi pénale.

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)

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