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Prolongation intervention française en Syrie

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, chers collègues, les périodes tragiques appellent des décisions graves. Décider d’intervenir militairement sur un territoire étranger en fait partie. Il convient donc, d’emblée, de souligner le caractère solennel de notre débat et le sens des responsabilités qui doit le guider.
Nous le devons à nos concitoyens, qui font face à la menace djihadiste avec courage et dignité. Nous leur devons aussi de garantir leur sécurité, mais sans posture martiale ni esprit de vengeance.
Il faut agir, oui, mais avec raison. C’est ainsi, que nous, députés du Front de gauche, soulignons plus que jamais que la solution au conflit syrien est foncièrement politique et diplomatique.
M. Jean-Luc Laurent. Exact, mais elle peut être aussi militaire.
M. Jean-Jacques Candelier. C’est dans cet esprit que nous attendons notamment des résultats aux initiatives de l’exécutif menées depuis ces derniers jours.
Les députés du Front de Gauche se prononceront après l’étude de plusieurs questions. D’où vient Daech ? Quel est le but de cette intervention ? Celle-ci est-elle légale ? Comment vaincre Daech ? Quel cadre multilatéral mettre en place ?
En préambule, je souhaite rappeler l’origine de ce groupe terroriste. Daech est la « créature des États-Unis », selon les mots d’Hillary Clinton. C’est un monstre hérité de l’intervention anglo-américaine en Irak en 2003, qui a créé un chaos et une guerre interconfessionnelle affectant l’ensemble de la région.
La marginalisation institutionnelle, politique et sociale des sunnites irakiens et syriens les a fait basculer dans l’impasse mortifère de l’islamisme radical. Les puissances occidentales, avec leurs alliés régionaux, ont persisté à vouloir construire leur hégémonie sur cette région, qui représente pour eux un enjeu majeur, en matière d’énergie notamment.
Aujourd’hui, il faut créer une alternative viable à Daech par une reconfiguration du pouvoir, en Syrie comme en Irak, reconfiguration que seuls ces peuples souverains sont légitimes à définir et à mettre en place, avec l’aide et la solidarité internationale.
L’intervention qui nous est proposée aujourd’hui répond-elle à ce cadre d’analyse ? François Hollande a déclaré au Congrès de Versailles chercher une solution politique dans laquelle Bachar Al-Assad ne peut constituer l’issue. Il a aussi affirmé que l’ennemi de la France en Syrie était Daech.
Néanmoins, l’intervention militaire n’est pas la solution d’avenir pour la Syrie. L’ONU doit être placée au centre d’initiatives diplomatiques et politiques. Nous partageons bien sûr l’objectif du Président de la République de détruire Daech. La destruction de cette organisation est nécessaire pour sauver des populations, celles de Syrie et d’Irak, mais aussi celles de Libye, du Liban, de Jordanie, de Turquie et des pays voisins.
L’impératif est également de nous protéger, pour éviter que des actes terroristes soient commis à nouveau sur notre territoire. Nous le savons, Daech est un ennemi de l’humanité entière. De Paris à Beyrouth, d’Ankara à Sousse, c’est le monde entier qui est pris pour cible, au nom d’une idéologie totalitaire et obscurantiste.
Quels sont les motifs légaux de notre intervention ? Le Gouvernement invoque l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui porte sur la légitime défense. Cet article précise qu’un État a le « droit naturel » de se défendre en cas d’agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales.
Les attaques terroristes en France commanditées depuis la Syrie contribuent à accréditer cet argument de la légitime défense, et ce, même si l’organisation djihadiste n’est pas un État. Reconnaître à Daech la qualité étatique ne risque-t-il pas de conforter sa légitimité et de renforcer son ambition d’instituer un califat ?
Force est de reconnaître toutefois les capacités militaires importantes de cette organisation. Daech se bat avec des tanks et des véhicules blindés. L’armée du groupe « État islamique » réunit aujourd’hui l’équivalent de sept divisions, pour capitaliser une force militaire égale au double de celle de la Jordanie. Il n’y a aucune différence avec une armée régulière, sauf l’absence d’aviation. Malgré les pertes régulières de combattants, causées par les combats et les bombardements, ses capacités continuent de croître.
Face à ce danger, nos forces fournissent depuis septembre 2014, dans le cadre de l’opération Chammal, un soutien aérien aux forces armées irakiennes dans leur lutte contre ce groupe.
Depuis septembre 2015, l’opération s’est étendue au territoire syrien. Elle mobilise sept cents soldats, aviateurs, mécaniciens et fusiliers, douze chasseurs Rafale et Mirage 2000. Au lendemain des attentats de novembre, sur les 285 opérations aériennes menées depuis le lancement de Chammal, seules quelques frappes avaient eu lieu en Syrie. Ce n’est qu’en réaction aux attaques récentes que la France a accentué l’offensive contre Daech sur le territoire Syrien, avec l’entrée en jeu du porte-avions Charles-de-Gaulle, qui triple nos capacités d’action. Nous avons détruit des centres de commandement, de recrutement, d’entraînement et des dépôts de munitions.
Pour les députés du Front de Gauche, l’intervention ne peut être prolongée que dans le cadre d’une mobilisation multilatérale, sous l’égide de l’ONU. La résolution 2249, qui vient d’être adoptée à l’unanimité du Conseil de sécurité, y contribue. Elle demande aux États membres de coordonner leur action contre Daech et d’éliminer son sanctuaire en Irak et en Syrie.
Une nouvelle résolution, pour « l’émergence d’un front antiterroriste », a été déposée par la Russie auprès du Conseil de sécurité, autorisant explicitement le recours à la force. Une guerre se gagne avec des forces terrestres, notamment celle de Bachar Al-Assad, qui reste une des seules à pouvoir agir.
Nous ne vaincrons pas Daech uniquement avec des frappes.
Il faut donc soutenir et fournir un appui aux forces syriennes et irakiennes démocratiques, parmi lesquelles les Kurdes, qui combattent sur le terrain.
Il faut pleinement soutenir la résistance de terrain à l’État islamique. Il serait impensable de donner l’impression que cette guerre est menée par l’Occident car cela ne ferait que raviver la dangereuse théorie du choc des civilisations, laquelle provoque divisions et stigmatisations au sein de notre nation, riche de sa diversité.
La France doit aussi peser de tout son poids pour lutter contre la répression turque envers les Kurdes qui se battent pour notre liberté. Laisser les Kurdes se faire assassiner, c’est perdre la bataille contre Daech.
La France doit répondre favorablement aux demandes des Kurdes syriens en lutte contre Daech, qu’il s’agisse de livraison d’armes et de médicaments ou de soins apportés aux blessés. Elle doit également exiger de la Turquie la levée du blocus qui isole le Kurdistan.
Si le volet militaire participe à la solution, il n’est qu’une partie de la réponse si l’on veut permettre aux peuples de vivre dans une paix qu’ils ne connaissent plus depuis longtemps. Riposter à la violence terroriste par la seule voie militaire, sans stratégie politique visant le retour de la paix et le développement de toute la région, serait une grave erreur qui permettrait à Daech d’atteindre ses objectifs : la conquête de territoires, de richesses et de populations.
La France doit soutenir les efforts diplomatiques, après la dernière réunion à Vienne du Groupe international d’appui pour la Syrie. La transition politique passe par la reconquête de la Syrie afin de permettre à son peuple de décider librement de son avenir.
Au niveau économique, aucune perspective ne peut s’ouvrir dans cette région si les relations commerciales demeurent fondées sur des accords de libre-échange. Ceux-ci privent les peuples de leurs ressources au profit de multinationales. Sans mesures économiques et sociales, il n’y a aucun espoir de rétablir la paix.
Par ailleurs, la guerre contre Daech ne peut pas masquer les errements de notre diplomatie. Nous ne pouvons continuer à nourrir nous-mêmes les logiques de guerre dans lesquelles les terroristes veulent nous entraîner. Les liens avec les pétromonarchies, qui sont le fourrier du terrorisme fanatique, doivent être rompues. Les alliances actuelles avec les gouvernements réactionnaires de l’Arabie Saoudite et du Qatar doivent être reconsidérées sur d’autres critères que ceux de la vente d’armes.
L’argent, c’est le nerf de la guerre. La contrebande pratiquée par Daech est une source importante de ses revenus. Il est impensable de laisser le commerce du pétrole perdurer en toute tranquillité.
La France doit prendre sa responsabilité dans la bataille pour l’assèchement du financement de l’État islamique. Dès juin 2015, les députés du Front de gauche avaient demandé la création d’une commission d’enquête à ce sujet.
Ce sont aussi les filières de recrutement djihadiste qu’il faut assécher. Des Français tuent des Français. Un temps pour un examen de conscience doit être prévu dans l’agenda politique.
Le sécuritaire et le militaire ne sauraient absorber tout le politique, même en ces temps exceptionnels. On sait que les profils des individus basculant dans la radicalisation sont divers. Leur implication est associée, dans la plupart des cas, à des phénomènes de rupture scolaire, familiale, sociale ou psychologique. Le fracas des armes, les injustices et la misère développée par le capitalisme ne font qu’entretenir un ressentiment dont se nourrissent les recruteurs,
Notre ennemi, c’est le terrorisme fanatique. C’est également la misère sociale et le racisme qui participent à nourrir la « bête immonde ».
C’est forts de cette position argumentée que les députés du Front de gauche s’abstiendront sur la poursuite des opérations en Syrie. Merci. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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