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Discussions générales

Pt Artisanat

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous partageons tous le souhait que le commerce et l’artisanat se consolident dans nos territoires. En effet, ces services participent pleinement à la vie de nos villes et de nos villages. Nous combattons tous la désertification commerciale, particulièrement dans ces quartiers populaires et ces villages où les commerces de bouche ferment les uns après les autres, où les boutiques et les entreprises artisanales disparaissent. C’est l’un des objets de ce projet de loi.
Je voudrais remercier Mme la ministre d’avoir pris le temps de la concertation avec les différents acteurs du secteur comme avec les groupes parlementaires, et remercier aussi M. le rapporteur. Le sens du dialogue qui est le vôtre à tous deux nous a mis dans d’excellentes dispositions à l’égard de ce projet de loi.
Entendons-nous d’abord sur le diagnostic. D’où viennent les difficultés actuelles du petit commerce et de l’artisanat ? Il y a certes des causes structurelles : je pense notamment à la désertification de tant de territoires ruraux et à ces villages qui, année après année, perdent ce qui leur reste de substance. Cependant, il faut bien admettre que les politiques menées par ce Gouvernement – comme par le précédent – ne sont pas de nature à les enrayer. En effet, au terme d’un revirement spectaculaire, le Gouvernement a procédé à l’augmentation des taux de TVA.
M. Damien Abad. Eh oui !
M. André Chassaigne. Après avoir abrogé la « TVA Sarkozy », il a relevé le taux intermédiaire de 7 % à 10 % et le taux supérieur de 19,6 % à 20 %. Cette hausse a frappé directement les travaux à domicile, la restauration, l’hôtellerie et, plus largement, tous les commerçants et artisans. Pour les secteurs de la restauration et du bâtiment, le taux de TVA, qui était jusqu’en 2011 de 5,5 %, a donc doublé en deux ans ! Et tout ceci pour permettre aux grands groupes d’accroître leurs marges et pour offrir 20 milliards d’euros aux entreprises, au nom de la compétitivité et sans aucune contrepartie ! Cette hausse frappe aussi durement le pouvoir d’achat des Français, et parmi eux les plus modestes. Il est amputé de 6 milliards, ce qui nuit évidemment au commerce et à l’artisanat. Ce que veulent les commerçants et les artisans, ce sont d’abord des clients !
Nous pensons que cette politique de l’offre est vouée à l’échec. De nombreux économistes le disent ; des voix de plus en plus nombreuses et diverses émanant de l’ensemble de la gauche le disent aussi. Et pour cause : notre économie ne traverse pas une crise de l’offre, mais une crise de la demande. Le chômage très élevé conjugué à un pouvoir d’achat qui atteint ses plus bas niveaux depuis 1984 grippent fortement la consommation, qui est l’un des moteurs principaux de la croissance française. Aider nos commerçants et nos artisans, c’est tourner le dos à la politique de l’offre et aux hausses de TVA ; c’est aussi faire le choix d’augmenter les salaires et la redistribution.
Ainsi, en 2013, le secteur de l’artisanat du bâtiment a perdu environ 35 000 emplois. Comme l’affirme le président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, « les carnets de commandes sont réduits de moitié en trois ans, les trésoreries vidées, les dépôts de bilan accélérés, les concurrences déloyales exacerbées et les artisans en grande détresse ». Par conséquent, madame la ministre, si nous saluons les mesures techniques et de bon sens contenues dans ce projet de loi, d’autres décisions doivent être prises pour développer le commerce et l’artisanat, comme un choc de pouvoir d’achat et une grande réforme fiscale. Nous savons en effet que les mesures prévues par ce projet de loi ne suffiront pas seules à sauver les derniers artisans et commerçants de proximité qui, dans certains quartiers et villages, s’échinent dans un funèbre solo. Les soins palliatifs peuvent adoucir et retarder la mort, mais ils ne l’évitent pas.
Pour autant, nous nous félicitons des différentes dispositions qui concernent les baux commerciaux, qu’il s’agisse de la nouvelle indexation ou de la limitation à 10 % des réajustements qui peuvent être appliqués en cas d’exception au plafonnement des baux. Modérer les loyers des commerçants peut avoir et aura un impact sur les prix qu’ils pratiquent et les aidera à tenir dans la concurrence très rude qui leur est faite par les grandes chaînes.
À l’avenir, il nous faudra aussi réfléchir aux moyens que le législateur pourrait mettre en œuvre pour mieux réguler la concurrence que la grande distribution fait au petit commerce, cette grande distribution qui, je le rappelle, avale la quasi-totalité des ventes de détail alimentaires : 55,2 % pour les trois grands groupes – 15,4 % pour Intermarché, 19,8% pour Carrefour et 20% pour Leclerc ! Pour cette dernière enseigne, les recettes atteignent 100 000 euros à la minute les gros week-ends !
Cette domination, écrasante pour le petit commerce, n’est pas sans rappeler les propos du père Baudu, dans Au Bonheur des Dames, de Zola, sur les nouveautés, devenues les « cathédrales du commerce » : « Aujourd’hui » disait-il, « elles n’ont plus que l’idée de monter sur le dos des voisins et de tout manger. »
Cela m’amène à souligner un autre point positif du texte : l’extension du droit de préemption commercial aux intercommunalités, aux établissements publics et aux sociétés d’économie mixte. Elle permettra d’aider à maintenir les petits commerces de proximité en centre-ville, souvent menacés par des activités de service, plus rapidement rentables.
Cependant, pour qu’une telle capacité d’initiative soit effective, ne convient-il pas de mettre un coup d’arrêt à la saignée budgétaire à laquelle sont soumises nos collectivités territoriales ? Donner de nouveaux leviers à nos collectivités, tout en amplifiant la RGPP Sarkozy – sous le nom de modernisation de l’action publique, la MAP – et en obéissant à l’injonction de Bruxelles de sabrer dans les investissements publics à hauteur de 60 milliards, n’est pas la meilleure voie pour redynamiser nos territoires.
Le deuxième volet du projet de loi, qui simplifie les obligations administratives et comptables qui incombent aux artisans, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée et aux micro-entreprises, va également dans le bon sens.
S’agissant du statut des auto-entrepreneurs, il constitue le point dur du texte. Lorsque ce statut a été mis en place sous la majorité précédente, les député-e-s du Front de gauche avaient souligné le danger qu’il représentait pour les artisans, avec une distorsion de concurrence. Nous avions aussi souligné les risques de salariat déguisé de ce statut. Force est de constater que l’histoire nous a donné raison.
Mais aujourd’hui, des milliers de nos concitoyens vivent et tirent des revenus, si faibles soient-ils, de ce statut. Nous devons donc l’améliorer et faire en sorte qu’il permette, non pas de contourner les conventions collectives, mais de donner des droits sociaux à ceux qui pratiquaient des activités jusqu’à présent non déclarées.
Chacun comprend que le statut d’auto-entrepreneur ne doit pas être un outil mis à la disposition du patronat pour exploiter et précariser. L’alignement du statut des auto-entrepreneurs sur celui des indépendants de droit commun, que portait le projet de loi d’origine, a été abandonné, du moins fortement lissé. Certes, les micro-entreprises seront soumises aux frais de chambre et à la cotisation sociale des entreprises, alors qu’elles en étaient exemptées jusqu’ici.
Les entrepreneurs devront aussi, si j’ai bien compris, madame la ministre, monsieur le rapporteur, effectuer le stage préalable à l’installation, qui devient obligatoire, et disposer d’une qualification et d’assurances au même niveau que les artisans. Est-ce bien le cas ? Vous le préciserez sans doute dans votre réponse.
On peut craindre cependant que les effets d’aubaine liés au régime de l’auto-entreprise demeurent. Or nous connaissons tous des exemples de stratégies de contournement du droit du travail, que permet l’auto-entreprise.
Ainsi, un restaurant huppé de Neuilly-sur-Seine faisait travailler dans ses cuisines des étrangers sans papiers sous ce statut d’auto-entrepreneur. En mars dernier, l’Urssaf a épinglé la société de soutien scolaire Acadomia pour avoir incité une partie de ses professeurs à prendre ce statut. Le syndicat national des pilotes de ligne rapportait qu’une majorité des pilotes de la compagnie à bas coût Ryanair n’étaient pas salariés de l’entreprise irlandaise, mais seulement prestataires, sous ce statut d’entreprenariat simplifié.
L’hôtellerie-restauration, les transports routiers de marchandises, les métiers de la culture et de la communication ou encore le BTP sont particulièrement touchés par ces abus. C’est la raison pour laquelle le monde du bâtiment est depuis toujours opposé à ce régime et réclame haut et fort l’exclusion de ce dispositif de son secteur d’activité.
L’Urssaf et l’inspection du travail sont, en principe, tenues de contrôler les abus et de requalifier, le cas échéant, en contrat de travail les prestations d’auto-entrepreneurs, qui seraient en fait des salariés déguisés. Mais l’ampleur prise par le dispositif, sans renforts supplémentaires pour l’administration, rend la tâche compliquée dans la pratique. Faut-il rappeler que le corps de l’inspection du travail a connu une monumentale saignée ces dernières années ? Aujourd’hui, seuls 2 250 fonctionnaires contrôlent 1 820 000 entreprises employant 18 millions de salariés.
Le manque d’informations quant à l’activité exercée empêche également de contrôler dans le détail. Madame la ministre, que comptez-vous faire pour renforcer la lutte contre le salariat déguisé dans le cadre de l’auto-entreprise ? Nous souhaiterions avoir des garanties sur ce point, ou tout au moins des informations sur les évolutions réglementaires que vous mettrez en œuvre et sur les moyens qui seront dévolus aux actions de contrôle.
La question se pose avec d’autant plus d’urgence que, dans le projet de loi relatif à la formation professionnelle, un coup très sévère est porté à l’organisation de l’inspection du travail. Alors que les donneurs d’ordre multiplient manœuvres et artifices pour contourner ou optimiser la réglementation du travail, le pire serait d’empêcher l’inspection du travail de remplir sa fonction pour laisser les mains libres aux entreprises de précariser et de s’affranchir du droit du travail, que ce soit par le détachement de salariés du sud et de l’est de l’Europe ou, plus près de nous, en instrumentalisant le statut d’auto-entrepreneur.
Enfin, le troisième axe du projet de loi concerne l’urbanisme commercial. Il est prévu un changement de la composition de la commission départementale d’aménagement commercial. Je proposerai par amendement d’y ajouter un représentant des maires ruraux, directement concernés par les effets de l’aménagement commercial en zone rurale.
Il prévoit également une rénovation du FISAC dont M. Fasquelle se plaignait tout à l’heure de l’évolution. Certes, il s’agit, entre autres – je dis bien « entre autres », madame la ministre –, d’une adaptation à un certain manque de moyens. Chacun le sait, quand vous avez pris vos fonctions, la liste des dossiers non instruits était incroyable et il n’y avait pas d’argent pour les subventions, promises parfois depuis deux ou trois ans à des commerçants, notamment en milieu rural. Mais quand j’entendais M. Fasquelle se plaindre de cette situation, je me disais que c’était pourtant le même qui soutenait que l’on ne réduisait pas assez les dépenses publiques ! On ne peut pas dire, d’un côté, qu’il faut réduire les dépenses publiques et, de l’autre, qu’il faut alimenter le FISAC, en se plaignant qu’il n’y ait pas suffisamment d’argent.
Il me faisait penser à une fable médiévale, celle où le loup Ysengrin a la queue du renard qui lui sort de la gueule, et où il dit qu’il ne l’a pas croqué ! (Sourires.) Voilà à quoi me font penser ces cris d’orfraie sur les dépenses publiques !
J’ai déposé un amendement proposé par l’Association des maires de France pour que le FISAC puisse encore être sollicité dans des situations d’urgence qui portent gravement atteinte au tissu commercial, telles que les tempêtes ou les inondations.
Ainsi, pour résumer la première partie de mon intervention,nous appuyons la simplification du cadre technique proposée dans le projet de loi, mais nous pensons que des solutions d’une autre envergure sont nécessaires pour déprécariser les auto-entrepreneurs – je pense aux congés payés et aux arrêts maladie. Il faut aussi mettre en œuvre des mesures d’envergure pour vivifier le commerce et l’artisanat.
Je voudrais encore aborder une question d’importance : l’accès au crédit bancaire.
Pour ne prendre que le département du Puy-de-Dôme, dont je suis l’élu, on ne compte plus les projets de création ou de développement de TPE-PME ou de commerces avortés, faute de crédit. Il s’agit pourtant, souvent, de montants relativement limités, de quelques milliers à quelques dizaines de milliers d’euros. Trop fréquemment, les porteurs de projets se heurtent au mur du refus bancaire, sans jamais connaître les critères du rejet.
Je ne citerai pas le nom du village, qui est assez proche du mien, je ne citerai pas non plus le nom de la personne concernée, de la banque et de la somme concernées, mais je voudrais tout de même vous donner un exemple bien précis. Il s’agit d’un tabac-presse, dans un chef-lieu de canton de 500 habitants. La propriétaire de ce tabac a un cancer, avec un traitement lourd et, de surcroît une salariée à mi-temps qui part à la retraite début avril. Elle est donc obligée de vendre. Elle fait des efforts puisqu’elle baisse son prix de départ de 20 % et accepte de vendre avec un crédit vendeur sur le stock. L’acheteur, lui, a un apport personnel d’environ un tiers du coût, sachant que le territoire consent une avance remboursable de la plate-forme d’initiative locale, conditionnée à l’obtention du crédit bancaire.
Depuis vingt ans, la banque en question bénéficie des dépôts du vendeur. Elle compte l’acheteur parmi ses clients, avec ses comptes professionnels et personnels, des comptes d’épargne, des assurances. Or cette banque – dont je ne citerai pas non plus le nom –, après avoir pourtant donné un accord verbal, vient, vendredi dernier, soit cinq jours avant le compromis de vente qui devait être signé aujourd’hui même, d’estimer qu’elle ne pouvait finalement pas prêter en raison d’une rentabilité insuffisante et d’un crédit trop long.
Le tabac presse a un chiffre d’affaires consolidé et un revenu certes modeste, mais c’est souvent le cas en milieu rural pour les commerçants et les artisans. Outre que les commissions diverses – tabac, Française des jeux – représentent 40 % du chiffre d’affaires, le matériel informatique est récent, de même que la caisse, les linéaires et l’alarme – d’une valeur de 1 400 euros. Il n’y a aucun investissement à réaliser à court terme et le comptable a établi un prévisionnel qui garantit la viabilité du projet.
Pourtant, la banque, comme elle le fait régulièrement, refuse d’accorder le prêt ! Il n’y a en effet quasiment pas une semaine – nous sommes tous concernés ici par ce problème – où nous ne recevons pas dans nos permanences des artisans ou des commerçants, des PME qui ne peuvent pas obtenir de crédit bancaire auprès de banques qui, par ailleurs, investissent à l’étranger et font de la spéculation. C’est inacceptable ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)
Mme Fanny Dombre Coste. Il a raison !
M. André Chassaigne. S’il y a des leviers à actionner pour le développement de l’activité, notamment en milieu rural, actionnons d’abord celui du crédit bancaire. Attaquons-nous aussi aux charges financières, aux intérêts versés aux banques et aux dividendes versés aux actionnaires qui pèsent pour plus de 300 milliards d’euros chaque année sur l’ensemble des entreprises. Regardons la réalité économique en face, et faisons le choix d’aider l’investissement, la création d’emplois, le développement des PME-TPE, plutôt que d’encourager une nouvelle gabegie financière, sans contrepartie pour l’économie du pays. Commerçants, artisans et responsables de PME ne sauraient être confondus avec des prédateurs financiers !
Ce qui nuit au financement de l’économie réelle, ce qui crée les dramatiques difficultés que rencontrent nos entrepreneurs – PME, artisans, commerçants – dans l’accès au crédit, tout autant que les ménages et les collectivités territoriales, c’est, me semble-t-il, que les banques sont plus tournées vers la spéculation financière que vers l’investissement, l’emploi, le bien-être social.
M. Jacques Krabal. Très bien !
M. André Chassaigne. Même si cela ne figure pas directement dans le texte de loi, madame la ministre, chers collègues, j’aborderai, pour conclure, la question du repos dominical.
Avant-hier, sept syndicats de salariés – CGC, CGT, CFDT, CFTC, FO, Unsa, SUD – et douze organisations patronales du petit commerce – avec, en tête, la Confédération des commerçants de France –, ainsi que le collectif des Amis du dimanche, ont présenté une position commune pour défendre le « jour pas comme les autres ».
L’économiste Éric Heyer de l’OFCE a confirmé qu’en termes d’emploi et de croissance économique, l’effet d’une extension des ouvertures dominicales était « au mieux neutre », au pire légèrement négatif. D’éventuelles créations d’emplois dans les grandes enseignes, où la productivité est importante, provoqueraient encore plus de destructions dans le petit commerce. Les députés du Front de gauche, que je représente aujourd’hui, défendront le repos dominical. Le Gouvernement, madame la ministre, en fera-t-il autant ?
Vous l’avez constaté, chers collègues, je souhaite que nos débats permettent de répondre aux différentes inquiétudes dont je me suis fait, comme d’autres avant moi, l’écho, ainsi qu’aux quelques questions que j’ai posées. Si nous obtenons ces réponses, madame la ministre, et nous n’en doutons pas, nous voterons bien évidemment ce projet de loi, qui représente certes une avancée modeste mais, techniquement, une avancée concrète. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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