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Pt asile et immigration - Nlle lect.

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, je veux redire à quel point cette nouvelle lecture constitue à nos yeux une mascarade. En bloquant les travaux de la commission d’enquête, vous tentez d’étouffer la vérité et offrez un bien triste examen à ce texte.
« Aujourd’hui, nous avons fait de la Méditerranée la pire des fosses communes. » Ce sont les mots du poète italien Erri De Luca.
Près de 40 000 migrants sont morts aux portes de l’Europe depuis le début des années 1990. D’après de nombreux chercheurs, jamais dans l’histoire une migration n’a causé autant de morts. Plus l’Europe se ferme et confie le contrôle de ses frontières à des pays non signataires de la conve ntion de Genève, plus le nombre de décès aux frontières augmente.
Face à cette crise de l’accueil, nous ne sommes pas à la hauteur. La plupart du temps, nous ne respectons pas les droits des hommes et des femmes qui arrivent en France avant même leur demande de protection par notre pays.
Pas à la hauteur, parce que ce projet de loi répond par la peur plutôt que de tenter de la combattre et de faire appel à l’intelligence collective. Rappelons que migrer tue. Notre devoir est de combattre le repli, les chiffres erronés, le vocabulaire humiliant, indigne.
L’Europe connaît une séquence politique fascisante. Vous l’admettez d’ailleurs volontiers, en critiquant avec force la politique du Premier ministre italien ou les dires de M. Orban, mais vous reprenez certaines de leurs propositions dans ce projet de loi.
Car ce projet de loi bafoue bel et bien le droit à la mobilité, liberté pourtant fondamentale, qui semble plus facile à acquérir pour les capitaux et ceux qui en possèdent beaucoup.
La loi soumise à nos débats n’est pas une loi utile. Quelle urgence y avait-il à faire voter un énième texte sur ce thème après ceux de 2015 et de 2016, à peine entrés en vigueur et pas encore évalués ? Quelle urgence y avait-il à briser nos traditions d’accueil déjà bien ébréchées, si ce n’est à satisfaire les extrêmes, à apaiser les pressions poujadistes, quitte à consacrer dans le droit une régression inouïe ?
Alors même que la France est déjà condamnée, alors même que se dressent en Europe d’autres tentatives de restreindre en tous points le droit d’asile, vous avez choisi de ne pas vous opposer au courant.
Pire, sous les pressions de la droite et de l’extrême droite, vous les suivez.
Vous avez choisi de soutenir une réforme déséquilibrée : deux fois moins de temps pour les droits, deux fois plus de temps pour la rétention avec, en parallèle, aucun bilan, aucune augmentation de moyens.
Si le parti du Président pourra se targuer de nous avoir fait éviter le pire par rapport à la version scandaleusement durcie du texte au Sénat, il n’en demeure pas moins que cette loi sur l’asile et l’immigration emporte en elle-même des régressions sans précédent concernant notre droit d’asile.
M. Jean-Paul Dufrègne. Eh oui !
Mme Elsa Faucillon. Mes chers collègues, l’Assemblée nationale s’apprête à voter le passage de 120 à 90 jours du délai pour formuler une demande d’asile, alors même que les associations n’ont pas arrêté de le dire et continuent encore : ces délais sont intenables et ne tiennent pas compte du parcours des personnes exilées.
Après de nombreuses alertes, absolument rien n’est fait s’agissant de la rétention des enfants. Pire : il y a trois mois, vous nous expliquiez qu’un groupe de travail serait lancé à ce sujet ; trois mois plus tard, vous nous expliquez que ce travail n’a toujours pas été entrepris et qu’un travail sera rendu d’ici trois mois. Vous repoussez de nouveau à plus tard. Pendant ce temps-là, les chiffres continuent d’exploser : 304 enfants ont été retenus en 2017 ; les chiffres seront plus élevés en 2018.
Alors que la majorité et l’exécutif se sont indignés du traitement des enfants mexicains aux États-Unis, la France risque de passer à côté de l’opportunité de mettre fin à l’injustice et à la violence que constitue l’enfermement d’enfants, seuls ou accompagnés, sur son territoire. L’examen de ce projet de loi était pourtant une opportunité historique de mettre fin à cette pratique.
Ce texte nous entraîne dans une logique qui, afin de favoriser les expulsions, ne respecte plus les droits fondamentaux. Pour preuve, en plus de retenir les enfants, vous proposez désormais de créer un fichier des enfants. Le fichage d’enfants étrangers, ou d’apparence étrangère, est une mesure prônée par la droite la plus extrême depuis des années – je pense, par exemple, au maire de Béziers qui propose le fichage d’enfants musulmans.
Mme Emmanuelle Ménard. C’est faux ! C’est de la diffamation !
Mme Elsa Faucillon. C’est également une mesure que le Premier ministre italien a défendu e il y a quelques semaines à l’encontre des Roms dans son pays. L’ensemble de la classe politique italienne s’est insurgée, et la représentation nationale française s’honorerait quant à elle à voter contre cette mesure injuste.
Selon les recommandations du Comité des droits de l’enfant, les données recueillies concernant les enfants ne doivent être utilisées qu’à des fins de protection de l’enfance. Ici, l’objectif affiché est aussi de lutter contre l’immigration irrégulière, ce qui est dans l’intérêt de l’administration et non dans l’intérêt supérieur de l’enfant, donc contraire à l’article 3 de la convention internationale des droits de l’enfant.
Par ailleurs, reprenant un discours ultra-droitier, le Président et le Gouvernement comparent sans cesse les migrants à des contrebandiers – image que l’on doit aux diplomates autrichiens –, à des malins réalisant un « benchmarking » de l’accueil, et accusent les ONG de complicité avec les passeurs.
Devons-nous vous rappeler que l’Aquarius a sauvé 28 vies en trois ans ? Les citoyens de la Roya et les membres de l’Aquarius sauvent l’honneur de la France ! Pourtant, rien n’est fait en ce qui concerne le délit de solidarité. Le Conseil constitutionnel a affirmé qu’une aide désintéressée au séjour irrégulier ne saurait être passible de poursuites, au nom du « principe de fraternité », corollaire d’un autre principe constitutionnel, « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».
Remarquez que ces derniers temps, de nombreux militants, mais aussi de nombreux citoyens solidaires, se sont retrouvés devant les tribunaux. Je pense ainsi Martine Landry, qui risque cinq ans de prison pour délit de solidarité, le parquet ayant fait appel de sa relaxe. Vous comprendrez qu’au regard de l’exemplaire suspension de quinze jours de M. Benalla, cela semble complètement incroyable.
M. Olivier Véran. Quel rapport ?
Mme Elsa Faucillon. La majorité s’honorerait à adopter l’amendement que nous avons proposé visant à supprimer ce délit de solidarité.
Enfin, la remise en cause du droit du sol à Mayotte porte atteinte à l’indivisibilité de notre République, car la nationalité est le premier et le plus important des droits humains, au fondement de tous ceux qui constituent les droits de l’homme. Si la situation mahoraise mérite toute l’attention des pouvoirs publics, elle ne doit pas servir de prétexte pour porter atteinte non seulement à l’universalité de notre droit de la nationalité, mais surtout à l’indivisibilité de la République.
Mes chers collègues, nous ne sommes pas face à une crise migratoire, mais à une crise de l’accueil, que ce projet de loi renforcera. C’est un contresens historique au regard des défis qui sont devant nous.
M. Jean-Paul Dufrègne. Elle a raison !
Mme Elsa Faucillon. Pourtant, le nouveau monde ne parviendra pas à affronter la crise politique qui frappe le droit d’asile et l’immigration par des mesures cosmétiques ou par des dispositions qui n’ont d’autre intérêt que de séduire la droite et l’extrême droite de cet hémicycle, mais pas seulement.
Ce texte porte en lui les germes du repli sur soi et du déni de l’autre, en opposition totale avec les valeurs que nous défendons, mais aussi avec les promesses du candidat Macron devenu Président de la République. C’est pourquoi nous voterons résolument et de toutes nos forces contre ce projet et serons présents aux côtés des associations et de celles et ceux, qui, sur notre territoire, seront confrontés à des difficultés supplémentaires pour exercer leurs droits. Face à un tel défi, l’examen de ce texte, dans les conditions que nous connaissons, est une indignité supplémentaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et NG.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)

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