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Pt garantissant l’avenir et la justice du système de retraites

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Denis Jacquat. Il va y avoir des coups !
M. Arnaud Robinet. Préparez-vous !
Mme Jacqueline Fraysse. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, trois ans à peine après la réforme Fillon,…
M. Denis Jacquat. La réforme Woerth.
Mme Jacqueline Fraysse. …nous voici appelés à modifier pour la quatrième fois notre système de retraites.
De la part d’un Gouvernement socialiste, on aurait été en droit d’attendre qu’il en profite pour revenir sur les reculs imposés par vingt ans de libéralisme débridé.
M. Jean-Pierre Vigier. Cela commence mal !
Mme Jacqueline Fraysse. Dès 1993, la réforme Balladur allongeait de trente-sept ans et demi à quarante ans la durée de cotisations et imposait la prise en compte des vingt-cinq et non plus des dix meilleures années, pour le calcul des pensions.
En 2003, la réforme Fillon entérinait un nouvel allongement de la durée de cotisations à quarante et un ans, puis, en 2010, le recul de deux ans de l’âge légal de départ ouvrant droit à une retraite à taux plein. La gauche tout entière n’avait pas manqué de protester à juste titre.
M. Arnaud Robinet. Eh oui, c’est bien de le rappeler ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Fraysse. Pourtant, que constatons-nous aujourd’hui ? Non seulement les reculs imposés par la droite sont entérinés, mais de nouvelles régressions sont avancées avec, une fois de plus, l’augmentation de la durée de cotisation portée à quarante deux ans, assortie d’une augmentation du taux de cotisation.
Pas de changement de cap donc, par rapport aux gouvernements précédents : même méthode, mêmes choix.
M. Marc Dolez. Hélas !
Mme Bérengère Poletti. On est d’accord !
Mme Jacqueline Fraysse. Même méthode avec une concertation menée au pas de charge en juillet, et l’annonce des décisions par le Premier ministre le 28 août !
Mêmes choix, avec le maintien du cap de l’austérité sur injonction de la Commission européenne, sans aucune proposition pour commencer de s’attaquer au cancer de la spéculation financière et dégager des ressources nouvelles pour les salaires, l’emploi et la protection sociale, donc les retraites.
Ainsi, après avoir rangé aux oubliettes sa promesse de s’attaquer à la finance et de renégocier le pacte de croissance, François Hollande continue de donner des gages à Bruxelles.
Comment, dans ces conditions affirmer, comme le fait la majorité, que cette réforme des retraites est inévitable et que c’est la seule possible ? Que cette réforme est juste alors que seuls les salariés subiront la hausse de leurs cotisations, puisque celle des entreprises sera entièrement compensée ou qu’elle n’aura pas d’incidence ni sur le montant des pensions, ni sur l’âge de départ à la retraite, ce qui constitue une incroyable hypocrisie ?
M. Arnaud Robinet. On est d’accord ! On l’a dit.
Mme Jacqueline Fraysse. Si votre texte est adopté, le montant des pensions baissera…
M. Marc Dolez. Eh oui !
Mme Bérengère Poletti. C’est la vérité !
Mme Jacqueline Fraysse. …parce que de très nombreuses personnes ne parviendront pas à cotiser quarante-deux ans pour percevoir une retraite à taux plein.
Bien sûr, avec votre réforme, madame la ministre, les salariés partiront plus tard, au-delà de soixante-deux ans, puisqu’ils devront travailler plus longtemps pour atteindre les quarante-deux annuités exigées, ce que vous avez d’ailleurs admis non pas publiquement, mais dans un rapport transmis à la Commission européenne.
Mme Véronique Louwagie. On ne sait pas tout ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Fraysse. Pour masquer cette dure réalité et faire passer ce texte « en douceur », comme vous dites, vous avancez quelques points positifs. S’ils ont le mérite de soulever de vrais problèmes, tels que la pénibilité, la prise en compte de l’apprentissage et des stages, le travail à temps partiel, la situation des personnes handicapées et de leurs aidants familiaux ou les retraites dans le monde agricole, l’examen attentif du contenu de ces quelques points montre leur portée limitée.
En tout état de cause, le compte n’y est pas, loin s’en faut.
Le compte n’y est pas pour les jeunes, qui subiront de plein fouet l’allongement de la durée de cotisations car les années d’étude ne sont pas prises en compte. Tout au plus deux années pourront-elles être rachetées, mais à un prix prohibitif !
Le compte n’y est pas davantage pour les femmes. Si celles qui travaillent à temps partiel bénéficieront de la baisse du nombre d’heures nécessaires pour valider un trimestre, aucune mesure volontaire n’est prévue pour mettre fin à l’inégalité salariale qu’elles subissent.
Le compte n’y est pas non plus pour les salariés exposés à des métiers pénibles, avec un compte pénibilité qui ne concernera qu’un petit nombre d’entre eux et qui ne prendra pas du tout en considération des facteurs nouveaux de pénibilité comme le stress au travail, et alors que rien n’est prévu pour les salariés aujourd’hui âgés de cinquante ans et ayant travaillé de nombreuses années dans des métiers pénibles ou pour les contractuels de la fonction publique.
Quant aux retraités, ils subiront le report de six mois de la revalorisation de leur pension, y compris ceux dont la retraite est si faible qu’ils ne sont pas imposables sur le revenu. Ils se verront désormais imposés sur la majoration de 10 % du montant des pensions de parents de trois enfants et plus.
Au total, 2,4 milliards d’euros seront ainsi ponctionnés dès 2014 sur les retraités, y compris les plus modestes, je le répète. À l’évidence, cette réforme est douloureuse pour tout le monde, sauf pour le patronat qui n’aura pas à mettre la main à la poche, puisque la hausse de la part patronale des cotisations retraite sera intégralement compensée par une baisse des cotisations familiales à la charge des employeurs.
Au bout du compte, le financement de cette réforme incombera essentiellement aux salariés. Le MEDEF en a rêvé, le Gouvernement socialiste le fait.
M. Arnaud Robinet. C’est honteux !
M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas possible ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
Mme Jacqueline Fraysse. De ce point de vue, je voudrais dire à mes collègues de droite combien j’admire les trésors d’inventivité dont ils font preuve pour critiquer un texte qui s’inscrit complètement, hélas, dans la doctrine libérale qu’ils défendent.
Notre approche est diamétralement opposée à celle que vous défendez. Nous affirmons que les moyens existent dans notre pays pour financer une protection sociale et une retraite digne pour tous.
Nous l’affirmons parce que la productivité et la richesse nationales n’ont cessé de progresser au fil du temps. Le problème n’est pas le manque de moyens, mais la répartition de la richesse produite par le travail.
Depuis trente ans, la part des salaires a considérablement reculé par rapport à celle des dividendes. En 1982, les dividendes représentaient 3,2 % du produit intérieur brut. En 2011, ils en représentent 9,3 %. Ce sont ainsi 180 milliards d’euros qui, chaque année, sont versés aux actionnaires, dont la plus grande partie ira gonfler de nouvelles bulles spéculatives.
D’où viennent ces 180 milliards, sinon du travail des salariés ? À quoi servent-ils, sinon à fuir dans les paradis fiscaux et à alimenter la bulle spéculative ? Il est là le frein à la compétitivité des entreprises, dont vous ne cessez de parler, dans cette sangsue qui pressurise le monde du travail, les entreprises et leurs salariés.
C’est pourquoi nous demandons, une nouvelle fois, que ces revenus financiers qui non seulement ne cotisent pas, mais ne sont même pas investis pour créer de l’activité économique et des emplois, soient enfin mis à contribution pour financer la protection sociale, les retraites.
Contrairement à ce que vous affirmez, augmenter la part des prélèvements sur les revenus financiers ne nuirait nullement à la compétitivité des entreprises puisqu’il s’agit de revenus déjà distribués. Mais vous avez délibérément décidé de n’agir que sur l’augmentation des cotisations et de leur durée.
En n’agissant que sur ces seuls leviers, les comptes sociaux ne seront pas équilibrés, et vous le savez. Nous n’irons que de recul en recul sans jamais atteindre l’équilibre qui nous est cependant promis à chaque réforme et aujourd’hui encore…
Lorsque l’on a demandé à Mme Moreau en commission pourquoi elle n’avait pas exploré l’élargissement de l’assiette, elle a répondu que « ce n’était pas la commande », montrant par-là les limites et les présupposés idéologiques qui entourent ce prétendu large débat sur les retraites.
Pourtant et je le dis solennellement, il est urgent de desserrer l’étau de la finance sur l’économie réelle. Cette finance que François Hollande désignait comme « l’ennemi invisible et sans visage »,…
M. Philippe Vigier. Le temps d’un discours !
Mme Jacqueline Fraysse. …cette finance, rappelons-le, qui est la seule responsable de la crise dans laquelle nous nous engluons.
D’un gouvernement de gauche, nous étions effectivement en droit d’attendre une telle orientation courageuse qui aurait rompu avec les politiques néolibérales suivies depuis trente ans. D’autant que les fortes paroles entendues ici même lors de la précédente réforme de 2010…
M. Denis Jacquat. La porte-parole du groupe socialiste en était la ministre actuelle !
Mme Jacqueline Fraysse. …pouvaient nous permettre de placer beaucoup d’espoir sur cette réforme des retraites, la première, par un gouvernement de gauche depuis l’instauration, en 1981, de cette avancée sociale que représente la retraite à soixante ans. Malheureusement, tel n’est pas le cas et la potion est amère.
Après les 20 milliards accordés au patronat dans le cadre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et la ratification de l’ANI, c’est la déception et l’exaspération dans le monde du travail. Permettez-moi de citer un appel de certains membres du Parti socialiste : « En mai et juin 2012, la gauche a été élue pour défendre nos droits à la retraite, pas pour les remettre en cause. C’est à nous, la gauche, de défendre le droit au bonheur après quarante années de labeur. »
C’est bien, en effet, le rôle de la gauche. Mais cet appel sera-t-il entendu en haut lieu et, surtout, soutenu ici dans cet hémicycle ?
Une majorité de gauche ne doit-elle pas se fixer l’objectif d’alléger le travail des hommes et de faire avancer le progrès social ? C’est notre conviction profonde. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, si la majorité décide de maintenir ce cap de l’austérité et des reculs sociaux, nous n’en serons pas : nous ne cautionnerons pas ces formidables renoncements. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Jacqueline
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