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Pt ratification ordonnances dialogue social

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi de ratification qui nous est soumis aujourd’hui est la preuve que le Gouvernement ne tire aucune leçon du passé, et sa majorité pas davantage.
J’évoquerai tout d’abord la méthode utilisée. L’encre des 49-3 successivement utilisés pour faire adopter la loi El Khomri à peine sèche, vous vous obstinez, madame la ministre, sans avoir pris le temps d’évaluer les réformes précédentes, à accabler le code du travail de tous les maux économiques du pays ! Je vous le dis très directement : ce nouveau coup de force n’est pas digne d’une République moderne, car il discrédite encore davantage le rôle de nos institutions et entérine la supériorité du droit du plus fort sur la force de construction démocratique du droit !
Rien, en effet, ne justifiait de légiférer en urgence, par ordonnances, sur un sujet aussi primordial. Notre droit social est le fruit de dizaines d’années de luttes et de conquêtes sociales, comme l’a brillamment rappelé notre collègue Pierre Dharréville. Avez-vous conscience, madame la ministre, que vous tournez le dos à notre histoire sociale et à une part de ce qui fonde notre République, cette République sociale dont l’ordre constitutionnel comprend toujours le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Une vraie réforme du code du travail aurait mérité un autre débat public ; elle aurait mérité d’associer pleinement les syndicats dans le cadre d’une grande négociation nationale interprofessionnelle ; elle aurait mérité de laisser au Parlement le soin d’élaborer la loi, ce qui est tout de même, vous en conviendrez, mes chers collègues, sa fonction première !
M. François Ruffin. Exactement !
M. André Chassaigne. Madame la ministre, vous parlez de réussite. Mais le bilan de cette séquence est désastreux ! Désastreux, puisqu’une majorité de Français et de syndicats sont opposés à votre projet. Désastreux, si l’on considère la logique des textes qui nous sont soumis aujourd’hui. Ils prennent simplement la suite de l’opération de démantèlement des droits sociaux commencée par la loi El Khomri. Loin de la révolution annoncée, vous nous imposez un copier-coller des réformes néolibérales menées ces dix dernières années en Europe sous l’impulsion de la Commission européenne, leurs dogmes imprégnant les 160 pages de vos ordonnances. Désastreux, lorsque l’on examine les principales orientations de ces ordonnances : affaiblissement du droit des travailleurs à disposer d’une représentation, démantèlement des systèmes de négociation collective, élargissement du nouveau droit du licenciement, encouragement des contrats précaires, et j’en passe !
Les effets de ces réformes rétrogrades ne sont d’ailleurs plus à prouver. Partout où elles ont été mises en place, elles se sont traduites par une précarisation des salariés au nom de la compétitivité, par une modération salariale au nom de la baisse du coût du travail, par un affaiblissement des syndicats au nom de la flexibilité. Que d’avancées !
Et quel paradoxe que de voir les pays de l’Union européenne affirmer leur volonté de construire une Europe sociale, sur un socle européen de droits sociaux, pendant que vous vous employez ici, par tous les moyens, à liquider le modèle social français ! Quelle contradiction de voir le Gouvernement se féliciter d’être le « premier de cordée » dans la lutte contre le travail détaché, en organisant lui-même la précarisation des salariés français !
Madame la ministre, en généralisant l’inversion de la hiérarchie des normes, en remettant en cause le principe de faveur, en faisant de l’accord d’entreprise le pivot des relations sociales, vous créez les modalités, sur le territoire national, d’une mise en concurrence par les conditions de travail.
Sous couvert de « négociation au plus près du terrain », vous mettez en place le régime du tout négociable et affaiblissez la loi commune. Ce faisant, vous niez les rapports de force qui se jouent au sein des entreprises, et passez sous silence le lien de subordination inhérent à toute relation salariale. Dans ce nouveau schéma, la primauté de l’accord d’entreprise devient le principe. La négociation de branche est désormais vouée au rôle de dernière – et hypothétique ! – rambarde.
Ainsi, il sera désormais loisible de négocier à la baisse tous les éléments de rémunération, à l’exception des salaires minimaux : les primes d’ancienneté, le treizième mois, les primes de nuit… S’ouvriront alors inévitablement des séquences de chantage à l’emploi dans les entreprises, que la négociation de branche permet aujourd’hui d’éviter.
L’exemple de l’accord signé le 4 octobre par les routiers est de ce point de vue tout à fait éclairant. Mobilisés pour la pérennité de leurs différentes primes, ils ont obtenu qu’elles soient intégrées dans les salaires minimaux garantis par la branche. Preuve s’il en fallait du potentiel de dumping social de votre projet !
Madame la ministre, vous prétendez dans le titre de ce projet de loi « renforcer le dialogue social » et « redonner de la confiance ». Mais vous mettez tout en œuvre pour affaiblir la représentation des salariés et le fait syndical, qui sont les garants d’un dialogue plus équilibré. Ainsi, les nouvelles modalités de négociation dans les petites entreprises, où il sera possible de négocier sans syndicats, traduisent le retour à l’arbitraire patronal, en laissant le salarié seul dans un face-à-face avec son employeur !
La création d’une instance unique de représentation n’est autre que la reprise d’une des plus vieilles antiennes du MEDEF contre les lois Auroux de 1982. Elle aboutit à la suppression des délégués du personnel, du comité d’entreprise, et surtout des CHSCT en tant qu’entités autonomes. Triste nouvelle pour la santé au travail, au moment même où vous supprimez le compte pénibilité ! Même dans les entreprises où une présence syndicale est assurée, vous laissez la porte à ouverte à une remise en cause du monopole syndical, avec des élus du personnel sans moyens et sans indépendance.
Enfin, ce texte est la consécration de la logique de flexi-précarité. La troisième ordonnance se fixe ainsi l’objectif de « sécuriser les relations de travail pour l’employeur comme pour les salariés ». Le dernier membre de phrase de ce titre est visiblement de trop, alors que vous mettez en place un arsenal juridique à disposition des employeurs pour se séparer des salariés. Vous ne vous êtes pas contentée de vider le code du travail de son contenu, vous avez inventé, de façon tout à fait innovante, le code du licenciement !
Alors que le droit du travail était déjà largement contourné, vous introduisez aussi le vieux projet de plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement illégal, au motif de « lever la peur de l’embauche ». Pourtant, quand on interroge les employeurs, leur réponse est unanime : c’est le carnet de commandes qui détermine la création d’emplois, ce n’est pas la peur – que dis-je, l’effroi – d’embaucher !
Comble de l’hypocrisie sociale, vous créez un nouveau mode de rupture du contrat de travail : la rupture conventionnelle collective ! Ou l’art et la manière de présenter des plans sociaux sans s’embarrasser des protections liées au licenciement économique ! Avec ce nouvel assouplissement du droit du licenciement économique, la boucle est bouclée. Ainsi, le périmètre d’appréciation des difficultés économiques d’une entreprise, comme l’obligation de reclassement, sera limité au territoire national : du pain bénit pour les grands groupes en parfaite santé financière, qui pourront donc licencier dans leurs filiales françaises sans crainte de voir le juge prud’homal condamner ces pratiques abusives.
Comme rien n’arrête le Gouvernement, ni vous, madame la ministre, vous prévoyez aussi de faciliter le recours aux CDD et à l’intérim, tout en faisant le constat d’un recours accru à ces formes d’emploi. Et, cerise sur le gâteau, vous créez le CDI précaire, avec l’élargissement du contrat de chantier. Quel formidable signal d’espoir pour notre jeunesse !
Sans vouloir, bien entendu, le reconnaître, c’est au contrat de travail à durée indéterminée que vous vous attaquez. Toute la cohérence de ces ordonnances vise ainsi à en dissiper le contenu protecteur. Quel contresens social !
Madame la ministre, mes chers collègues, les députés de notre groupe ne peuvent consentir à une telle opération de dislocation du droit du travail, qui entend faire du code du travail un couteau sans manche qui aurait perdu sa lame – c’est le député de Thiers, capitale de la coutellerie, qui vous le dit !
Votre projet, purement idéologique, relève d’une vision archaïque de la société. Une idéologie que vous n’assumez d’ailleurs pas publiquement, celle d’un ultralibéralisme d’un autre temps.
À rebours de ces funestes orientations et de ces ordonnances réactionnaires, nous portons un projet d’alternative progressiste, pour un code du travail du XXIe siècle. Nous le mettrons une nouvelle fois en débat au cours de la discussion. Sa modernité tient dans des principes forts : le partage du temps de travail, l’encadrement des rémunérations des dirigeants, l’égalité professionnelle réelle entre femmes et hommes, le renforcement des pouvoirs de négociation et de gestion des travailleurs dans les entreprises, la lutte contre l’emploi précaire, de nouveaux droits sociaux pour les victimes de l’ubérisation. C’est bien de toutes ces nécessités de notre siècle que nous essaierons de vous convaincre aujourd’hui ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et NG.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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