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Publicité programmes jeunesse

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, nous voici en présence d’une proposition de loi dont le contenu a été profondément modifié en commission. La proposition initiale affichait un objectif juste – supprimer le danger pour les enfants de la publicité dans les programmes de télévision qui leur sont réservés –, mais elle ne s’appliquait qu’à la seule télévision publique.
Aussi avons-nous été nombreux à nous interroger sur le bien-fondé d’une telle proposition, en raison de la discrimination financière que cela engendrerait à l’égard de la télévision publique, mais surtout, madame la rapporteure, de l’inefficacité d’une telle loi sur le problème posé : les conséquences sur les jeunes enfants et adolescents de la publicité qui leur est destinée, quels que soient le support et la chaîne qu’ils regardent.
Si, au cœur de la démarche, que vous avez rappelée tout à l’heure, il y a l’intérêt des enfants, on ne peut s’arrêter si vite sur le chemin. Nous sommes parvenus, avec la réunion de notre commission, contrairement au projet initialement soumis par notre collègue, à un texte élargissant le champ d’intervention de la loi à l’ensemble des moyens de communication audiovisuels et responsabilisant la représentation nationale vis-à-vis de la télévision publique. Pour autant, ce texte n’apporte pas de réponse satisfaisante puisqu’on en reste à la publication de rapports.
Nous sommes très loin de ce qu’attendaient de nombreux défenseurs des enfants, à savoir une loi permettant de faire reculer la publicité en direction des enfants et concernant l’ensemble des moyens de communication. Nous avons, en effet, été nombreux à recevoir des courriels nous alertant sur les dangers encourus par les plus jeunes. Et, comme je l’avais évoqué en commission, parmi ces dangers figurent bien sûr les questions liées à l’obésité, mais aussi la reproduction de stéréotypes de genre, comme nous l’avons encore constaté dans les publicités pour les jouets au moment des fêtes.
J’ai donc proposé en commission un certain nombre d’amendements pour que la loi porte sur l’ensemble du champ de l’audiovisuel, afin d’empêcher que les enfants ne soient emportés dans la société de consommation.
Cela aurait mérité une loi portant une grande ambition, en vue d’agir sur la totalité du problème. Nous savons en effet que les enfants consomment les programmes jeunesse principalement sur les chaînes privées : TF1, M6 et Gulli. En outre, les enfants de moins de 12 ans regardent davantage les chaînes de France Télévisions entre dix-neuf heures et vingt et une heures – on peut le regretter – que le matin, quand sont diffusés les programmes pour la jeunesse.
Par le biais de ses deux marques – Les Zouzous pour les enfants âgés de 3 à 6 ans et Ludo pour les 6 à 12 ans –, France Télévisions diffuse 200 heures de programmes, contre 640 heures pour la seule chaîne Gulli, et aucune publicité commerciale n’est diffusée dans les émissions ou sur les applications liées aux programmes de France Télévisions pour les enfants de 3 à 6 ans. Madame la ministre a en outre souligné que France Télévisions s’est engagée, à travers une charte, sur les contenus diffusés en direction des plus jeunes.
Ainsi, la télévision publique donne déjà l’exemple, montre le chemin, et on peut rêver demain d’une chaîne publique débarrassée de toute publicité pour l’ensemble de ses programmes, mais il faut alors s’en donner les moyens en abordant la question des compensations financières. Mme la rapporteure, dans l’exposé sommaire de ses propositions d’amendement, indique la nécessité d’y réfléchir, mais sans toutefois en préciser dans la loi les modalités.
Si la publicité n’est pas nocive que sur la télévision publique pour les jeunes enfants, elle ne l’est pas non plus que sur la seule télévision. De récentes études montrent en effet que la place qu’occupent les autres écrans dans la consommation médias des enfants ne cesse d’augmenter.
Les enfants et les jeunes sont les tranches d’âge dont la consommation de télévision baisse le plus vite et le plus fort : dix-sept minutes de moins en moyenne entre 2012 et 2014 pour les 4 à 14 ans, contre neuf minutes de moins pour la population en général. Aussi, c’est à un dispositif législatif permettant d’agir sur l’ensemble des programmes télévisés et des moyens de communication utilisés par les enfants aujourd’hui qu’il faudra travailler.
Enfin, madame la rapporteure, rien ne serait plus immoral qu’une politique de vases communicants qui supprimerait la publicité pour les enfants sur un support ou une antenne publique pour la reporter sur des chaînes privées. Avec le règne de la loi du marché sur les écrans, ce n’est malheureusement pas la générosité qui serait à l’ordre du jour, mais l’appât du gain.
Vous argumentez, madame la rapporteure, sur le danger que ferait courir le retrait de la publicité dans les programmes jeunesse pour les chaînes privées. En effet, les annonceurs du secteur alimentaire pour la catégorie « enfants » investissent d’abord dans les chaînes privées : TF1 reçoit 83 millions d’euros et M6 48 millions d’euros, pour seulement 1,4 million pour France 3 et 900 000 euros pour France 4. Mais que représente cette somme par rapport au budget publicitaire de TF1 ? S’attaquer à la publicité aussi sur les chaînes privées ne ferait pas tomber les maisons TF1 ou Gulli et ne les obligerait pas, comme vous nous l’avez dit en commission, à aller émettre de l’étranger.
Vous faites référence au rapport de nos collègues sénateurs Gattolin et Leleux sur le financement de l’audiovisuel public, mais nous pourrions aussi nous référer au rapport de Marc Schwartz au Sénat sur France Télévisions, qui se disait « pessimiste sur les perspectives d’évolution de la publicité pour la chaîne publique ».
Si, dans l’intérêt des enfants et de la qualité des programmes de l’ensemble des moyens de communication, nous pensons qu’il faut travailler à des mesures visant à interdire la publicité commerciale dans tous les programmes destinés à la jeunesse, il faut permettre au secteur public de mettre en place cette nouvelle législation. Pour cela, il est nécessaire de travailler dans le même temps à une grande réforme de la contribution de l’audiovisuel public, afin de permettre au service public de vivre et de créer.
Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder cette question lors de nos débats sur les contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions. Nous avons de grandes exigences de contenu à l’égard de notre télévision publique et nous avons raison. Son rôle est en effet décisif pour la création et l’accès aux œuvres du plus grand nombre de nos concitoyens.
Permettez-moi ici cet aparté : j’espère que l’audiovisuel pourra avoir une meilleure place dans le contenu de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine lors de sa deuxième lecture, que nous espérons très rapide, madame la ministre.
Oui aux exigences de qualité pour le service public, oui à une grande ambition pour ses missions, mais alors, oui à des moyens à la hauteur pour la réalisation de ces objectifs.
Pour ce qui concerne la proposition de loi qui nous est soumise, si elle reste en l’état, nous la voterons mais, vu son contenu, sans grand enthousiasme.

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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