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Discussions générales

Questions sur l’économie collaborative

Madame la secrétaire d’État, en janvier dernier, le Conseil national du numérique vous a remis un rapport sur le travail et l’emploi numériques. Le CNN recommandait notamment de faire évoluer le droit commun pour assurer une protection effective aux travailleurs indépendants mais économiquement dépendants.
Aujourd’hui, avec le numérique, le nombre de travailleurs juridiquement indépendants mais économiquement dépendants ne cesse en effet d’augmenter.
Parmi les pistes avancées pour offrir une protection juridique et économique à ces travailleurs faussement indépendants figure celle de la constitution d’un droit de l’activité professionnelle composé d’un socle de droits fondamentaux applicables à tous les travailleurs. Si l’idée de mettre en place un tel socle de droits communs aux salariés et aux indépendants peut sembler séduisante, elle présente le risque de servir de prétexte à une remise en cause d’un certain nombre de droits attachés aux statuts actuels. La numérisation de l’économie est devenue une formidable machine à précariser l’emploi qui, sous couvert de valoriser l’entrepreneuriat individuel, encourage le dumping social et la multiplication des travailleurs pauvres et isolés, nous entraînant toujours plus vers une économie low cost et, partant, des emplois low cost.
Plusieurs propositions se font jour pour mieux encadrer les plateformes de l’économie collaborative et éviter qu’elles ne deviennent le nouvel eldorado d’un capitalisme sans foi ni loi. Parmi les pistes intéressantes figure celle de l’extension du salariat par la redéfinition du principe de subordination juridique autour de la notion de dépendance économique.
Madame la secrétaire d’État, quelles pistes le Gouvernement privilégie-t-il actuellement en matière de requalification des relations entre ces travailleurs de l’économie collaborative et les plateformes, et quel est son calendrier ?
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Comme vous le savez, monsieur le député, le droit et le juge français ont choisi le lien de subordination juridique et non la notion de dépendance économique pour caractériser le contrat de travail. Une jurisprudence très nourrie permet donc, en France, de requalifier les relations qui débordent la simple relation commerciale en relations relevant du droit du travail.
Il ne faut pas faire, je crois, de distinction entre les travailleurs indépendants dont l’activité est fournie ou facilitée par des plateformes numériques et les autres travailleurs indépendants. Il n’y a pas de raison de traiter différemment le chauffeur qui est sollicité par le biais d’une application de téléphone mobile et celui qui est sollicité par un central téléphonique. Dans les deux cas, une situation de subordination juridique doit pouvoir être requalifiée.
Quant à la notion de dépendance économique, elle doit être maniée avec précaution. Il nous paraît important, dans une première étape, d’observer les comportements des acteurs avant de statuer sur la nécessité de légiférer ou de prendre des mesures en la manière, car nous en sommes à un stade où cette économie reste en développement.
Le rapport Terrasse va dans ce sens, dégageant pour l’heure comme priorité de rapprocher la protection sociale des indépendants de celle des salariés.
Le Gouvernement, vous le savez, proposera dans le projet de loi de la ministre du travail, qui vous sera présenté très prochainement, les détails du compte personnel d’activité. Ce dispositif permettra de mieux gérer la portabilité des droits entre le statut de salarié et celui d’indépendant, notamment en ce qui concerne la formation, ce qui constitue une première étape importante.
Vous avez de nouveau la parole pour votre seconde question, monsieur Charroux.
M. Gaby Charroux. Comme l’a récemment souligné notre collègue Pascal Terrasse dans le rapport remis à M. le Premier ministre sur l’économie collaborative, la contribution des plateformes aux charges publiques représente un enjeu considérable. Selon l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques –, les pratiques d’optimisation fiscale abusives auxquelles se livrent nombre d’entreprises numériques induiraient un manque à gagner pour les recettes publiques de l’ordre de 93 à 224 milliards d’euros – la fourchette est large ! – par an dans le monde.
Les 15 et 16 novembre derniers, les chefs d’État et les ministres des finances des pays du G20 ont approuvé les préconisations de l’OCDE visant à contrer les pratiques fiscales les plus dommageables, notamment en encadrant les règles relatives aux prix de transfert. Le plan d’action de l’OCDE est sans portée contraignante mais, si près de quatre-vingt-dix pays collaborent aujourd’hui à la rédaction d’un instrument pour amender le réseau existant de conventions fiscales bilatérales, cela n’interdit pas à notre pays de prendre des initiatives.
L’obligation faite aux entreprises, par la loi de finances pour 2016, de déclarer à l’administration fiscale dans un rapport, pays par pays, la nature des activités poursuivies et le montant des bénéfices réalisés, va dans ce sens et nous apprécions cette mesure. Il est néanmoins possible d’imaginer d’autres outils. Nous avions formulé, par exemple, la proposition d’instaurer une contrepartie financière au recours aux paradis fiscaux par les établissements bancaires français. Cette disposition pourrait être étendue aux entreprises numériques.
Notre question sera donc double : quelle est la position aujourd’hui défendue sur ces questions par le Gouvernement dans le cadre des négociations internationales et des échanges avec nos partenaires européens, et quelles mesures nouvelles envisagez-vous de proposer lors des prochaines échéances budgétaires ?
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, depuis le sommet de Los Cabos en 2012, la France soutient les travaux de l’OCDE et du G20 sur l’optimisation fiscale pratiquée par les multinationales. Le plan BEPS – plan de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices – de l’OCDE, adopté par les chefs d’État et de gouvernement à Antalya en novembre 2015 permettra de mettre fin à ces pratiques qui conduisent à une perte de recettes d’impôt sur les sociétés de 4 % à 10 % à l’échelle de la planète. On évalue à 240 milliards d’euros le montant d’impôt non payé par les grands groupes multinationaux grâce à des stratégies d’évitement de l’impôt.
Notre priorité est donc que ce plan soit désormais mis en œuvre le plus rapidement possible et par le plus grand nombre.
Vous l’avez dit, nous avons adopté en loi de finances initiale pour 2016 une mesure de déclaration pays par pays des principaux agrégats comptables des multinationales, en particulier le chiffre d’affaires et le bénéfice, mais aussi l’impôt acquitté.
Le 27 janvier dernier, Michel Sapin a signé un accord avec plus de trente pays pour que ces informations puissent être échangées automatiquement d’ici à la fin de 2017 avec les administrations fiscales des autres pays, ce qui permettra de détecter rapidement les montages d’optimisation fiscale. Un accord multilatéral sera finalisé avant la fin de 2016 pour adapter nos conventions fiscales bilatérales – la France, je le rappelle, en a conclu 125 – au nouveau cadre post-BEPS, afin notamment d’y introduire des clauses anti-abus permettant de lutter contre le treaty shopping.
Ces avancées doivent également être transcrites au niveau européen. C’est pourquoi, en novembre 2014, Michel Sapin et ses homologues allemand et italien Wolfgang Schäuble et Pier Carlo Padoan ont adressé au commissaire européen Pierre Moscovici une lettre l’invitant à présenter des propositions législatives transcrivant les mesures prévues par le plan BEPS. Un premier succès a été obtenu le 8 décembre dernier avec l’adoption d’une directive sur l’échange automatique des tax rulings, dont le rôle dans l’optimisation avait été révélé par l’affaire dite « LuxLeaks ».

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