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Questions sur la politique pénale

Madame la garde des sceaux, après les attentats de janvier, le Premier ministre a annoncé la création, d’ici à la fin de l’année, de quartiers spécifiques au sein des établissements pénitentiaires afin d’isoler les individus considérés comme radicalisés, sur la base de l’expérience menée depuis l’automne dernier à la prison de Fresnes.
L’Observatoire international des prisons, l’OIP, a émis des doutes sur l’opportunité, en l’absence d’évaluation de l’expérimentation, de généraliser ce dispositif. L’OIP souligne en premier lieu que, de manière générale, les comportements radicaux, qu’ils soient religieux ou d’une autre nature, sont renforcés par la prison.
Il souligne également l’apparition d’un énorme sentiment de stigmatisation de l’Islam par rapport aux autres religions et relève que le traitement différentiel des détenus attise un sentiment d’injustice et de colère.
L’installation de quartiers spécifiques soulève plusieurs questions : quels sont les critères retenus pour placer un détenu dans un tel quartier ? À partir de quand commence une pratique radicale de l’Islam ? Par ailleurs, comme le souligne Jean-Marie Delarue, s’il est possible de séparer ceux qui ont été condamnés pour des faits de terrorisme en lien avec l’Islam radical, que faire des islamistes radicaux placés en détention provisoire ? Peut-on les séparer alors qu’ils ne sont pas condamnés ?
En outre, l’ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté note le développement d’une radicalisation qui s’opère de manière discrète, et il insiste sur la difficulté de mesurer et de contrer ce phénomène.
Enfin, ce dispositif pourrait s’avérer contre-productif dans la mesure où la mise à l’écart de détenus pourrait en faire des boucs émissaires aux yeux des autres détenus et créer des solidarités.
Que répondez-vous, madame la ministre, face à ces doutes et à ces réserves ? De quelles études disposez-vous à l’appui de la généralisation des quartiers spécifiques ?
Enfin, l’OIP propose l’intervention d’anciens détenus et de personnes réinsérées pour permettre aux détenus d’envisager d’autres perspectives à leur sortie de prison, comme cela existe en Norvège. Que pensez-vous de ce projet de réinsertion par des tuteurs à la sortie de prison ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Votre question tombe à pic, monsieur le député, car elle me fournit l’occasion de compléter ma réponse précédente. Vous avez parfaitement raison et les observations que vous formulez sont tout à fait fondées. Nous sommes soucieux d’efficacité, ce qui suppose d’éviter que la radicalisation susceptible de survenir dans les établissements pénitentiaires ait vraiment lieu. Nous prenons donc des dispositions préventives afin qu’une partie de la population carcérale échappe à la radicalisation et identifions bien ceux qui la provoquent. Les réponses sont multiples. J’évoquais tout à l’heure la surveillance de ceux qui sont vraiment radicalisés, ce qui fait d’eux des meneurs potentiels ou réels. Citons aussi la mise à l’écart des personnes radicalisées mais pas en rupture et surtout la protection de ceux qui sont susceptibles de tomber sous leur emprise. Quant aux aumôniers, nous avons décidé il y a maintenant deux ans d’en recruter alors que leur effectif a diminué au cours du précédent quinquennat, en particulier celui des aumôniers musulmans. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Surtout, nous pratiquons l’œcuménisme et travaillons systématiquement avec tous les aumôniers de tous les cultes - on en compte sept. Tous ceux qui interviennent dans nos établissements sont mobilisés sur le sujet. Nous avons lancé une recherche-action au mois de juillet 2014, qui est en cours. Nous en lancerons cinq supplémentaires, ce qui nous permettra de définir les critères à partir desquels identifier les personnes qui doivent faire l’objet d’un traitement spécial. Nous tâchons d’éviter la radicalisation en prison et l’éradiquer autant que possible, efficacement et durablement. Nous le faisons avec toutes les précautions nécessaires et observons ce qui se fait ailleurs tout en notant qu’ailleurs, on observe aussi ce que nous faisons. J’ai reçu il y a deux semaines la Vice-première ministre du Québec qui est très intéressée par notre expérience. Je me suis rendue au Royaume-Uni et j’ai reçu des experts d’Allemagne, du Royaume-Uni, du Danemark et de Belgique. Nous travaillons ensemble afin de partager nos expériences et d’être plus efficace sur ce sujet qui nous concerne tous.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.
Parmi les engagements de campagne de François Hollande figurait la réaffirmation du caractère spécial de la justice des mineurs sur la base des principes de l’ordonnance de 1945 et la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Lors de son discours du 18 janvier 2013 à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le Président de la République a précisé qu’une loi sera soumise au Parlement au cours de l’année 2013 qui « clarifiera et simplifiera l’ordonnance de 1945 ». « Le rôle du juge des enfants sera consolidé et le tribunal correctionnel pour mineurs supprimé », disait-il. Si ce calendrier n’a pas été respecté, vous avez confirmé à plusieurs reprises que vous travaillez en ce sens, madame la ministre. Nos débats lors de l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et l’individualisation des peines ont montré qu’il existe une large majorité à gauche pour supprimer dès maintenant les juridictions d’exception que sont les tribunaux correctionnels pour mineurs.
M. Jean-Jacques Candelier. Toutefois, le Gouvernement a répondu qu’il ne s’agissait pas du bon véhicule législatif. Par conséquent, nous attendons toujours qu’il inscrive la réforme à l’ordre du jour. Interrogée en commission élargie sur le budget pour 2015 de la mission « Justice », vous avez affirmé que la refonte de l’ordonnance de 1945 et le texte supprimant les tribunaux correctionnels ne font qu’un et qu’un texte nous sera soumis au premier semestre 2015. Ce calendrier est-il maintenu ? Dans l’affirmative, pouvez-vous le préciser ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. L’ordonnance de 1945 a été modifiée trente-sept fois et comporte des incohérences. Tous les professionnels, les élus et les magistrats souhaitent qu’on lui rende cohérence et lisibilité. Nous avons prévu une réforme reposant sur les principes mêmes de l’ordonnance de 1945, c’est-à-dire la spécialisation de la justice des mineurs, d’où la question de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, et la primauté de l’éducatif car nous sommes préoccupés, nous, par la nécessité d’éviter que les mineurs flanchent irrémédiablement et s’inscrivent dans un parcours de délinquance. Il faut réagir très vite.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est pourquoi nous avons prévu dans la réforme que nous préparons un dispositif de prise en charge immédiate afin de définir la culpabilité éventuelle du mineur mais surtout d’évaluer le préjudice de la justice, de prononcer des mesures de réparation puis d’effectuer un suivi afin que la juridiction rende sa décision sous quatre mois. Nous travaillons sérieusement et consciencieusement à cette réforme qui s’inscrit dans les politiques publiques que nous avons mises en œuvre dans un cadre interministériel. En particulier, le comité de lutte contre l’exclusion, le comité interministériel « égalité et citoyenneté » et le comité de prévention de la délinquance intègrent le sujet des mineurs et la prise en charge de ces publics.
La directrice de la protection judiciaire de la jeunesse a diffusé au mois de septembre 2014 une note d’orientation. Dans les établissements placés sous la responsabilité de la protection judiciaire de la jeunesse, nous veillons à maintenir une véritable efficacité de la prise en charge des mineurs. La réforme est en préparation et j’espère que vous aurez à vous prononcer dessus dans quelques mois, mesdames et messieurs les parlementaires.

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)

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