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Questions sur la situation économique et financière de la zone euro

Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, Paris et Berlin ont récemment pris une initiative commune pour renforcer la gouvernance de la zone euro. François Hollande et Angela Merkel se sont en effet déclarés favorables à la mise en place d’un gouvernement et d’une nouvelle architecture institutionnelle propres à la zone euro. Une telle initiative ne peut aller que dans le bon sens, pour deux raisons essentielles.
D’une part, sur le plan économique, les équilibres non coopératifs entre États restent la règle : excédents allemands colossaux, au détriment des voisins de l’Allemagne, course funeste à la compétitivité, dumping fiscal et social… Tout cela forme un jeu à somme nulle qui pénalise les États, les citoyens et les entreprises les plus fragiles. D’autre part, il faut corriger les malfaçons inhérentes à l’euro, qui est la monnaie commune de dix-huit États, avec autant de politiques économiques, fiscales et sociales, et qui repose par ailleurs sur des principes comptables peu légitimes s’agissant des déficits et de l’endettement.
Pour convaincre les citoyens européens du bien-fondé de cette démarche commune, un saut qualitatif de grande ampleur est urgent, car le désamour entre l’Europe et sa population est immense. C’est logique, car l’Europe est aujourd’hui synonyme d’austérité, de drames humains et de matraquage des budgets nationaux. Cela n’est pas, cela n’est plus acceptable !
L’urgence, c’est le concret. C’est la lutte contre les inégalités, endémiques sur notre continent. C’est la lutte contre le chômage, qui explose. C’est la lutte contre le dumping fiscal et social, pour assurer le développement de nos systèmes sociaux et l’investissement pour demain. En clair, c’est la coopération plutôt que la compétition, la démocratie plutôt que le marché. Au fond, ce dont a besoin l’Europe aujourd’hui, c’est d’une réorientation fondamentale de sa politique économique. Monsieur le ministre, quelle place occupent ces préoccupations, essentielles pour nos concitoyens, dans ce projet de refonte de la gouvernance et de l’architecture institutionnelle de la zone euro ?
M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Merci de commencer par cette question, monsieur Charroux, car elle est absolument décisive. Nous avons participé à la mise en place de ce que l’on appelle l’Union économique et monétaire – UEM. Le pilier monétaire est constitué par l’euro, monnaie unique de dix-neuf pays aujourd’hui, dont les règles sont précisées jusqu’au dernier bouton de guêtre. Mais en regard, la politique économique, elle, est restée très disparate, au point que des pays qui partagent cette même monnaie ont pu complètement diverger. Cela peut marcher pendant un certain temps, mais à un moment donné, les divergences deviennent trop fortes, qu’il s’agisse de compétitivité, de fiscalité, de situation sociale, de chômage ou de balance commerciale.
Ce sont bien ces divergences qui posent problème à la zone euro. Pour ce qui me concerne, et je pense que c’est aussi votre cas, je tiens beaucoup à la zone euro, et à l’affirmation de la monnaie unique. Il faut donc compléter l’Union économique et monétaire pour rendre beaucoup plus convergentes les politiques économiques menées dans chacun de ces pays. C’est nécessaire pour éviter les phénomènes de concurrence nocive, notamment en matière de fiscalité.
On ne peut continuer à avoir de telles divergences en matière de fiscalité, par exemple en matière de fiscalité des entreprises, dans des pays qui partagent une même monnaie. Nous ne pouvons pas accepter – et beaucoup de mesures sont prises aujourd’hui à ce sujet – qu’un pays de la zone euro passe des accords avec des entreprises en leur promettant de ne pas leur faire payer d’impôts. En effet, si les impôts sont plus élevés dans les États voisins, sans pour autant être excessifs, tout sera transféré vers le pays qui ne fait presque pas payer d’impôts.
Nous partageons donc votre vision : il faut plus de convergence. Pour cela, dans l’immédiat, il convient de lutter contre le dumping social et l’optimisation fiscale. Il convient également de mettre en place des outils communs, en matière d’investissement par exemple, pour pouvoir investir sur l’ensemble de la zone euro, mais aussi en matière d’indemnisation du chômage : on pourrait imaginer un socle commun à l’ensemble des pays de la zone. Une Union économique et monétaire peut aussi avoir pour but une convergence sociale de ses membres.
M. le président. La parole est de nouveau à M. Gaby Charroux.
M. Gaby Charroux. Monsieur le ministre, vendredi dernier, nous fêtions les dix ans du référendum du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne, à l’issue duquel le « non » l’avait emporté dans notre pays. Au terme d’un formidable débat démocratique, le peuple exprimait sa souveraineté en disant sa volonté de construire une autre Europe que celle de la concurrence libre et non faussée. La démocratie s’exprimait.
Depuis, elle a été littéralement bafouée, avec l’adoption au forceps du traité de Lisbonne. Pire, l’Europe est devenue le gendarme de l’austérité et la gardienne des intérêts de l’oligarchie financière. L’abîme qui sépare l’Union européenne des peuples qui la composent n’a jamais été aussi grand. On le voit aujourd’hui lorsque l’on se penche sur la situation grecque : alors que la Grèce est confrontée à une situation économique et sociale d’une gravité inédite, elle fait face à d’importantes échéances de remboursements, avec 1,6 milliard d’euros à reverser ce mois-ci au FMI.
Les craintes d’un défaut n’ont jamais été aussi grandes. Depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza, les créanciers jouent la carte de l’asphyxie financière du pays, en rejetant la liste de réformes présentée par Athènes ou en exigeant des mesures d’austérité inacceptables. Des négociations ont lieu actuellement entre la Grèce et ses créanciers à propos du versement d’une nouvelle tranche d’aide. Ces négociations ont lieu dans le plus grand secret, mais il apparaît certain que les créanciers exigent d’imposer de nouvelles réformes austéritaires à un peuple qui n’en peut plus.
La situation exige en réalité une restructuration, voire une annulation d’une partie de la dette grecque. Monsieur le ministre, quelle est la position de la France aujourd’hui dans ces négociations ? Quelles initiatives prenez-vous pour éviter le défaut de paiement du pays et permettre à la Grèce et à son peuple de se reconstruire de manière juste et durable dans l’Europe ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Je vous répondrai donc en deux minutes… (Sourires.) Il s’agit d’une question délicate, et fondamentale pour l’avenir de l’Europe, comme vous l’avez souligné. Je serai clair : la place de la Grèce est dans l’Union européenne, et dans la zone euro. D’abord, parce que c’est ce que souhaitent les Grecs eux-mêmes : quand on leur demande s’ils veulent sortir de l’euro, ils répondent non à une écrasante majorité. Ensuite, parce que la sortie de la zone euro créerait une situation objectivement extrêmement difficile, pour la Grèce elle-même, qui s’appauvrirait encore plus alors qu’elle vient de traverser cinq années très difficiles, au détriment des plus faibles d’entre les Grecs, mais aussi pour la zone euro, qui a vocation non à rétrécir, mais à s’élargir – non à expulser des pays, mais à en accueillir de nouveaux : cela, nous devons toujours le garder à l’esprit.
Vous m’avez demandé quelle est la position de la France dans ce débat. En recevant mon homologue grec Yanis Varoufakis une semaine après les élections législatives grecques, j’ai exprimé très clairement mon opinion : nous devons le respect à la démocratie grecque. La majorité parlementaire et le gouvernement ont changé : on ne peut pas leur demander de faire exactement la même chose que les précédents ! Cela reviendrait à dire aux Grecs qu’on se fiche complètement qu’ils aient voté. Non, il faut respecter l’issue du vote grec.
Parallèlement, la Grèce, elle, doit respecter les règles communes du fonctionnement de la zone euro, de la Banque centrale européenne ou de la Commission européenne. C’est ainsi que nous progressons pour arriver à un accord. Il n’y a pas d’autre solution qu’un accord entre la Grèce et les institutions internationales. C’est à une telle solution que tendent nos efforts, c’est à cela que nous devons aboutir. Le rôle que la France joue, celui que je joue moi-même, c’est un rôle de trait d’union, pour réussir ensemble.
Monsieur le ministre, l’Europe ne semble pas avoir retenu les leçons de la plus grave crise financière connue par le continent depuis 1929. Alors que le secteur bancaire représente aujourd’hui à lui seul 43 000 milliards d’euros, soit près de 350 % du PIB européen, alors que cette hypertrophie du secteur financier continue de menacer l’économie et les emplois de nos concitoyens, le projet européen de séparation des activités des grandes banques européennes est aujourd’hui dans l’impasse.
En effet, la semaine dernière, les eurodéputés ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur un projet de directive à l’ordre du jour bruxellois depuis plus d’un an. Il est vrai que, dès le lancement des négociations autour de ce projet, celui-ci a subi les coups de boutoirs dévastateurs des lobbys, surpuissants à Bruxelles, des forces politiques conservatrices, majoritaires sur notre continent, mais aussi, hélas, de gouvernements se proclamant progressistes, comme celui de la France.
Les observateurs sont formels. Agissant en porte-parole des intérêts des grandes banques nationales, la France est une nouvelle fois apparue à la tête de la fronde visant à vider de son contenu un projet européen de séparation bancaire utile et nécessaire.
La séparation réelle des activités bancaires semblait pourtant l’une des conditions indispensables pour éviter de revivre les effets désastreux de la contagion d’une catastrophe financière à l’économie réelle, comme le préconisait le rapport Liikanen de 2012. Il apparaît tout bonnement irresponsable de se contenter aujourd’hui d’une réforme a minima comme celle conduite en 2013, qui a débouché sur une séparation de façade.
Monsieur le ministre, comment expliquez-vous la position défendue par le gouvernement français tout au long des négociations ? Comptez-vous prendre des initiatives concrètes pour avancer rapidement sur le chantier de la séparation bancaire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Je vous trouve injuste, monsieur le député, quand vous affirmez que l’Europe n’a pas tiré les leçons de la crise financière et bancaire de 2007.
L’objectif de l’union bancaire, c’est justement qu’il y ait exactement les mêmes règles pour toutes les banques, supervisées non pas chacune dans son coin mais par un seul superviseur, capable d’analyser banque par banque la situation exacte et les risques qu’elle représente ; avec aussi un système dit de résolution, dont nous avons d’ailleurs débattu ici, qui va nous permettre de minimiser le plus possible, pour ne pas dire supprimer, le lien qui existait entre un défaut dans le système bancaire et le budget de chacun de nos États. C’est ce lien qui a été l’une des causes des très grandes difficultés d’un certain nombre de pays, tout particulièrement ceux du Sud, qui ont été en quelque sorte emportés par la crise de leur système bancaire.
Nous avons donc fait en sorte que les risques soient minimisés et les réactions maximales, et que ce soient les banques elles-mêmes qui financent l’aide aux banques, et non pas les États et les contribuables.
Par ailleurs, et la description que vous avez donnée de la politique française n’est pas exacte, nous avons veillé à ce que soit adoptée au niveau européen une disposition permettant de faire face partout sur le territoire européen aux risques réels représentés par chacune des banques. La question n’est pas de savoir si c’est une grande banque ou une petite : une grande banque n’est pas en soi plus dangereuse qu’une petite. Ce qui compte, c’est de connaître la nature réelle des risques que représente cette banque. À partir du moment où ils sont trop élevés, il faut trouver une solution, d’une manière ou d’une autre. Telle est la position qui est défendue par la France aujourd’hui.
Je sais quelles sont les difficultés actuelles, je sais à quelles impasses ont conduit les votes un peu contradictoires au sein du Parlement européen, mais, la France le répète, nous souhaitons qu’il y ait une réglementation commune dans l’ensemble de la zone euro ou de l’Union européenne pour que les risques réels présentés par chaque banque puissent être identifiés et que des mesures soient imposées à chacune pour y faire face.
M. le président. Vous avez la parole, monsieur Charroux, pour votre dernière question.
M. Gaby Charroux. Monsieur le ministre, devant le constat, d’une part, d’une atonie de l’économie européenne assortie d’une inflation très faible laissant craindre de graves risques déflationnistes, et, d’autre part, de difficultés persistantes devant la transmission à l’économie réelle de la politique monétaire, la BCE s’est récemment lancée dans un vaste programme d’assouplissement quantitatif, ou – horreur ! – quantitative easing.
Même si nous doutons largement de l’efficacité de ce programme, son ampleur et sa durée marquent un changement de doctrine dans la politique d’une BCE qui est devenue un acteur institutionnel majeur au sein de la zone euro depuis l’éclatement de la crise financière.
De fait, la BCE joue aujourd’hui un rôle politique de premier plan. Elle formule des recommandations à l’égard des gouvernements, les enjoignant de mettre en œuvre les fameuses réformes structurelles censées flexibiliser le marché du travail et de lever tous les freins pour permettre de libérer les énergies. Son influence politique est encore plus visible au regard de la place occupée par la BCE au sein de la troïka, la Grèce ayant bénéficié, si je puis dire, de l’aide européenne en contrepartie de mesures de destruction sociale massive.
Or, monsieur le ministre, ce rôle politique de premier plan n’était pas initialement prévu par les traités, alors que le principe même de son indépendance totale à l’égard du pouvoir politique y demeure gravé.
Cette évolution du rôle de la BCE appelle nécessairement un contrepoids politique fort, car un tel niveau d’indépendance traduit, nous le pensons, une dépendance à l’égard des exigences des intérêts financiers. Un renforcement du contrôle de l’action de la BCE par le Parlement européen est l’une des pistes que nous proposons. Monsieur le ministre, ma question est simple : que comptez-vous faire pour renforcer le contrôle politique à l’égard de la BCE ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Monsieur Charroux, je vois comme une contradiction, permettez-moi de le dire, avec tout le respect que je vous dois, entre le début de votre question, où vous rendiez hommage à l’action de la BCE, et sa fin, où vous sembliez vouloir la soumettre à une volonté politique.
M. Gaby Charroux. Elle se mêle trop de la politique des États !
M. Michel Sapin, ministre. Je vous le dis très clairement : heureusement que la BCE, au milieu de l’année 2014, a fait le bon diagnostic et pris les bonnes décisions concernant la situation économique de la zone euro !
M. Gaby Charroux. Certes.
M. Michel Sapin, ministre. Elle a fait le bon diagnostic – peut-être me direz-vous qu’elle aurait dû le faire plus tôt, mais j’observe qu’elle l’a fait avant d’autres, notamment la Commission et les pays européens membres du Conseil ou de l’Union – en constatant que, budgétairement, les politiques menées étaient par trop restrictives, et qu’il lui fallait donc être, monétairement, plus active. C’est ce que vous avez superbement appelé, monsieur Charroux, le quantitative easing.
Cette politique est actuellement appliquée par la BCE de manière efficace et, surtout, de manière constante depuis que la décision a été prise et les outils fixés. C’est heureux, car cela nous permet d’avoir un euro beaucoup plus faible – ce qui est très efficace pour nos entreprises – ainsi que des taux d’intérêt extrêmement bas, ce qui est bon pour tout le monde, pour les États comme pour l’économie.
Enfin, je partage une part de votre question : s’il existe une banque centrale qui joue pleinement son rôle du point de vue monétaire, il faut de l’autre côté, peut-être pour équilibrer, en tous cas pour dialoguer, un pouvoir économique – nous revenons là à votre première question – qui soit en capacité de fixer, pour l’ensemble de la zone euro, une politique adaptée à la situation. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de renforcer et d’approfondir l’Union économique, sorte de contrepoids à l’Union monétaire.

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Gaby
Charroux

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