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Ratification ordonnances dialogue social (MRP)

Motion de renvoi en commission
Madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues de la majorité, vous vous doutez bien que je ne partage pas votre enthousiasme, qui semble aujourd’hui un peu émoussé.
Le temps qui s’est écoulé depuis nos premiers débats sur ces ordonnances n’a rien éteint de nos critiques, de notre refus, de notre révolte. Issues d’un diagnostic faussé, les ordonnances pouvaient-elles être bonnes ?
Elles ébranlent délibérément et avec méthode le code du travail, accusé de toutes les ignominies, parce qu’il fixe des limites au bon vouloir des chefs d’entreprise. Ce péché originel est l’acte fondateur de la majorité. Le budget de l’État et celui de la protection sociale sont venus compléter le tableau sans le contredire. Cette offensive est faite pour nous plonger dans la torpeur infernale d’une nuit libérale.
Ce sont bien la finance et le MEDEF qui inspirent l’action de la majorité. Ce sont eux qui en sont les heureux gagnants. Le Gouvernement leur a d’ailleurs offert un grand goûter à Versailles, il y a quelques jours, pour s’assurer de leur contentement. À cette occasion, le Premier ministre s’est félicité que la France soit « un vieux pays capitaliste ».
Ces décisions continuent de nous vieillir, et l’on cherchera en vain la modernité claironnée dans les discours, car la véritable modernité réside dans le progrès social. Derrière le pragmatisme qu’il affiche, le Gouvernement se conforme aux dérives que le droit devait empêcher. Pour réfléchir au contrat de travail, il épouse le point de vue de la partie dominante. Son entreprise très idéologique et très politique prend le droit du travail pour cible afin de pousser les feux du libéralisme économique.
C’est vrai, un travailleur sur deux dans le monde exerce sans contrat de travail et cette situation ne va pas en s’arrangeant. Mais la course au moins-disant nous entraîne vers le fond. Et là où nous avions su ouvrir des voies pour faire progresser partout les droits des travailleuses et des travailleurs, nous envoyons aujourd’hui un bien mauvais signal.
Depuis que ces ordonnances entrent dans les faits, nous pouvons mesurer les reculs qui déjà s’amorcent et voir grandir l’inquiétude des organisations syndicales et des salariés. C’est bien pour les grandes multinationales que ces textes ont été écrits et le précieux tissu de nos petites et moyennes entreprises n’y rencontrera aucune réponse à ses questions.
La trouvaille sortie au dernier moment de derrière les fagots, je veux parler de la rupture conventionnelle collective, a déjà produit ses premiers effets. De grandes entreprises sans difficultés économiques avérées s’en sont emparées pour essayer de licencier à bon compte : belle réussite dans la lutte contre le chômage !
La puissance publique elle-même doit désormais regarder les pièces se jouer, puisqu’elle en a elle-même écrit le texte. Ces exemples démontrent que le monde idéal qui nous a été décrit, dans lequel les relations de travail seraient mâtinées d’harmonie, n’est pas naturel. Il convient de fonder les relations sociales sur le droit et non sur l’octroi de largesses, sur la justice et non sur le bon vouloir. Il faut la force de la loi pour contrecarrer le pouvoir de l’argent et les logiques de profit. N’avons-nous pas assez payé la note de leur déchaînement depuis 2008 ?
C’est pourquoi je veux aujourd’hui, une dernière fois, en appeler à la raison, à la justice, au droit. La question sociale, déjà, est en train de revenir par la fenêtre. Si vous nourrissez le moindre doute sur le bien-fondé de ce renversement du code du travail, c’est maintenant qu’il faut faire quelque chose. Les motifs ne manquent pas car, sous couvert de ce bon sens qui vaudrait mieux que les règles, ces ordonnances portent atteinte à nos textes fondamentaux. Leur logique même est porteur d’un séisme législatif et constitutionnel, puisqu’elles se défient de l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel « La loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail ». Il eût fallu modifier la Constitution, car la raison d’être des ordonnances est de tordre le cou à ce principe et de renvoyer le plus possible à l’entreprise et, le cas échéant, à la branche, la détermination de la norme, ou plutôt des normes. De ce fait, elle met en cause le principe d’égalité des droits.
À titre d’exemple, les règles relatives au CDD et aux contrats de mission relevaient jusqu’à présent du domaine exclusif de la loi ; il est désormais confié à la négociation collective de branche le soin d’en déterminer les conditions de recours – durée maximale, nombre de renouvellements, délais de carence. Mais je me contenterai de signaler à la représentation nationale cinq principes qui se trouvent ainsi mis en cause.
Premièrement, la liberté syndicale est directement visée par des dispositions de contournement prévues dans les ordonnances. J’en veux pour preuve plusieurs mesures décriées. Citons d’abord le référendum d’initiative patronale dans les grandes entreprises, inscrit à l’article 10 de la première ordonnance, lequel prévoit que l’employeur peut demander une consultation des salariés en l’absence d’opposition de l’ensemble des organisations syndicales majoritaires pour valider un projet d’accord. Déjà instaurée par la loi El Khomri, cette procédure permet d’évacuer la négociation avec les syndicats dans les entreprises.
Citons ensuite la possibilité pour l’instance unique de représentation d’exercer des prérogatives en matière de négociation au sein du conseil d’entreprise, pour les sociétés de plus de cinquante salariés. Cela revient à exclure la négociation de droit commun avec les délégués syndicaux, alors que le Conseil constitutionnel a indiqué, le 6 novembre 1996, que l’employeur ne peut négocier avec des élus que si cela « n’a ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle à l’action des organisations syndicales représentatives ». En effet, cette mesure contrevient à l’alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946 et à la convention no 87 de l’OIT – Organisation internationale du travail – relative à la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Je note qu’on a plus d’égards pour les textes de l’OMC – Organisation mondiale du commerce – et du FMI – Fonds monétaire international.
Dans le même ordre d’idées, je mentionnerai le référendum dans les petites entreprises, qui permet à l’employeur de consulter les salariés sur un projet d’accord, en passant outre le droit de la négociation collective. En effet, celui-ci impose, pour négocier collectivement, la présence de délégués élus ou syndiqués. Cette mesure remplace donc un dispositif favorisant l’exercice du droit syndical. L’accord peut désormais être présenté sans aucune négociation, ce qui apparaît contraire à la lettre et à l’esprit des textes internationaux.
Deuxièmement, les ordonnances instaurent un nouveau régime juridique unifié pour les accords dits de « compétitivité », tout en élargissant leur champ et leur objet. Ces accords peuvent porter sur la durée et l’aménagement du temps de travail, ainsi que sur la rémunération et la mobilité professionnelle, c’est-à-dire sur des éléments essentiels du contrat de travail, à la seule fin d’assurer un « bon fonctionnement de l’entreprise ». Ils présentent un caractère irrévocable, et leur refus peut constituer un motif de licenciement. Ce nouveau dispositif porte atteinte au principe de la liberté contractuelle qui, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité – citons en particulier les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Troisièmement, le barème prud’homal, la réduction du délai de recours et la possibilité pour l’employeur de modifier le motif de licenciement mettent en cause la tenue de procès équitables et l’exercice d’une justice véritable. De fait, le barème confond le risque et la faute. La décision de licencier n’est pas un risque contre lequel il faudrait s’assurer : c’est un acte juridique qui emporte une responsabilité. Si incertitude il y a, c’est celle qui pèse sur la décision finale du juge. Or l’aléa du procès est inhérent au recours au juge dans une société démocratique. Le barème fixe le prix de la violation de la loi. Pour couronner le tout, le caractère dérisoire des indemnités prévues pour les salariés ayant une ancienneté faible ou moyenne rend l’accès au juge inopérant. Ces mesures violent donc l’article 24 de la Charte sociale européenne ; un dispositif similaire a valu à la Finlande d’être condamnée par le Comité européen des droits sociaux, le 8 septembre 2016.
La troisième ordonnance réduit le délai pour contester la rupture du contrat de travail, en le faisant passer de vingt-quatre à douze mois, dans le cas d’un licenciement pour motif personnel ou d’une rupture conventionnelle. Une telle mesure restreint l’accès des salariés au juge dans l’unique objectif de sécuriser les employeurs. Enfin, ceux-ci auront la faculté de modifier, en cours de procédure, les motifs de licenciement sur des formulaires CERFA – Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs. Un tel dispositif va à l’encontre du principe de la protection contre le licenciement garanti par la convention no 158 de l’OIT.
Quatrièmement, l’article 15 de la troisième ordonnance précise que les difficultés économiques doivent s’apprécier dans le cadre d’un périmètre national lorsque l’entreprise appartient à un groupe. Cette nouvelle règle contredit la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a estimé, dans sa décision du 12 juin 2001, que « les difficultés économiques invoquées à l’appui d’un licenciement pour motif économique doivent être appréciées au niveau du groupe ou du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou aux entreprises situées sur le territoire national. » Dès lors qu’elle est susceptible d’avoir un effet incitatif pour la délocalisation d’emplois hors de France, cette mesure affaiblit la capacité effective de la collectivité à mettre en œuvre le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ».
Cinquièmement, de nombreuses mesures mettent en cause le droit à la santé et affaiblissent la défense de celui-ci. En effet, la fusion des instances représentatives du personnel en une seule, dénommée « Comité social et économique », constitue une atteinte au droit à la protection de la santé, dans la mesure où elle contribue à réduire les outils de prévention, d’alerte et de prise en compte, au sens large, des questions sanitaires au sein des entreprises. En effet, elle supprime la spécificité des compétences des élus du CHSCT – comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – et prive les entreprises d’un organe compétent en matière de santé et de sécurité, tout en menaçant de subordonner ces questions aux enjeux économiques et financiers. Plusieurs facteurs de risque – charges lourdes, vibrations mécaniques, postures pénibles, exposition aux produits chimiques – sont exclus du compte de prévention, qui remplace le compte de pénibilité, et sont renvoyés à une logique de réparation. Cela sonne comme un délaissement de la logique préventive.
La confirmation de l’inversion de la hiérarchie des normes, avec la primauté de l’accord d’entreprise, va induire une décentralisation de la négociation collective préjudiciable aux garanties collectives des salariés, notamment sur la question de la durée du travail et de sa répartition. Ainsi, en matière d’établissement ou d’extension du travail de nuit, l’article 32 de l’ordonnance no 2017-1387 institue une présomption de conformité des accords collectifs au code du travail, en inversant, ce faisant, la charge de la preuve. Une telle disposition va induire un accroissement au recours du travail de nuit, dont il est prouvé qu’il exerce des conséquences notables sur la santé.
Permettez-moi enfin de dire un mot de la méthode employée, qui, en guise de dialogue social, s’est avérée être celle du bavardage. Le Gouvernement a choisi d’utiliser une procédure qui, d’une part, se déroulait dans l’urgence et, d’autre part, bafouait les droits du Parlement – il a écrit la loi à sa place. Mais, on le sait, l’urgence est à géométrie variable : quand il s’agit de flexibiliser le code du travail, il faut aller vite, mais beaucoup moins lorsqu’on doit lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ou reconnaître le burn out. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
Mais le Gouvernement a apporté de l’eau fraîche à notre moulin avec cette ordonnance-balai, introduite en cours de procédure parlementaire par un amendement déposé au Sénat, sans que l’Assemblée n’ait pu l’examiner en première lecture ni l’amender. Le droit d’amendement des parlementaires a été bafoué sur ce point. Nous avions déposé un amendement pour que les mesures de correction se fassent à droit constant, mais il fut rejeté en commission comme en séance.
L’ordonnance-balai dépasse le cadre fixé par l’habilitation, en modifiant sur le fond le code du travail, alors que le projet de loi autorisait de simples corrections formelles ou de cohérence. À titre d’exemple, en matière de négociation collective, elle abroge l’obligation de négocier au niveau professionnel et de la branche sur les modalités d’organisation du temps partiel applicable, dès lors qu’au moins un tiers de l’effectif de la branche occupe un emploi à temps partiel. Cette mesure va sans nul doute aller à l’encontre de la promotion de l’égalité professionnelle et de la lutte contre le temps partiel subi. Par l’institution d’une instance unique, elle renforce les compétences de négociation du conseil d’entreprise, qui sera seul compétent pour négocier, conclure et réviser les accords d’entreprise, y compris les PSE – plans de sauvegarde de l’emploi –, renforçant l’atteinte au principe de liberté syndicale. En matière de licenciement, elle rend opposable le délai de contestation du licenciement économique au salarié, même s’il n’est pas mentionné dans la lettre de licenciement, ce qui constitue une atteinte de plus au droit au juge. Elle réduit également le champ de l’accord instituant un plan de sauvegarde de l’emploi, lequel n’aura plus à préciser les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. Il s’agit là d’une méconnaissance supplémentaire du droit à la santé.
En conséquence, chers collègues, le Conseil constitutionnel aura bien des raisons de censurer ces ordonnances dans les grandes largeurs. Je crois avoir à nouveau démontré combien ces textes si pragmatiques dans leur énoncé entrent si fortement en contradiction avec des principes fondamentaux de la République. Ces ordonnances manquent leur cible – le dialogue social. À cet égard, permettez-moi de citer Goethe à mon tour : « Cent chevaux gris ne font pas un seul cheval blanc. » (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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