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Rationalisation des agences publiques et instances consultatives nationales

« Rationaliser les agences publiques et les instances consultatives nationales » : qu’en termes élégants ces choses-là sont dites ! Quel beau titre pour cette proposition de résolution. Nous avons affaire à des auteurs pragmatiques, rationnels que je n’aurai pas l’outrecuidance de contredire, sauf à passer pour un hurluberlu mâtiné de bolchevisme. Un titre en résonance avec cet article chaudement recommandé par le site En Marche : « rationaliser l’action publique », ou avec la dernière réforme du règlement adoptée et discutée par la seule majorité et qui promet de « rationaliser », de « fluidifier » le travail parlementaire.

D’ailleurs, qui pourrait s’élever contre l’idée de rendre plus conforme à la raison la moindre organisation ? Pour ce qui nous concerne, héritiers de la pensée rationaliste – certes quelque peu teintée de marxisme –, nous devrions naturellement partager cette soif de rationalisation qui saisit le « nouveau monde ». Oui, mais l’expérience nous conduit à être prudents : derrière le vocabulaire dont abuse le pouvoir, derrière ces nouveaux mots, se cachent bien souvent des réalités qui peuvent s’avérer violentes ; un lexique de l’expertise, de l’efficacité, de la modernité, des mots qui peuvent légitimer bien des maux.

Les mots ont leur importance en ce qu’ils structurent la pensée du nouveau monde dont se réclame la majorité, qui revendique ainsi d’appartenir au « cercle de la raison » si cher à Alain Minc. Ne perdons pas de vue, comme nous l’enseigne Pascal Durand, professeur des sciences de l’information, que ces mots et expressions « sont à la pensée ce que le chewing-gum est à la nutrition : » « une mastication qui tournerait à vide si elle ne contribuait pas au conditionnement général des esprits du côté d’une représentation libérale du monde qui se pense – et se donne les moyens d’être pensée et acceptée – comme le nouvel horizon indépassable de nos sociétés post-industrielles. »

Que cache donc la « rationalisation » ? Derrière ce mot, on constate que se dissimulent le plus souvent des plans de licenciements, avec leurs cortèges de difficultés, de drames et d’effets sociaux à long terme.

Il convient de donner au Parlement les moyens d’évaluer la pertinence de chacune de ces agences qui dépendent de l’État et de ne pas simplement vouloir juger de leur bien-fondé au regard de leur seul coût.

Cela étant posé, concentrons-nous sur la rationalisation que nous propose cette proposition de résolution.

Constatant le développement conséquent, au fil du temps, de divers types d’établissements publics et administratifs, les auteurs considèrent que l’empilement de ces structures nuit à la lisibilité et à la cohérence des missions ainsi qu’à l’action des administrations centrales.

Cependant, comme nous pouvions le craindre, sans vraiment nous renseigner sur l’utilité de ces différents établissements publics, les auteurs semblent ne vouloir se concentrer que sur le coût qu’ils peuvent représenter : ils s’inquiètent de la masse salariale de ces agences, de leur poids dans les comptes publics : au moins 60 milliards d’euros en 2017, presque autant que l’évasion fiscale.

C’est d’ailleurs, à en croire les auteurs, « le contexte difficile pour les finances publiques, que nous connaissons » qui justifie la nécessité de nouvelles orientations pour « rationaliser » le recours aux agences publiques et instances consultatives. Nous pouvions le craindre : la novlangue est l’habillage rêvé.

Nous aurions préféré que les auteurs se concentrent sur la nécessité de réfléchir à un recours plus pertinent aux agences, comme le préconisait le Conseil d’État dans son rapport de 2012 intitulé « Les agences : une nouvelle gestion publique ? » Le Conseil considère en effet que loin de représenter un démembrement de l’État, les agences peuvent au contraire le renforcer dès lors que certaines conditions, qu’il identifie précisément, sont réunies.

Il est indispensable, nous en sommes convaincus, en toutes circonstances et en tous endroits, de préconiser de nouvelles façons de fonctionner dès lors qu’il s’agit d’œuvrer pour l’intérêt général, l’efficacité des politiques publiques et la satisfaction des attentes de nos concitoyens. Dès lors, il convient de donner au Parlement les moyens d’évaluer la pertinence de chacune de ces agences qui dépendent de l’État et de ne pas simplement vouloir juger de leur bien-fondé au regard de leur seul coût.

Le général de Gaulle jugeait que l’essentiel, « ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, […] c’est ce qui est utile au peuple français ».
Une fois n’est pas coutume, nous partageons l’avis du général de Gaulle. L’utilité pour le peuple français de l’agence publique ou de l’instance consultative nationale, voilà ce qui doit nous préoccuper, nous les parlementaires. Nous devons essentiellement veiller à ce que la création d’une agence publique ou d’une instance consultative nationale ne serve pas à enterrer un problème, comme l’avait très bien noté en son temps Georges Clemenceau à propos des commissions.

Après la création, il y a à peine quelques mois du Haut Conseil pour le climat, le Président a eu ce coup de génie : créer un conseil de défense écologique et une convention citoyenne, alors qu’existent déjà une bonne soixantaine de comités chargés de la transition énergétique.

Là encore, une fois n’est pas coutume, nous partageons l’avis de Clemenceau.

Aussi devons-nous nous montrer intraitables envers les commissions, comités, agences, conseils ou autre créés pour masquer l’inaction du Gouvernement.

Prenons un exemple tout récent : les annonces du Président de la République sur la transition écologique. En conclusion du grand débat, et alors que la question de la transition écologique était à l’origine de la crise des gilets jaunes, nombreux étaient ceux qui attendaient des décisions fortes. Nous étions de ceux qui attendaient que le Gouvernement nous propose enfin, en matière de transition écologique, des mesures audacieuses qui s’adressent aux plus démunis, les premières victimes du dérèglement climatique. C’était sans compter sur l’audace du Président et de sa majorité à ne plus se cacher derrière la communication politique. Après la création, il y a à peine quelques mois du Haut Conseil pour le climat, le Président a eu ce coup de génie : créer un conseil de défense écologique et une convention citoyenne, alors qu’existent déjà une bonne soixantaine de comités chargés de la transition énergétique. À l’heure où le Premier ministre veut mettre au régime sec les agences publiques qui emploient moins de cent salariés, il mérite une palme d’or pour cette manœuvre sublime !

Du reste, si nous devons nous préoccuper de la multiplication de ce type d’agences ou instances consultatives, nous devons aussi nous préoccuper du sort de celles qui sont aujourd’hui menacées. Prenons l’exemple de l’Office national des forêts, au cœur de la question écologique. Certes, l’ONF n’est pas a priori menacé par l’appétit de « rationalisation » du Gouvernement, puisqu’il emploie aujourd’hui près de 9000 personnes. Et pourtant ! Le Gouvernement travaille au démantèlement du service public forestier pour le confier au privé.

C’est pourquoi, le 7 juin dernier, ses agents se sont à nouveau mobilisés, après plusieurs années d’alerte, pour dénoncer la privatisation de la gestion des forêts publiques qui se profile désormais de manière évidente. Les suppressions d’emplois se poursuivent quand, dans le même temps, l’Office se voit dépossédé toujours plus de ses compétences. Les agents s’inquiètent, à juste titre, d’un rapport interministériel dont les conclusions ont été maintes fois reportées – peut-être seront-elles dévoilées à la faveur de la torpeur de l’été ? Elles viseraient notamment à confier la gestion des forêts communales à des prestataires privés. Le décret relatif à la simplification de la procédure d’autorisation environnementale, soumis à consultation publique, est aussi au cœur des inquiétudes, et pour cause : les quatre axes traités par ce projet de décret malaxaient les expressions « chewing gum », que la majorité préfère qualifier de « disruptives ». Je ne résiste pas au plaisir de vous les livrer : « dématérialisation », « mieux proportionner », « rapidité », « fluidification » : autant d’objectifs brandis pour permettre tout simplement de faciliter et accélérer la destruction de notre patrimoine forestier.

Comment, aujourd’hui, ne pas se mettre en colère contre l’hypocrisie de ce gouvernement, qui envisage, purement et simplement, de supprimer la consultation de l’ONF pour des opérations de déboisement dans les forêts publiques, pour décider d’autoriser ou non la transformation d’une forêt en zone commerciale ou en lotissement ! L’État se passerait donc de l’ONF qui protège et gère les forêts depuis des siècles, comme le soulignent les syndicats. Oui, hypocrisie d’un gouvernement qui nous demandait la semaine dernière de lui accorder sa confiance en nous promettant une « accélération » sur l’écologie, et qui prend dans le même temps des mesures pour faciliter le changement d’usage des sols, pourtant la première cause de la disparition de la biodiversité.

Je ne peux malheureusement poursuivre sur ce sujet qui mériterait à lui seul un débat, mais je crois avoir fait la démonstration que la bonne foi est nécessaire dans le traitement du sujet que nous propose le groupe UDI.

Or si nous ne doutons pas de la bonne foi des auteurs de cette proposition de résolution, permettez que nous mettions très sérieusement en doute celle du Gouvernement quand il nous dit vouloir « rationaliser » les agences publiques. Combien d’agences laissera-t-il au bord du chemin, malgré leur utilité évidente, pour mieux installer des organes qui ne servent qu’à camoufler son inaction ou son désengagement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes UDI-I et LT.)

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