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Référendum d’initiative citoyenne

L’examen de ce texte a le grand mérite de mettre en exergue la profondeur de la crise démocratique que connaît notre pays. Cette crise affecte principalement la légitimité des institutions traditionnelles de la représentation. Elle reflète une défiance, inédite par son ampleur, de la part des citoyens à l’égard des élus, une indifférence qui se traduit par l’abstention et même, on le voit, par une grande exaspération. La distance entre les citoyens et les élus croît à mesure que l’expertise citoyenne, elle, s’aiguise. Toujours plus éclairé grâce à l’accès aux études et à la démocratisation du savoir, le peuple aspire légitimement à un plus grand partage de la prise de décision publique.
Cette défiance citoyenne à l’égard de la représentation politique est aussi exacerbée par la rigidité du cadre constitutionnel. Voulue comme telle par ses pères fondateurs, la Ve République consacre de façon disproportionnée le parlementarisme rationalisé. Elle confère à l’exécutif des pouvoirs sans équivalent dans les autres régimes démocratiques, avec un Parlement trop souvent contraint. Dans ce logiciel ancien, la participation citoyenne est réduite à la portion congrue du jeu démocratique, et les réformes successives n’ont rien arrangé à cet égard.
Avec l’instauration du quinquennat présidentiel en 2000 et la synchronisation du calendrier électoral, la prééminence du Président de la République s’est renforcée, accentuant le fait majoritaire qui veut que le président élu entraîne dans son sillage la formation d’une « majorité présidentielle » à l’Assemblée nationale. Pour le pluralisme politique, le tribut est lourd à payer. Dans ce contexte, les Françaises et les Français ont le sentiment d’être consultés à l’occasion des élections présidentielles et législatives, tous les cinq ans, sans jamais pouvoir intervenir de nouveau dans la vie politique nationale pour évaluer ou proposer.
Il est donc parfaitement compréhensible, compte tenu de ce sentiment d’impuissance, que le référendum d’initiative citoyenne ait de nouveau surgi dans le débat public par l’intermédiaire du mouvement des gilets jaunes, qui le regardent comme outil capable de surmonter l’impasse. Oui, nous avons besoin de faire vivre notre fonctionnement démocratique. Et il faudra expliquer à notre assemblée en quoi le fait de donner plus souvent la parole à nos concitoyens menacerait la démocratie représentative. (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)
Le référendum a partie liée avec l’histoire de notre pays. Les Girondins, les premiers, avaient imaginé un projet de constitution incluant un droit de censure populaire des actes parlementaires. Puis ce fut au tour des Montagnards d’utiliser le référendum pour soumettre à la votation citoyenne la Constitution de 1793, la plus démocratique jamais écrite dans notre pays.
D’ailleurs, en cela héritière de cette histoire politique, notre Constitution dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». (Approbations sur les bancs du groupe FI.)
Les arguments en faveur du référendum d’initiative citoyenne ne manquent donc pas. En premier lieu, on le constate dans les pays où les votations citoyennes sont nombreuses, la consultation des citoyens élève le niveau de politisation dans la population. Nous le constatons aussi avec le mouvement des gilets jaunes : les citoyens s’intéressent de nouveau à des questions autrefois délaissées, qu’il s’agisse des institutions, de la fiscalité, de l’emploi ou de la solidarité. Et c’est une bonne nouvelle pour notre pays.
Le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen est, à ce titre, exemplaire. Il fut à l’origine d’un intense moment démocratique. Pendant plusieurs mois, des millions de citoyens ont échangé et débattu autour de tel ou tel amendement constitutionnel, sur internet et dans des réunions publiques : investissement exemplaire d’un peuple dont personne n’attendait qu’il manifeste un tel niveau de conscience et de responsabilité. (M. Loïc Prud’homme applaudit.) Malheureusement, cet engagement fut trahi par le non-respect de suffrages pourtant clairement exprimés.
Non, le référendum n’est pas un objet déraisonnable. Les citoyens sont tout à fait capables de se saisir des enjeux, même les plus complexes.
Non, le référendum d’initiative citoyenne n’est pas l’ennemi de la démocratie représentative. Au contraire, il permet de concilier les vertus du système représentatif et de la démocratie directe, afin, selon les termes du philosophe Claude Lefort, d’« allier ces deux principes apparemment contradictoires » de la démocratie : « l’un, que le pouvoir émane du peuple ; l’autre, qu’il n’est le pouvoir de personne ».
Nous souhaitons toutefois apporter quelques nuances et formuler quelques suggestions concernant la proposition de loi qui nous est soumise ce matin.
D’abord, notre groupe n’est pas favorable au référendum révocatoire. Si nous approuvons l’esprit salutaire qui anime ce dispositif, et justement parce que nous pensons qu’il va dans le bon sens, nous ne voulons pas passer sous silence les dérives qui pourraient aussi en résulter. Ainsi, aux États-Unis, en 2013, un sénateur du Colorado a-t-il été destitué de son mandat après le lancement par le lobby pro-armes, à la suite du vote dans cet État d’une loi encadrant la vente d’armes automatiques, d’une procédure révocatoire approuvée par une confortable majorité.
Dans la proposition de loi que nous déposerons très prochainement, nous retiendrons les dimensions législative et abrogatoire du référendum d’initiative citoyenne. Néanmoins, à la différence de nos collègues et afin de nous prémunir contre d’éventuelles dérives, nous souhaitons que tout projet référendaire soit assujetti à un contrôle a priori du Conseil constitutionnel. Ce dernier devra s’assurer que les droits et les libertés fondamentaux sont respectés. En matière de droits fondamentaux, en effet, l’excès de prudence n’est jamais superflu. Il convient de vérifier que le référendum ne peut pas être détourné de son intérêt premier par des groupes de pression désireux d’établir ou de rétablir des dispositions contraires aux droits de l’homme.
De façon complémentaire, et en mémoire de la douloureuse expérience du référendum de 2005, nous ne voulons pas que le Parlement puisse voter une disposition qui serait en contradiction avec le résultat d’un référendum datant de moins de dix ans.
Le vote de 2005 a laissé une trace immense, une trace tenace dans la mémoire collective : la voix du peuple français n’a pas été respectée par ses dirigeants politiques, ce qui a constitué un véritable traumatisme, un déchirement démocratique dont les effets sont encore ressentis aujourd’hui.
Bien sûr, le référendum d’initiative citoyenne ne suffira pas à résoudre la crise démocratique : pour y parvenir, il faudra modifier la Ve République, voire la dépasser, afin de rendre toutes ses lettres de noblesse au régime parlementaire. Néanmoins, il peut constituer une véritable avancée démocratique, complémentaire de la démocratie représentative et susceptible de redynamiser considérablement la vie politique française. L’urgence est réelle : nos concitoyens ont soif de démocratie. Merci à La France insoumise d’avoir soumis cette proposition de loi au débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)

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