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Discussions générales

Réforme ferroviaire (CMP)

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, chers collègues, nous arrivons au terme de la discussion de ce texte avec le sentiment que ce projet de loi représente, en fin de compte, une occasion manquée de faire du système ferroviaire français un grand service public, et de mettre enfin au bilan de ce Gouvernement une avancée sociale de portée historique.
Quinze après la création de RFF, et après dix années de gouvernement de droite, beaucoup, parmi les agents du service public, les élus et nos concitoyens, attendaient effectivement que l’on renforce un grand service public, et pour cela, qu’on leur parle d’investissement public, de réponse aux besoins d’aménagement du territoire, de transition énergétique. Dans le dialogue très ouvert que vous avez conduit en amont, monsieur le secrétaire d’État, vous aviez donné des signes encourageants en ce sens, en parlant de groupe public ferroviaire, de réunification de la famille cheminote, de retour de l’État-stratège, d’intégration, d’unification du réseau. Les députés du Front de gauche ont mis tout en œuvre pour vous accompagner – voire même vous pousser ! – dans cette voie.
Vous vous êtes cependant arrêté au milieu du gué. Nous avons pourtant tout fait pour que vous ouvriez les vannes, mais vous n’avez laissé passer qu’un mince filet d’eau. Tout d’abord, ce texte ne va pas au bout de la réunification du système ferroviaire, en créant un seul EPIC. Alors que l’objet premier de ce projet de loi était de réunir à nouveau la SNCF et RFF, l’exploitation et l’infrastructure, la roue et le rail, vous créez une troisième entité, dont la fonction sera d’assurer la coordination entre les deux entreprises. Nous en connaissons les raisons : pour que cette architecture obtienne l’aval de la Commission européenne, vous avez dû garantir que la holding de tête n’empiéterait pas sur les fonctions dévolues à SNCF Réseau, et que SNCF Mobilités ne pourrait pas exercer d’influence sur les décisions tenant au réseau. Autrement dit, Bruxelles exigeait – et a obtenu – que la réunification n’en soit pas une, et n’entrave pas la bonne marche de l’ouverture à la concurrence.
Certes, le projet de loi met fin à la séparation stricte des activités qui prévalait depuis la création de RFF. Vous conviendrez cependant, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, que ce projet de loi ne mettra pas fin à l’émiettement des activités, qui sont de plus en plus autonomes, ni à la multiplication des filiales, ni à la généralisation de la sous-traitance, ni à l’abandon du fret.
Certes, le débat parlementaire aura permis d’enregistrer des avancées, pour garantir une plus grande unité économique, sociale et technique du nouveau groupe ferroviaire public. Les trois EPIC auront un caractère indissociable et solidaire. Ils disposeront d’un comité central de groupe, et mutualiseront certaines fonctions sociales.
Là aussi, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, vous conviendrez que ce projet de loi ne solidifie que superficiellement le groupe du ferroviaire, et surtout pas assez pour lui permettre de faire face aux conditions de la concurrence annoncée par le quatrième paquet ferroviaire. Nous savons en effet de longue date que concurrence et service public ne font jamais bon ménage. Nous en avons fait l’expérience dans une grande variété de domaines. L’atterrissage n’est jamais à la hauteur de l’envolée, tout au moins pour l’usager : je ne parle pas des aspects financiers.
Le transport ferroviaire est à l’évidence un des secteurs où la privatisation n’a jamais démontré la moindre utilité, ce qui explique, d’ailleurs, que la plupart des pays ont opté pour un service public du transport ferroviaire. La question essentielle est la suivante : devons-nous nous plier aux injonctions libérales et favoriser l’implantation de nouveaux acteurs qui ne s’installeront que sur les lignes les plus profitables, au détriment de l’opérateur historique qui devra assurer le service sur les lignes qui ont le plus faible trafic ? Surtout, quel bénéfice les usagers en retireront-ils en termes de tarifs, de qualité de service, de sécurité ?
La privatisation du transport de fret ferroviaire depuis 2003 offre un terrible exemple des dégâts occasionnés par l’ouverture du rail à la concurrence. En dix ans, la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises a été divisée par deux. Elle ne représente plus que 9,6 % du transport de marchandises, contre 83,6 % pour la route, avec toutes les nuisances sociales et environnementales que cela induit. En cause, une concentration de l’activité sur les seuls segments les plus rentables, qui a elle-même entraîné la disparition de 5 000 emplois depuis 2008, et la fermeture de la quasi-totalité des gares de triage. L’ouverture à la concurrence du transport de marchandises a conduit ainsi à sa dégradation, au détriment de l’intérêt général en matière d’aménagement du territoire et de transition écologique.
Nous sommes pour notre part convaincus – et c’est, pour l’essentiel, ce qui nous sépare de vous – qu’il est non seulement nécessaire, mais possible de faire reculer Bruxelles. La concurrence, la loi du marché et le démantèlement des services publics ne peuvent être l’horizon de la construction européenne. J’apprécie votre réaction, monsieur le ministre : vous êtes sensible à cette analyse, même si vous ne la partagez pas.
Nous regrettons donc que vous n’ayez pas entendu, ni dans notre assemblée, ni au Sénat, nos propositions visant à pousser les feux de la réunification de la famille ferroviaire, une vraie réunification, quitte à engager un bras de fer et à établir un rapport de forces au niveau européen. Cela ne veut pas dire que vous n’ayez rien fait, monsieur le ministre !
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Ah !
M. André Chassaigne. Ce n’est pas ce que je dis ! Ce que je dis, c’est qu’il y a en Europe des peuples, des États, avec lesquels nous pourrions nous unir pour dire non à la concurrence qui est en train de tout tuer sur notre continent.
En second lieu, nous vous avions alerté, il y a plus d’un an déjà, à propos de la nécessité de ne pas vous contenter d’une simple réforme de la gouvernance du système, et d’aller plus loin aussi bien en ce qui concerne le périmètre du service public que les financements. Sur les financements, la seule avancée – modeste – a été obtenue au Sénat : il s’agit de l’adoption d’une mesure relative au versement transport au profit des régions. Concernant l’ambition d’un service public renforcé, le projet ne répond pas à l’objectif partagé de rétablir un grand service public ferroviaire, je l’ai déjà dit.
Cette rupture avec les intentions affichées de ce projet de loi ne s’explique pas seulement par l’exigence d’euro-compatibilité. Le projet stratégique et industriel de la SNCF s’accorde avec cette rupture. Quel est ce projet ? Il s’agit de faire du groupe SNCF un groupe de services multinational par le renforcement de la diversification des activités hors ferroviaire et la recherche de performances et de marges financières supplémentaires. Ainsi, la SNCF deviendrait un champion de la mobilité dont le principal relais de croissance serait le développement de ses activités commerciales, l’essor de ses filiales de transport routier de marchandises, le covoiturage ou le transport urbain. Cela me conduit à penser que ce projet de loi, dans sa version issue des travaux de la CMP et que nous allons voter, ne doit pas particulièrement aller à l’encontre du projet de développement de la SNCF.
L’articulation entre ces ambitions et la réponse aux besoins et missions de service public ne va pas de soi. Les contradictions sont flagrantes entre les orientations affichées par le groupe et la poursuite de missions de service public comme le développement du fret, le maintien d’un maillage territorial et des lignes d’équilibre du territoire. Je pense qu’au cours des mois et des années à venir, nous pourrons juger sur pièces.
Dans ce contexte, comment ne pas comprendre les inquiétudes des cheminots, qui savent que les gains de performance et de productivité se traduiront, comme toujours, par une dégradation des conditions de travail et d’emploi, et par un recours toujours plus important à la sous-traitance ? Faute d’un renouvellement de moyens de financement, ce sont non seulement l’emploi, les salaires et les conditions de travail qui se trouveront menacés, mais aussi le service aux usagers. Ces derniers sont pourtant déjà confrontés à la désertification des gares et aux graves conséquences des manquements observés en termes de rénovation de l’infrastructure et de développement du réseau.
D’autant plus, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, que ce texte ne propose pas de solutions pour le remboursement de la dette du système ferroviaire, dont le montant dépasse 40 milliards d’euros.
M. Martial Saddier. Eh oui !
M. André Chassaigne. Un rapport nous sera peut-être présenté dans deux ans – peut-être ! –, mais ce délai est bien long. Qu’en sera-t-il demain de la sécurité des usagers ? Faudra-t-il leur expliquer que les travaux de rénovation n’ont pas été réalisés car ils étaient « hors trajectoire financière », pour reprendre la nouvelle terminologie ? Combien d’accidents devront se produire, et combien de kilomètres de lignes devront être fermés, avant que l’on donne la priorité aux besoins ?
Vous ne proposez, dans ce projet de loi, que de contenir l’endettement par la mise en place d’une règle de rétablissement des équilibres financiers, qui s’apparente, je l’ai dit plusieurs fois au cours de nos débats, à un véritable carcan. Qui peut sérieusement croire qu’une pression accrue sur les coûts se traduira par une amélioration du service public et de la sécurité ? Au cours de nos débats, nous avons en définitive, comme les cheminots, obtenu peu de réponses aux nombreuses questions que nous vous posions, et peu d’engagements en faveur de l’intérêt général.
Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d’État, nous maintenons notre vote négatif.
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Quelle déception !
M. André Chassaigne. Nous restons cependant plus que jamais attentifs à l’avenir de la SNCF et du système ferroviaire national. Nous comptons bien prendre part à cet effort collectif.

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