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Réforme territoriale

Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la question du bien-fondé de l’action publique et de son contrôle par le peuple est au cœur des libertés fondamentales. Pas seulement pour obtenir une juste répartition de la contribution à la dépense publique, mais aussi pour en avoir la maîtrise citoyenne, pour, selon l’article 14, la consentir librement et en suivre l’emploi.
C’est sur cette base que s’est fondée la légitimité des collectivités territoriales au sein de la République, collectivités qui ont connu un essor particulier depuis la décentralisation de 1982.
Les communes ont su librement décider de coopérer entre elles, mais aussi avec les départements et les régions. Une légitimité à chaque niveau, qui doit tout à la souveraineté populaire.
Or, les bouleversements qui sont annoncés nient a priori ce besoin fondamental de fonder l’action publique sur une maîtrise citoyenne. C’est d’abord en ce sens que la réforme proposée s’attaque aux fondements mêmes de l’organisation républicaine de notre pays, héritée de la Révolution française et de notre histoire démocratique.
Comme l’a souligné lui-même le Président de la République, dans sa déclaration du 3 juin dernier à la presse régionale, il s’agit de transformer pour plusieurs décennies l’architecture territoriale de la République. Dont acte. Mais si tel est l’enjeu, la méthode utilisée n’est pas acceptable.
On ne bouleverse pas l’organisation de République dans l’improvisation et la précipitation. C’est pourquoi nous contestons le recours à la procédure accélérée, comme nous déplorons que les deux volets de la réforme ne soient pas examinés dans le même texte, tant ils sont étroitement liés. Oui, l’enjeu est tel qu’il mériterait un grand débat national et l’organisation de ce « chantier républicain » souhaité par le président du Conseil économique, social et environnemental. Car il est vrai, pour reprendre son expression, qu’ « on ne réorganise pas les territoires sans la mobilisation des acteurs de terrain ».
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, si pour l’instant il y a mobilisation, force est de constater que ce n’est pas en faveur de la réforme du Gouvernement.
M. Jean-Frédéric Poisson. Tout à fait !
M. Marc Dolez. Puis-je vous demander de vous reporter, par exemple, au communiqué de l’Association des maires de France, le 10 juillet dernier ? Je cite : « Au moment où un texte est en cours de discussion au Parlement, laissant apparaître une réforme insuffisamment préparée et toute en verticalité, le bureau de l’AMF alerte sur un risque de paralysie de l’action locale. »
Puis-je vous demander de vous référer à la motion adoptée unanimement le 25 juin dernier par l’Assemblée des départements de France, pour affirmer son opposition à la réforme territoriale telle qu’elle se présente aujourd’hui, et vous renvoyer aux déclarations du président de l’ADF à l’issue de cette réunion, qui déclarait : « Sur le premier projet de loi, relatif au regroupement des régions, on ne comprend pas les critères objectifs. » Il déclarait aussi, sur le second projet, relatif à l’organisation des compétences : « Cette loi ne va pas dans le sens de l’histoire. »
Comment ne pas partager cette interrogation, quelque peu pathétique, lancée le 19 juin dernier par le président du conseil général du Nord, devant le congrès des maires de son département : « Ne sommes-nous pas en train de nous tromper de réforme ? »
Comment, enfin, ne pas approuver l’interpellation, le 3 juillet dernier, de la sénatrice Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation il y a encore quelques semaines, qui déclare : « Qu’il faille ou non supprimer les conseils généraux mérite un vrai débat. La notion de proximité me paraît vraiment mal en point face à des régions agrandies et élargies, dont le chef-lieu ne sera peut-être pas accessible dans les meilleures conditions. Le périmètre de nos intercommunalités n’a pas vraiment de sens par rapport à un seuil démographique de 20 000 habitants. »
Au lieu de prendre le temps et l’initiative d’une réflexion aussi approfondie que concertée, le Gouvernement commet une faute politique majeure en décidant de passer outre et d’avancer à marche forcée.
C’est en effet un processus incohérent et lourd qui s’engage avec ce projet de loi de regroupement des régions, qui, de toute évidence, a d’abord pour but de véhiculer le report des élections régionales et départementales.
Incohérent, le procédé qui consiste à faire avaliser un nouveau cadre régional sans débattre au préalable des compétences nouvelles ou des conséquences induites par la disparition programmée des départements.
Or, un périmètre territorial ne peut se décider qu’en fonction des politiques à mettre en œuvre, dès lors que l’objectif est bien de répondre aux besoins de la population.
Lourd de conséquences, le calendrier électoral qui induit en mars 2020 la suppression des départements et la dissolution des communes dans des intercommunalités qui seraient élues au suffrage universel direct, à la faveur d’un mode de scrutin différent de celui des élections municipales.
Un processus lourd de conséquences, puisque le second projet de loi prévoit aussi la suppression de la clause de compétence générale, ce qui marque, on en conviendra, un surprenant virage à 180 degrés…
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est sûr !
M. Marc Dolez. …après son rétablissement l’an dernier dans le cadre de la loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles, suppression de la clause de compétence générale qui remet en cause le grand principe de la libre administration des collectivités territoriales.
Briser la compétence générale, c’est vraiment décréter la mise sous tutelle de certaines collectivités par d’autres et réduire les financements croisés, alors que les conseils généraux et les conseils régionaux jouent actuellement un rôle essentiel dans le financement des communes, en particulier des plus petites.
Le regroupement des régions, sur lequel les projecteurs sont aujourd’hui habilement braqués, c’est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt.
Pour notre part, nous refusons de laisser le débat s’enliser dans la question des périmètres régionaux, car les véritables enjeux sont ailleurs.
C’est pour cette raison de fond, vous l’aurez remarqué, que notre groupe ne participe pas au grand Monopoly actuellement en cours et qui réserve chaque jour de nouvelles combinaisons. Nous en sommes déjà à la troisième carte, et ce n’est probablement pas fini.
Dans ce débat, un principe démocratique avec lequel on ne devrait pas transiger devrait être au moins respecté : pas de regroupements, pas de fusions sans débat public, pas de regroupements, pas de fusions sans consultation des habitants concernés.
Les considérations politiques, pour ne pas dire politiciennes, ressortent d’ailleurs clairement de ces différents projets de découpage élaborés à la va-vite et sans prendre le temps du dialogue avec les collectivités territoriales pour cerner les enjeux de chaque territoire.
Lors de la table ronde organisée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de notre assemblée, Mme Béatrice Giblin, professeure à l’Institut de géopolitique de l’université de Paris-VIII, a ainsi montré que la réforme territoriale est étroitement liée au contexte politique, pointant « les rivalités de pouvoir qui s’exercent pour le contrôle des territoires. »
De son côté, le géographe Gérard-François Dumont a souligné, d’une part, qu’aucun pays démocratique n’envisage de réduire d’un tiers le nombre de ses régions et, d’autre part, que la taille moyenne des régions françaises est supérieure à celle des Länder. Dans les pays alentours, de nombreuses régions sont plus petites que la plus petite des régions françaises, à savoir l’Alsace.
La réforme prévoit pourtant d’agrandir encore les deux régions les plus importantes, Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées, comme si la grande taille procurait automatiquement des avantages.
M. Dumont souligne également que nombre de régions européennes sont moins peuplées que le Limousin, région française la moins peuplée, et rappelle enfin que les régions actuelles ont une identité – elles ne sont pas nées sous X – et que notre découpage régional est l’héritage d’une longue histoire, dont témoigne la dénomination des régions.
Pour le Gouvernement, la diminution du nombre de régions serait donc un facteur d’efficacité. Qu’il nous soit permis d’en douter sérieusement. En quoi de grandes régions seraient-elles nécessairement plus fortes ou plus justes ? En quoi le transfert de la gestion des routes ou des collèges aux régions les rendra-t-il plus performantes ? Le risque est grand, au contraire, de les transformer en monstres démocratiques plus éloignés des citoyens, moins efficaces et, en tout cas, moins réactifs que les départements.
En parfaite cohérence avec les positions qu’ils ont toujours défendues, les députés du Front de gauche combattent aujourd’hui une réforme territoriale qui, il faut bien le dire, va au-delà de la réforme de 2010, sous le précédent quinquennat, et à laquelle, si je me souviens bien, l’ensemble de la gauche s’était opposé.
Sous couvert de clarification, de simplification et d’économies à réaliser, le Gouvernement nous propose aujourd’hui de bouleverser l’organisation républicaine du pays. Derrière l’effacement de fait des communes, échelon de base de la démocratie locale, et la disparition programmée des départements au profit d’intercommunalités d’au moins 20 000 habitants, de métropoles et de treize ou quatorze grandes régions, se profile la privatisation rampante des services publics de proximité.
En outre, la réduction du nombre d’élus régionaux et locaux alors que les territoires seront plus grands ne peut qu’entraîner inéluctablement un éloignement des citoyens, un éloignement des préoccupations et des projets décidés démocratiquement,…
M. André Chassaigne. C’est ce qu’ils veulent ! C’est l’objectif !
M. Marc Dolez. …un éloignement des lieux de décision, éloignements qui ne feront qu’exacerber le sentiment de fracture territoriale.
M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr !
M. Marc Dolez. Le Gouvernement bouleverse ainsi l’édifice républicain, non pour le rendre plus démocratique mais pour l’inscrire dans la vision économique libérale et une mise en concurrence conforme aux dogmes de l’Union européenne. Alors que, répétons-le, la question essentielle est celle de l’aménagement du territoire, les disparités s’accroîtront encore, au prix d’une compétition toujours plus féroce entre territoires.
C’est une France des territoires à plusieurs vitesses qui se dessine, c’est la remise en cause de l’égalité des territoires et des citoyens qui est au cœur de notre pacte républicain, avec les conséquences que l’on peut deviner pour nos concitoyens dans leur vie quotidienne.
Prenons garde à ce que ce Big Bang ne casse les savoir-faire et les dynamiques constructives, et qu’il ne s’accompagne d’un long cortège de frais supplémentaires allant à l’encontre des économies attendues, lesquelles, il faut bien l’avouer, laissent sceptiques bien des experts, le tout dans le cadre de l’austérité budgétaire annoncée : 11 milliards de baisses de dotations, soit, je le rappelle, selon l’estimation de l’Association des maires de France, 28,5 milliards d’euros de pertes cumulées entre 2014 et 2017 pour les collectivités.
Dès maintenant, les réductions drastiques des dotations de l’État conjuguées aux incertitudes qui pèsent sur le devenir des départements et des intercommunalités génèrent, comme chacun peut le constater, une baisse des investissements des collectivités locales, et donc, mécaniquement, une réduction de l’activité des secteurs du bâtiment et des travaux publics. Cette réduction, particulièrement inquiétante, pourrait atteindre 10 % en 2014 et menacer, par exemple, près de 10 000 emplois pour la seule Île-de-France.
En réalité, le regroupement des régions va d’abord coûter cher et les économies à venir ne seront pas assurées sans réduire massivement les services publics et l’action sociale. C’est d’ailleurs conforme à la feuille de route dictée par Bruxelles si l’on se réfère, après celles de l’an dernier, aux recommandations que la Commission a adressées le 2 juin dernier à la France après évaluation de son programme de stabilité et du programme national de réforme. Je cite : « Le projet de nouvelle loi sur la décentralisation devrait permettre d’obtenir de nouveaux gains d’efficacité et de réaliser des économies supplémentaires en fusionnant ou en supprimant les échelons administratifs. »
M. Sébastien Denaja. Et alors ? Cela ne condamne pas le principe.
M. Marc Dolez. Voilà qui est clair : la réforme territoriale est un outil pour faire diminuer la dépense publique. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de l’examen du deuxième projet de loi, avec le rôle nouveau qui serait confié à la Cour des comptes dans le contrôle de la déclinaison de la règle d’or par les collectivités territoriales.
Si nous sommes résolument opposés à la réforme qui nous est proposée pour toutes les raisons déjà indiquées et que nous défendrons tout au long du débat, pour autant, nous ne survalorisons pas l’organisation actuelle et nous ne défendons pas le statu quo.
Nous plaidons pour une remise à plat de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, sur la base d’un vrai bilan de l’application des lois de décentralisation.
Nous plaidons pour un nouvel équilibre entre l’État et les collectivités territoriales, qui, selon nous, devrait s’articuler autour de cinq grands principes.
Un : démocratiser et déconcentrer les missions de l’État, en trouvant une nouvelle organisation entre les responsabilités des collectivités locales et celles de l’État, garant de la cohésion et de la solidarité nationale.
Deux : démocratiser le fonctionnement des collectivités, avec des assemblées élues à la proportionnelle et en promouvant de nouvelles formes de participation des citoyens.
Trois, affirmer la nécessité de conserver trois niveaux de collectivités : la commune, lieu de proximité, de la communauté de vie et de la vie démocratique au plus près des citoyens ; le département, qui assure la solidarité territoriale et la solidarité sociale ; la région, niveau essentiel pour l’organisation du territoire et les orientations stratégiques du développement.
Quatre : insuffler des logiques de coopération, et non de concurrence, entre les collectivités, afin d’être au plus près des attentes des habitants, grâce à une intercommunalité volontaire et de projets.
Cinq : réformer en profondeur le financement des collectivités, par une réforme de la fiscalité affirmant notamment la responsabilité du secteur économique dans le développement local.
Pour l’avenir du pays, il n’y a pas d’autre voie que celle du renouveau démocratique et de la relance de politiques publiques plus justes et plus efficaces.
C’est dans cet esprit que les députés du Front de gauche appellent de leurs vœux une véritable réforme des institutions, une réforme pour refonder la République et non pas pour la faire voler en éclats. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)

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