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Règlement du budget et approbation des comptes de l’année 2016

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l’approbation des comptes de l’année 2016 offre la première opportunité de cette législature pour aborder les grandes problématiques budgétaires et financières de notre pays.
Mais à bien vous écouter, mes chers collègues, monsieur le ministre, on a le sentiment que la réduction des déficits est la priorité ultime des politiques publiques, leur seule et unique finalité. Érigés en totem, les 3 % de déficit surplombent la représentation nationale, anesthésiant le débat et la réflexion politique.
En réalité, monsieur le ministre, depuis votre prise de fonction, tout semble parfaitement orchestré : un déficit public plus élevé que prévu – 3,4 % contre 3,3 % –, un rapport opportunément rendu par la Cour des comptes et venant dézinguer la dépense publique : la voie est désormais toute tracée d’une politique d’austérité injuste et inefficace.
La prudence et la responsabilité commandent pourtant de faire un bilan sans concession du quinquennat précédent, et d’en tirer tous les enseignements pour mettre en place une politique répondant aux vraies préoccupations de nos concitoyens.
Quel état des lieux pouvons-nous dresser de notre pays, mes chers collègues ? Les élections, les tensions dans les débats, les projets antagonistes, le niveau de l’abstention ont mis en lumière des fractures qui ne cessent de grandir.
Commençons par les fractures économiques et sociales. Le magazine Challenges vient de publier son nouveau classement des cinq cents premières fortunes de France. Principaux enseignements : la fortune du « top dix » – celle des Pinault, Drahi, Bettencourt et consorts – a progressé de 35 % en un an. Cette croissance est au demeurant structurelle puisque, depuis 1996, cette fortune a été multipliée par douze quand le PIB a seulement doublé.
Cette envolée indécente du patrimoine des plus riches vient écraser le sort de millions de nos concitoyens, subissant précarité, incertitudes et difficultés concrètes à boucler les fins de mois : 10 % de chômage, 8 % des salariés du secteur privé rémunérés au SMIC – 1 150 euros par mois, quand le seuil de pauvreté est de 1 000 euros par mois.
L’autre fracture touche nos territoires ; elle affecte le monde agricole, la montagne, le milieu rural mais aussi les banlieues et les villes moyennes. Ces territoires subissent le recul constant des services publics, la désindustrialisation et le sous-investissement chronique, tant public que privé.
La politique menée ces dernières années est venue aggraver ces fractures. Le symbole en est bien entendu le pacte de responsabilité, résultat de la conversion de l’ancienne majorité socialiste à l’idéologie de l’offre, mais aussi d’une soumission consentie au dogme de la réduction de la dépense publique.
Véritable verrue budgétaire, ce pacte s’est traduit par une politique de soutien inconditionnel à toutes les entreprises, qu’ont matérialisé le CICE et de multiples allégements de cotisations sociales. Quel que soit le secteur, quelle que soit leur politique, quelle que soit leur taille, les entreprises ont vu leur contribution à l’effort national réduite de près de 30 milliards d’euros par an, sans véritables effets sur l’emploi.
Ces mesures ont été financées d’abord par les ménages, et plus particulièrement les ménages modestes qui payent la facture d’une TVA en surpoids.
Les collectivités territoriales ont également été mises à contribution, très largement, trop largement. Elles sont à l’os aujourd’hui, incapables d’investir, obligées de rogner sur les services rendus à la population.
Les coupes budgétaires dans nos hôpitaux ont par ailleurs fait très mal. En témoigne l’état de santé des personnels hospitaliers.
Plus globalement, nos concitoyens voient bien ces bureaux de postes qui ferment, ces services qui s’éloignent, ces commerces indépendants qui mettent la clé sous la porte, ces transports publics qui se dégradent ou se raréfient dans certains secteurs.
Au vu du bilan de la fameuse « consolidation budgétaire », de cette politique favorable aux grandes entreprises et à leurs actionnaires, il paraît nécessaire de rompre avec ce qui n’a pas fonctionné et de poser les bases d’une politique fondée sur une plus grande justice fiscale et sociale, la transition énergétique, la formation et l’éducation, le développement économique concerté et impulsé, et bien entendu des services publics accessibles à tous et partout.
Cependant, et malgré la cacophonie fiscale à l’œuvre depuis deux semaines, tout indique que vous persisterez – allant même plus vite et plus fort – dans cette voie budgétaire empruntée par vos prédécesseurs et qui, selon nous, est sans issue.
Outre la hausse du taux du CICE, le taux de l’impôt sur les sociétés passera progressivement à 25 % sans remise en cause de toutes les niches fiscales qui mitent l’imposition des entreprises. Faut-il rappeler que le rendement de l’impôt sur les sociétés tend à être l’un des plus faibles des pays de l’OCDE ? Comme vous l’indiquez, monsieur le rapporteur, il ne rapporte plus que 30 milliards d’euros, bien loin des mythes propagés à l’envi par les tenants du système !
Vous allez appuyer sur l’accélérateur en mettant en œuvre des projets profondément réactionnaires, inédits depuis l’époque de MM. Sarkozy et Fillon. Vous prévoyez ainsi d’abattre l’ISF, que vous entendez « recentrer » – je vous cite – sur la seule fortune immobilière, écartant du dispositif tout le patrimoine financier !
Le coût pour les finances publiques sera de 3 milliards d’euros. Quant au coût pour le pacte social, il est inestimable, tout comme l’est celui de la mise en place d’une flat tax à 30 % sur les valeurs mobilières, du démantèlement de la taxe sur les transactions financières, ou encore de ces allégements de charge sur les indemnités de rupture de contrat de travail à l’adresse des traders.
Quant à la suppression des cotisations salariales et à l’exonération progressive de taxe d’habitation pour 80 % des Français, ce ne sont que des écrans de fumée. Non seulement ce sont les retraités qui paieront la facture, mais le coût du premier volet de l’exonération de taxe d’habitation, estimé à 3 milliards d’euros, doit être mis en parallèle avec celui, équivalent, de la réduction de l’ISF. La même somme, 3 milliards d’euros, bénéficie donc d’un côté à des millions de personnes, et de l’autre à seulement quelques milliers. C’est inacceptable !
Le message politique est limpide et les bénéficiaires de la politique fiscale sont désormais connus. Selon une étude de l’OFCE, les 10 % des ménages les plus riches capteraient ainsi 46 % des gains fiscaux promis aux ménages.
M. Jean-Luc Mélenchon. Expliquez-vous !
M. Jean-Paul Dufrègne. Plus précisément, c’est même le dernier centile, c’est-à-dire les 1 % des ménages les plus riches, qui rafleraient la mise.
Cette politique se fera au prix d’une trajectoire de réduction des dépenses publiques de l’ordre de 3 points d’ici à 2022, avec la volonté de contenir la dépense en volume, ce qui équivaut à une baisse de 20 milliards d’euros de ces dépenses. Les annonces contenues dans le décret d’avance sont, en réalité, les premières pierres de cette énième cure d’amaigrissement, qui aura un impact sur les travailleurs, les fonctionnaires, les collectivités, les TPE, les PME, et nos services publics.
Le remède est parfois pire que le mal, mes chers collègues. À coup sûr, ces fractures, que j’évoquais à l’instant, s’accentueront. Soyez vigilant, monsieur le ministre : tout comme il n’y a pas de majorité politique pour vos projets de casse du code du travail, il n’y en aura pas non plus pour vos projets budgétaires très largement tournés vers les ultra-riches.
Aujourd’hui, nous voterons contre ce projet de loi de règlement du budget de l’année 2016. Nous considérons que notre pays dispose des moyens pour une autre politique, qui place l’humain et l’environnement en son cœur et relègue la finance à sa juste place. Une profonde réforme fiscale, qui intègre la justice et l’éthique, doit d’abord nous permettre que chacun contribue selon ses moyens. Nous devons enfin combattre la fraude et l’évasion fiscales avec plus d’énergie : 60 à 80 milliards sont à portée de main, mais cela requiert de la volonté politique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI.)
Enfin, l’urgence, c’est aussi l’environnement : notre système fiscal doit encourager la transition nécessaire dans ce domaine.
Voilà ce qui devrait constituer les priorités de nos politiques publiques. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous serons là pour vous faire des propositions concrètes pour avancer sur les urgences sociales et écologiques. Mais soyez certains que nous serons résolument combatifs face à tout projet conservateur et rétrograde. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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