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Relance européenne et renforcement du contrôle démocratique

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la crise économique et financière européenne résulte directement des choix politiques inscrits dans les traités européens – de celui de Maastricht à celui de Lisbonne, voté contre l’avis du peuple français après le référendum de 2005 – que nous avons, pour notre part, tous rejetés. Les fondements mêmes sur lesquels repose la construction européenne, à savoir la logique de compétition et de mise en concurrence des États membres, expliquent en grande partie la fragilisation financière des États. On pense notamment au principe de libre circulation des capitaux et aux critères du pacte de stabilité, dont les seuls juges sont les marchés et les agences de notation, élevées au rang d’arbitres absolus.
La crise, qui touche de plein fouet les peuples européens, était en germe dans ces traités. La politique monétaire de l’Union conduite par la BCE devait déboucher, tôt ou tard, sur une crise de grande ampleur. Pourtant, les dirigeants européens persistent dans le déni et poursuivent inlassablement dans la même logique. Ils se servent de la crise comme prétexte pour consacrer la doctrine de l’orthodoxie budgétaire et la perte de souveraineté financière des États.
La mise en place du « semestre européen », nouvel outil de coordination des politiques économiques et budgétaires en témoigne parfaitement. Il s’agit purement et simplement d’un dispositif de transfert de souveraineté vers des institutions non démocratiques. Faisant valoir que la prévention est préférable à la correction, la Commission européenne, dans sa communication du 12 mai 2010, avait indiqué que le « semestre européen » permettrait que « les États membres mettent en œuvre une coordination [des politiques économiques] en amont au niveau européen lors de la préparation de leurs programmes nationaux de stabilité et de convergence, y compris leurs budgets et leurs programmes nationaux de réforme ». Selon les mots de la Commission européenne, « une surveillance budgétaire et économique en amont, qui fait défaut pour le moment, permettrait de formuler de véritables orientations qui tiennent compte de la dimension européenne et qui se traduiraient par des décisions politiques nationales. » La Commission affirmait par là même, sans s’en cacher, qu’il était souhaitable d’exercer une influence directe sur les choix budgétaires nationaux.
Ces orientations, confirmées par la suite, ont été affinées, puis le Conseil ECOFIN du 7 septembre 2010 a adopté la proposition de la Commission sous la forme juridique d’une modification du code de conduite régissant la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance.
La procédure est, depuis le 1er janvier 2011, la suivante : sur la base d’un rapport de la Commission, le Conseil ECOFIN émet des recommandations sur des grandes orientations de politique budgétaire qui devraient être suivies par les États membres dans la confection de leurs programmes de stabilité ; les États présentent leur projet de budget à la Commission et au Conseil européen, qui, après analyse, font leurs recommandations pour d’éventuels changements. Nous sommes donc bien au delà d’une simple coordination budgétaire. Il s’agit, au contraire, d’une ingérence dans les politiques structurelles nationales que s’octroient le Conseil européen, la Commission et le Conseil. Les informations sur lesquelles vont s’appuyer les institutions européennes pour établir leurs avis sont, en elles-mêmes, des partis pris politiques et idéologiques : coûts salariaux unitaires, productivité, évolution de l’assiette d’imposition, prix des actifs financiers, réforme systémique des systèmes de retraite mise en œuvre ou non…
Le fait que les institutions européennes aient leur mot à dire avant même que les Parlements élus démocratiquement ne puissent se prononcer crée un précédent dangereux car il fausse le débat national sur des orientations budgétaires préalablement fixées au niveau européen. Cette logique a entraîné la mise en place de politiques d’austérité partout en Europe et a été suivie par un vaste ensemble de mesures encore plus drastiques transférant chaque fois un peu plus la souveraineté parlementaire vers les institutions communautaires : le Six Pack, des directives et règlements qui poussent la logique du semestre européen encore plus loin en prévoyant des sanctions financières pour les États qui ne respecteraient pas les injonctions de la Commission européenne ; le pacte pour l’euro plus, qui fixe aux États des objectifs d’équilibre budgétaire, et trois traités, dont le fameux traité dit « de stabilité, de coordination et de gouvernance » au sein de l’Union économique et monétaire, qui consacre la doctrine de l’orthodoxie budgétaire en renforçant la portée juridique de la « règle d’or », du retour à l’équilibre des comptes publics. Si les dispositions du pacte de stabilité et de croissance constituaient déjà une forme de subordination des États membres à des exigences et des contraintes extérieures, l’ensemble des mesures tendant au renforcement de la coordination des politiques économiques, en prenant prétexte de la crise économique et financière, vise clairement à une mise sous tutelle budgétaire des États membres.
Face à ces dangers, nos collègues du groupe socialiste présentent une proposition de résolution qui s’inscrit dans la continuité de la résolution sur le semestre européen, adoptée par le Parlement européen le 1er décembre 2011. Désireux de renforcer le contrôle démocratique du semestre européen, ils souhaitent « assurer une réelle participation du Parlement européen et des parlements nationaux au semestre européen ». Ils recommandent, pour ce faire, que le Parlement européen codécide les grandes orientations fixées dans le cadre de la procédure sur le semestre européen et que les recommandations des parlements nationaux émises en direction de la Commission soient « effectivement entendues et respectées ». Or toutes les suggestions de nos collègues socialistes intègrent le principe même du semestre européen : le contrôle des budgets nationaux par les institutions européennes n’est pas remis en question. Aussi ne comprenons-nous pas bien la logique qui préside à ce texte et considérons-nous ces suggestions comme inconsistantes. Comment renforcer le contrôle démocratique d’une procédure qui viole fondamentalement le principe de souveraineté budgétaire des États membres ? Il y a là une incohérence qui fonde notre désaccord.
Pour notre part, nous avions déposé une proposition de loi constitutionnelle garantissant la souveraineté du peuple en matière budgétaire, proposition n° 2943 publiée le 20 octobre 2010 et examinée, souvenons-nous, le 2 décembre dans le cadre de notre niche. L’objet de notre proposition de loi était justement d’éviter que, par le biais de règles nouvelles, la France voie l’élaboration annuelle de son budget soumise à une supervision trop étroite ainsi qu’à des orientations contraignantes dictées par le Conseil et la Commission européenne. Notre proposition de loi, si elle avait été adoptée, aurait empêché que notre Parlement soit réduit à une chambre d’enregistrement budgétaire des choix européens, guidés à l’heure actuelle par l’omniprésence des politiques libérales. Aussi ne pouvons-nous que regretter que le groupe socialiste ait voté contre notre proposition de loi, qui allait dans le sens du renforcement démocratique qu’il appelle aujourd’hui de ses vœux.
Je rappellerai enfin que les députés du groupe GDR et le candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, souhaitent l’abrogation de l’ensemble des mesures tendant à la consécration de la doctrine de 1’orthodoxie budgétaire et souhaitent, nous vous l’avons déjà demandé, monsieur le ministre, 1’organisation d ‘un référendum sur ces questions.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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