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Répression d’actes illicites en matière de navigation maritime

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en guise de propos liminaire, permettez-moi de rappeler, après M. le rapporteur et M. le secrétaire d’État, que c’est envoyer un signal regrettable à nos partenaires que de voter aujourd’hui un texte signé en 2005. Douze ans pour ratifier un texte relativement peu sensible, tant diplomatiquement que politiquement ou économiquement, ça fait long !
La ratification des deux protocoles relatifs aux conventions pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et des plates-formes fixes est un acte positif mais appelle plusieurs réflexions que je souhaitais partager avec vous aujourd’hui – c’est pourquoi notre groupe a demandé ce débat.
Les « actes illicites contre la sécurité de la navigation », que j’appellerai plus simplement ici de la « piraterie », présentent beaucoup de similitudes entre le développement de la piraterie au XVIIIe siècle et ce que nous connaissons aujourd’hui : l’explosion des échanges maritimes mondiaux suscite la convoitise de bien des groupes criminels, nombre d’espaces maritimes sont laissés vierge de toute souveraineté ou sont laissées à l’abandon par des États quasi-faillis, et une pauvreté humaine très préoccupante pousse certains groupes sur les mers pour récupérer de quoi subsister.
Au-delà de la ressemblance entre ces deux époques à propos de la piraterie, le XXIe siècle doit beaucoup au XVIIIe, grande phase de colonisation du monde par l’Europe qui a laissé de très profondes traces dans l’actuel ordre du monde.
Lorsque je pense à la colonisation, je pense évidemment à l’Afrique et plus encore aux situations somalienne ou nigériane, par exemple, qui concentrent à la fois les problèmes d’urgence humanitaire, de famine, de guerre civile larvée et d’émergence de groupes armés impunis sur terre et sur mer.
À ce propos, n’oublions jamais que la violence n’est qu’une conséquence désastreuse d’un grand nombre de phénomènes sociaux terribles et que, pour mettre un terme à la violence, c’est l’aide internationale et la paix qui doivent primer afin de créer une démocratie saine et non corrompue, un État, un appareil productif, une agriculture indépendante des grands lobbies, tout ce qui permet à une institution étatique de se maintenir dans la stabilité.
Ainsi, véritable conséquence de l’ordre mondial hérité des dégâts de la colonisation, l’ordre maritime mondial doit être pacifié. De ce point de vue, le texte que nous nous apprêtons à voter est important, même s’il est plus symbolique qu’utile, car nombre de dispositions ont déjà été intégrées en droit français et, pour les zones les plus dangereuses, des forces armées interviennent pour endiguer le phénomène.
Toutefois, il est nécessaire de rappeler la position du groupe GDR, selon lequel la protection des navires français contre la piraterie devrait systématiquement relever de l’action de notre marine nationale et non d’entreprises privées. L’État souverain doit assurer la sécurité de ses ressortissants où qu’ils soient, sans la sous-traiter.
Le même problème se pose concernant les moyens de surveillance de notre zone économique exclusive pour lutter contre les pillages de ressources naturelles comme la pêche illégale dont souffrent les pêcheurs normands, par exemple. La lutte contre la piraterie ne doit pas se faire avec des corsaires !
Mais alors que le droit se renforce de ce côté, il faut garder à l’esprit que les actes maritimes légitimes et militants doivent aussi avoir une place au sein d’un droit maritime international qui se renforce contre le terrorisme et la piraterie. Rien ne prévoit dans les conventions internationales ne serait-ce qu’une ligne pour ces actions militantes qui restent de ce fait dans le flou juridique, favorisant ainsi les États plutôt que les citoyens.
En 2011, alors député, je m’étais engagé pour participer à la « flottille pour la paix » visant à briser pacifiquement le blocus d’Israël contre Gaza. Partie un an après la première flottille, contre laquelle l’armée israélienne avait ouvert le feu…
M. Meyer Habib. Ils avaient du béton et des armes !
M. Jean-Paul Lecoq. …faisant 9 morts et 28 blessés parmi les militants, cette initiative a fait parler de cette situation totalement injuste qui permet à Israël – en violation complète et assumée des résolutions des Nations unies – d’empêcher les Palestiniens d’accéder à leurs eaux territoriales. Ces derniers manquent aujourd’hui tellement de tout que, selon la Croix rouge internationale, Gaza risque « un effondrement systémique ». Il faudrait encore envoyer des vivres, des médicaments et du ciment pour tout reconstruire. Mais quid de la situation internationale lorsque les bateaux de cette potentielle future flottille seront arraisonnés par la marine israélienne ? Quel statut pour les protéger ? C’est cela, le véritable point aveugle de cette convention.
Pensons aussi, par exemple, au pillage des ressources halieutiques par le Maroc dans les eaux territoriales très poissonneuses du Sahara occidental. Depuis le 21 décembre 2016, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-104/16P dispose que l’accord entre l’Union européenne et le Maroc prévoyant une libéralisation réciproque en matière, notamment, de produits de la pêche, ne s’applique pas au territoire du Sahara occidental. Si un bateau de militants sahraouis arraisonne un bateau de pêche marocain pour dénoncer le non-respect de cet arrêt, lequel est le pirate ?
Le problème de la notion de pirate concerne également les navires qui permettent aux migrants de se déplacer. Comment déterminer si le pilote d’un bateau illégal en direction des eaux territoriales françaises est un dangereux terroriste ou un être humain qui tente de protéger ses semblables ? Les kwassas-kwassas à Mayotte, qui « pêchent peu et amènent du Comorien », comme se plaît à le dire notre Président de la République…
M. Fabien Di Filippo. C’est scandaleux, inacceptable !
M. Jean-Paul Lecoq. …comment se placent-ils ? Est-ce que l’on peut leur reprocher, à eux, d’être des terroristes ou bien à M. Balladur qui a instauré un visa si difficile à obtenir que les ressortissants des Comores ne peuvent même plus traverser leur archipel pour se rendre à Mayotte voir de la famille ? Qui est l’agresseur ?
Greenpeace a également pu pâtir de cette ambiguïté sur la notion de piraterie lorsque, au tout début de 2013, une trentaine d’activistes de l’organisation non gouvernementale ont essayé d’escalader une plate-forme pétrolière russe dans l’arctique et ont été arrêtés et inculpés pour piraterie par la Russie. Heureusement, ce chef d’inculpation n’a pas été retenu plus longtemps, mais cette formulation permet de maintenir la pression sur eux et sur leurs méthodes militantes.
D’autres ONG ou associations protestent également en mer contre le massacre, par certaines entreprises ou des États peu scrupuleux, d’animaux marins protégés.
Terroristes pour les uns, défenseurs de l’humanité pour les autres : le concept de terrorisme n’est qu’une catégorie politique subjective qui sert à désigner un ennemi et cette convention ne contribue pas à clarifier cette notion. Dès lors, les États violents à l’égard des militants resteront impunis.
La question doit se poser de manière très sérieuse et faire l’objet d’une légitime réflexion aboutissant peut-être à ce que la France joue un rôle moteur en la matière.
Pour conclure, et même si le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera en faveur de ce texte, car il est symboliquement important que la France soit partie prenante de cette initiative internationale, il faut garder à l’esprit les failles béantes laissées par de telles conventions et inciter notre diplomatie à travailler à un avenir où le droit international maritime intégrerait la notion du militantisme en mer.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué le retard avec lequel notre commission a examiné les conventions internationales. Je souhaite vous interpeller sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, le CETA, qui est aussi une convention sur le commerce international. Notre assemblée a délibéré au mois de février 2017 et n’a pas autorisé son application avant que le Parlement ne l’ait ratifiée. Or, le CETA sera appliqué – certes partiellement, nous dit-on – à partir du mois de septembre alors que le texte n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement pour être discuté. Je vous demande donc d’agir au plus vite pour que le délai entre la ratification et l’application éventuelle du CETA soit le plus court possible de manière à ce que les Français puissent savoir ce qu’est vraiment ce traité international sur le commerce et, le cas échéant, empêchent qu’il n’entre en vigueur. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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