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Résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé - DG

La proposition de loi que nous examinons cet après-midi, défendue par la majorité, vise à permettre la résiliation à tout moment d’un contrat de complémentaire santé, que celui-ci ait été signé avec une mutuelle, une assurance ou un institut de prévoyance.
Je le soulignais à l’instant dans mon explication de vote sur la motion de rejet préalable, c’est vingt-quatre heures à peine après l’adoption en première lecture de la loi santé, qui fait la part belle aux ordonnances et aux décrets pour réformer notre système de soins, que nous sommes amenés à nous prononcer sur un texte qui n’a fait l’objet, comme cela a été dit, d’aucune concertation préalable avec les acteurs mutualistes, les syndicats et les associations d’usagers. La relégation des corps intermédiaires est devenue une habitude de la majorité.
Dans la même logique, le recours à une proposition de loi vous permet de vous soustraire à l’obligation de fournir une étude d’impact, alors que celle-ci aurait été bien utile afin de juger de l’efficacité de vos mesures pour le pouvoir d’achat des Français.
Nous ne pouvons souscrire à cette méthode, qui vise à légiférer dans la précipitation tout en faisant fi du dialogue social. Ces enjeux auraient mérité un débat serein et éclairé, d’autant plus que des doutes s’expriment jusque dans les rangs de la majorité sur le bien-fondé de vos mesures.
Dernier signe de votre impréparation : le rapporteur est venu corriger à seize reprises la version initiale de votre texte déposée sur le bureau de la commission des affaires sociales.
Sur le fond, quelle est l’ambition de cette proposition de loi ? Son objectif affiché est de faire baisser le coût des mutuelles et des assurances santé, qui a progressé ces dernières années, en accroissant la concurrence entre les organismes proposant des complémentaires santé. S’il est déjà possible de résilier annuellement sa complémentaire à la date anniversaire du contrat, votre texte entend ouvrir cette possibilité à tout moment après un an d’adhésion, comme c’est le cas pour les assurances habitation et automobile.
De prime abord, on pourrait penser que ce texte poursuit un objectif légitime, au moment où de plus en plus de Français renoncent à se soigner, en raison notamment des dépassements d’honoraires et des restes à charge qui en résultent. Pourtant, derrière le bel emballage d’un texte qui entend faciliter la résiliation des contrats complémentaires, se cache en réalité une proposition de loi dangereuse, qui rompt, selon nous, avec les mécanismes de solidarité. Plusieurs arguments, mes chers collègues, nous amènent à nous opposer fortement à la philosophie comme aux dispositions pratiques de ce texte.
Premièrement, il part d’un mauvais constat. Si les cotisations des complémentaires santé ont augmenté ces dernières années, c’est d’abord en raison d’un transfert progressif des prises en charge de la sécurité sociale vers les complémentaires santé.
Depuis les années 1980, les réformes successives visant à dérembourser ou à mettre en place des tickets modérateurs ont opéré un déplacement du public vers le privé en matière de couverture santé. Les chiffres sont sans appel : l’assurance maladie obligatoire couvre très bien les soins hospitaliers et les affections de longue durée, mais de moins en moins bien les soins de ville, notamment les soins optiques et dentaires ainsi que les prothèses auditives. De plus, si le coût des complémentaires a augmenté rapidement, c’est aussi en raison des prélèvements opérés par la puissance publique sur les mutuelles. Chaque loi de financement de la sécurité sociale est l’occasion pour le Gouvernement d’accroître les taxes sur les mutuelles, par le biais d’une augmentation de la taxe de solidarité additionnelle et de divers forfaits, afin de compenser le sous-financement de la branche maladie. Ainsi, plus de 14 % des cotisations prélevées sur les mutuelles sont reversées à l’État sous forme de taxes, ce qui provoque mécaniquement une augmentation des cotisations des assurés. De manière cynique, le désengagement de l’État dans les dépenses de santé aboutit donc à une hausse des dépenses des ménages. Et vous y répondez par plus de concurrence. Mauvais constat ; mauvaise solution.
Deuxièmement, ce texte procède à une confusion qui nous paraît dangereuse en mettant sur le même plan des assurances automobiles et des complémentaires santé. Nous ne pouvons pas traiter la santé comme un produit de consommation ou une marchandise comme les autres. Nous avons désormais un peu de recul pour démontrer que la promotion de la concurrence libre et non faussée pour répondre aux besoins sociaux est bien souvent un échec. Loin d’engendrer une baisse des prix, elle construit de manière certaine une économie de la rente, au détriment de la qualité des services rendus. Pour notre part, nous considérons que la santé est un bien commun qui doit échapper aux exigences de rentabilité et de lucrativité. Or votre texte contribue à soumettre un peu plus la prise en charge des soins aux logiques de financiarisation.
Troisièmement, renforcer la concurrence entre les organismes complémentaires remettra en cause le fondement solidariste sur lequel repose le mouvement mutualiste. Celui-ci a déjà subi des attaques ces dernières années et les assurances privées représentent aujourd’hui 30 % du marché de la couverture santé complémentaire, favorisées par la mise en place en 2013 des complémentaires santé obligatoires dans les entreprises. Dans un secteur de plus en plus concentré, votre texte ne fera que renforcer les mastodontes de la bancassurance, pour faire primer le fonctionnement assurantiel sur la logique de solidarité. Cela signifie qu’on abandonne ainsi le principe de la redistribution entre bien portants et malades ainsi qu’entre riches et pauvres, au profit d’une logique d’individualisation des risques en fonction de l’âge, de l’état de santé, des habitudes de vie de chacun. Voilà pourquoi votre proposition fragilise les solidarités.
Quatrièmement, la promotion de la concurrence risque d’accroître les inégalités sociales dans l’accès aux soins. Aujourd’hui encore, 5 % des Français n’ont pas de couverture complémentaire, et pour beaucoup de nos concitoyens le niveau de couverture santé dépend de leur capacité de paiement. Ce sont les plus hauts revenus qui ont les assurances qui les couvrent le mieux ; pour les autres, aller chez le dentiste, c’est financer de leur poche une bonne partie des soins. Votre proposition risque donc de profiter à une clientèle d’assurés solvables, c’est-à-dire plutôt jeunes, actifs et à faible risque, dans une logique purement assurantielle. En revanche, les assurés plus précaires ou plus âgés et à risque plus élevé seront défavorisés. Au final, la concurrence s’exercera sur la qualité des couvertures santé, sans effet notable sur les prix des complémentaires. À l’heure du grand débat national, dans lequel les préoccupations de nos concitoyens en matière d’accès aux soins ressortent fortement, il nous paraît imprudent de laisser espérer aux Français un hypothétique gain de pouvoir d’achat par un changement de complémentaire santé.
Il convient au contraire de donner une nouvelle ambition à la sécurité sociale. Nous proposons depuis longtemps la prise en charge à 100 % des soins prescrits par l’assurance maladie obligatoire, en commençant par les jeunes de moins de vingt-cinq ans. Nous pourrions également avancer sur la généralisation du tiers payant, réforme que le Gouvernement a mise sous le tapis dès sa prise de responsabilités. Voilà des propositions qui ont le mérite de la clarté et de la simplicité, et qui permettraient de lutter contre le renoncement aux soins.
Alors qu’il conviendrait de sortir la santé des logiques de marché, la proposition en discussion cet après-midi aggrave au contraire la privatisation rampante de la prise en charge des soins.
Pour toutes ces raisons, le groupe de la gauche démocrate et républicaine s’opposera à ce texte et soutiendra plusieurs amendements visant à supprimer les dispositions qu’il contient. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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