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Restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris

L’incendie qui a frappé Notre-Dame nous a toutes et tous émus. Il est un nouveau témoignage de la fragilité des choses que nous pensions insubmersibles. Il y avait une peur de voir s’effacer du paysage parisien Notre-Dame et, avec elle, une partie de notre histoire. Nous avons regardé, avec angoisse et admiration, les pompiers agir. La cathédrale n’est pas seulement une prouesse architecturale et un lieu de culte, c’est une œuvre, une conquête du ciel par des milliers de compagnons, pendant des dizaines et des dizaines d’années ; elle doit son existence à leur savoir-faire, à leur sacrifice parfois. C’est aussi une audace, dont la flèche construite au XIXe siècle et tombée en flammes témoignait. C’était enfin l’œuvre d’art sublimée et sublimant les écrits d’Hugo, de Nerval ou d’Aragon.

Cette cathédrale gothique est un chaînon de la conquête de la liberté.

Dans ces moments de tension, les mots prononcés et les premières décisions prises sont d’une importance particulière, car ils répondent directement à une émotion collective, française et même mondiale. Cela peut paraître futile quand les drames humains parcourent le monde et notre pays, et cette émotion qui nous envahit est presque surprenante ; mais il était indispensable de mettre des mots sur ce qu’il s’était passé, de rassurer et de donner une perspective sur la suite.
Les jours d’après auraient dû être ceux de l’apaisement. Notre-Dame, grâce à l’action des pompiers, était sauvée, et aucun blessé n’était à déplorer. Nous devions ouvrir à ce moment-là le débat avec les spécialistes sur les modalités de la reconstruction, en prenant le temps de faire les choses étape par étape, comme l’exige une cathédrale.

Mais il n’en a rien été ; la précipitation a pris le pas sur la raison, le président de ta République s’improvisant architecte en chef, décrétant un délai de cinq ans pour la reconstruction. Puis vient ce projet de loi, qui donne un cadre à la souscription nationale, mais qui va plus loin en proposant de déroger à tout un ensemble de règles protégeant notre patrimoine et notre environnement.

L’ensemble des spécialistes du patrimoine s’élèvent contre ce projet de loi, qu’ils jugent inutile pour la reconstruction et dangereux pour le précédent qu’il crée. Les tribunes se multiplient pour alerter sur le danger que représente cette précipitation. Mais le processus était déjà lancé, le Gouvernement reste sourd et la majorité, qui a d’abord un peu tenté de mener la fronde, s’en tient aujourd’hui à un comportement discipliné ; elle n’a d’autre choix que de suivre. Le Parlement est une nouvelle fois réduit à donner tout pouvoir à l’exécutif, par l’intermédiaire de deux ordonnances.

Aller vite, peu importe le prix : c’est votre mot d’ordre.

Les travaux en commission ont été particulièrement éloquents à ce sujet. L’article 9, qui autorise le Gouvernement à déroger aux règles en matière notamment de patrimoine, d’urbanisme et d’environnement, est particulièrement mal écrit ; les autorisations sont beaucoup trop larges, et il contient à chaque ligne une dérive potentielle.

Nous en sommes réduits à croiser les doigts pour éviter les catastrophes. Nous faisons face ici à une prétention vis-à-vis de l’histoire.

Les deux derniers articles, habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance, sont particulièrement préoccupants.

Le premier, l’article 8, autorise le Gouvernement à créer un établissement public afin de mener les travaux – mais vous avez dit, monsieur le ministre, que cet établissement ne serait peut-être finalement pas créé… On se demande à quoi sert alors ce projet de loi !

Tout cela ne doit pas nous faire oublier le problème de fond qui est celui des moyens publics consacrés à la conservation et à la rénovation de notre patrimoine.

Il convient de rappeler ici qu’il existe déjà deux établissements publics à caractère administratif chargés notamment de la rénovation des monuments historiques : le Centre des monuments nationaux et l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture. Ces deux établissements ont déjà mené des restaurations de grande ampleur et possèdent l’expertise suffisante pour conduire les opérations autour de Notre-Dame.

De plus, l’association du diocèse et de la mairie de Paris n’est pas sans poser des questions, voire des difficultés. Si une association naturelle se fait, car il s’agit d’un lieu de culte, elle ne peut aller plus loin que pour la gestion des autres cathédrales.

Concernant la mairie de Paris, il convient de ne pas lui ouvrir la possibilité d’effectuer certains travaux en dérogeant aux règles en vigueur. Notre-Dame ne doit pas devenir un prétexte pour passer outre les obligations légales.

Enfin, d’autres l’ont dit : nous nous étonnons de l’absence du ministère de la culture dans cet article. L’établissement public nouvellement créé doit être mis sous sa tutelle, comme l’est le Centre national des monuments historiques. Cette mise à l’écart du ministère et de ses fonctionnaires est incompréhensible, tant la reconstruction et la conservation de Notre-Dame relèvent de ses missions.

Comme je l’exposais précédemment, l’article 9 est à nos yeux le plus dangereux. Les députés du groupe GDR s’opposent fermement au projet de déroger aux règles d’urbanisme, de protection de l’environnement, de protection du patrimoine ou encore d’archéologie préventive.

Tout d’abord, ces dérogations ne sont pas indispensables à la reconstruction de Notre-Dame. Par le passé, des chantiers de très grande ampleur ont été menés sans s’en affranchir ; ces règles ne sont pas des obstacles, mais des protections, notamment du patrimoine, grâce à l’importance du rôle des architectes des Bâtiments de France et des conservateurs du patrimoine. L’archéologie préventive, dont la place a été renforcée par la loi du 7 juillet 2016, n’est pas non plus une contrainte, mais un élément indispensable à la connaissance de notre histoire.

Concernant l’environnement, la rédaction de l’article représente là encore un danger en ouvrant le champ à de nombreux abus dans les dérogations accordées. En effet, les mots « opérations connexes » sont insuffisamment précis pour circonscrire les dérogations aux seuls travaux directement liés à Notre-Dame.

Ce projet de loi traduit une méconnaissance profonde de ce qu’est le patrimoine ; plus qu’une ambition, ce que nous voyons, c’est une prétention de la part de l’exécutif et de sa majorité à se penser plus fort que le temps.

Enfin, en passant outre le code de l’urbanisme, le code de l’environnement, le code de la construction et de l’habitation, le code de la commande publique, le code général de la propriété des personnes publiques, le code de la voirie routière et le code des transports, le Gouvernement ouvre un précédent dangereux pour de futures opérations de rénovation et reconstruction. Redisons-le : ces règles sont des protections, mais elles n’interdisent pas l’audace.

Tout cela ne doit pas nous faire oublier le problème de fond qui est celui des moyens publics consacrés à la conservation et à la rénovation de notre patrimoine.

Les crédits dédiés à la protection du patrimoine sont pour cette année de 345 millions d’euros, soit moins que les dons des familles Pinault, Arnault et Bettencourt réunis. L’entretien du patrimoine dépend de plus en plus du mécénat ou d’initiatives que je qualifierai ici de « baroques », comme le loto du patrimoine. Une bonne réponse à l’incendie de Notre-Dame serait de remettre à plat la politique de conservation et rénovation du patrimoine, en lui allouant des financements qui répondent à l’intérêt général, c’est-à-dire des financements publics. Nous ne pouvons plus nous en remettre à la soi-disant générosité, souvent intéressée, des grandes fortunes pour entretenir nos monuments ; nous ne pouvons plus dépendre ainsi de leur bon vouloir.

Il y a quelque chose d’indécent dans les dons immenses des plus fortunés, qui pratiquent dans le même temps l’optimisation fiscale, voire l’évasion, et qui accumulent des milliards d’euros. Notre société est gangrenée par les inégalités ; sa cohésion est fragilisée par l’appropriation par quelques-uns des richesses produites par le plus grand nombre. Ce qui a suivi l’incendie de Notre-Dame en est un nouveau symptôme, où subitement l’argent apparaît selon le bon vouloir de quelques-uns.

À nos yeux, ce projet de loi traduit une méconnaissance profonde de ce qu’est le patrimoine ; plus qu’une ambition, ce que nous voyons, c’est une prétention de la part de l’exécutif et de sa majorité à se penser plus fort que le temps.

Rien n’empêche dans les textes actuels une reconstruction efficace de Notre-Dame ; les procédures d’urgence existent. Rien ne permet non plus de dire que les procédures classiques font perdre du temps. Les architectes des Bâtiments de France ou les différentes commissions ne sont pas là pour faire de l’obstruction ou pour ennuyer les pouvoirs publics. Ils sont des garants. Vous les avez déjà mis de côté lors de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN, et vous réitérez cette erreur aujourd’hui.

Chers collègues, les députés du groupe GDR ne voteront pas en l’état le texte qui nous est soumis aujourd’hui. Nous en dénonçons le contenu, qui fragilise notre patrimoine, et nous en déplorons la forme, qui met le Parlement au pied du mur avec un nouveau recours aux ordonnances. Il est encore temps de faire preuve d’humilité ; c’est essentiel.

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)

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