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Sécurité sociale : dossier médical sur support numérique portable sécurisé pour les patients atteints d’ ALD

Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il ne fait pas de doute que la proposition de dossier médical sur clé USB qui nous est faite aujourd’hui est une façon de relancer le dossier médical personnel, créé par la loi sur l’assurance maladie d’août 2004 et qui devait voir le jour en 2007, l’année même où, selon M. Douste-Blazy, alors ministre de la santé, l’assurance maladie devait revenir à l’équilibre. Je n’insiste pas.
Né sous de tels auspices, le DMP mérite amplement son surnom de « dossier mal parti ».
Il semble effectivement urgent de faire quelque chose pour le relancer. Mais mettre le dossier médical sur une clé USB ne nous semble pas la solution. Il est même à craindre que cela n’enterre le DMP.
Dans le principe, on ne peut qu’approuver l’objectif d’un dossier médical recensant toutes les données d’un patient et accessible aux médecins qui le suivent, même si, dès le départ, ce DMP repose sur une grave ambiguïté : est-ce un outil au service de la santé du patient ou un outil de contrôle au service de l’assurance maladie ? Le principal obstacle au DMP est-il une question d’outil ou tient-il plutôt au sens que l’on veut donner à cet outil ? Ces questions doivent être débattues et tranchées.
Bonne idée dans son principe, le DMP se heurte, dans la pratique, à des difficultés d’ordre technique et à d’autres ayant trait à la protection de la vie privée. Avant d’expérimenter l’hébergement de ce dossier sur clé USB, il est donc nécessaire de surmonter ces obstacles, car cette expérimentation ne le permettra pas, se contentant d’en ajouter de nouveaux.
D’ailleurs, cette nouvelle expérimentation s’inscrit, vous le savez, dans une longue série d’échecs. En 1985 et 1986 a été expérimentée la carte santé pour le centre hospitalier de Blois, les cliniques privées et les médecins libéraux environnants. En 1988, ce fut Santal, à Saint-Nazaire, puis la carte Vitale 2 avec son volet santé. Si l’on doit retenir une seule leçon de ces échecs successifs, c’est que, pour qu’un tel dispositif fonctionne, il faut non seulement qu’il soit au point techniquement, mais aussi que ceux qui doivent l’utiliser, les patients et les médecins, y trouvent un avantage, un intérêt réel.
Concernant le dossier médical sur clé USB, ces deux conditions ne nous paraissent pas remplies. On a vu que les défauts inhérents au dossier médical personnalisé concernaient également la clé USB, mais d’autres problèmes techniques viennent encore s’ajouter.
Les patients auxquels l’expérimentation de ce dispositif sera proposée sont des patients « lourds », en ALD, ayant par conséquent un dossier médical volumineux. Or la mémoire des clés USB ne semble pas suffisante à l’heure actuelle pour accueillir toutes les données de ces patients, notamment celles de l’imagerie médicale.
Par ailleurs, les contraintes de sécurité et de moyens financiers semblent antinomiques. Il est prévu que le dossier médical sur clé USB soit sécurisé par un dispositif biométrique. Il existe certes des clés dotées d’un lecteur d’empreintes digitales, mais elles coûtent cher, nettement plus que l’estimation avancée de huit euros pièce.
Enfin, il existe un risque non négligeable de contamination par des virus informatiques des ordinateurs dans lesquels seront insérées les clés USB.
À ces problèmes techniques s’ajoute celui de la nécessaire mise à jour du dossier. Il est prévu que seul le médecin traitant puisse ajouter des données au dossier médical de son patient, les médecins spécialistes n’ayant que la possibilité de lire ces informations. Or la mise à jour du dossier médical ne pourra se faire que dans le cadre de la consultation, puisque la clé USB sera transportée par le patient et que ses empreintes digitales seront nécessaires pour avoir accès aux données. Est-ce vraiment le rôle du médecin généraliste, déjà débordé de travail, de rentrer les résultats des examens complémentaires pratiqués par ses confrères ? Est-ce la conception que l’on se fait du médecin généraliste, « médecin de premier recours », sorte de secrétaire médical chargé de mettre à jour pour ses confrères spécialistes le dossier de ses patients ?
Cerise sur le gâteau : le médecin généraliste, seul habilité à transcrire les résultats des examens pratiqués par d’autres, assumera également seul la responsabilité en cas d’erreur de transcription, alors que sa salle d’attente est pleine et que le tarif de ses consultations n’est toujours pas revalorisé.
Ce dispositif n’apporte donc rien aux généralistes chargés de sa gestion, sinon du travail en plus. Aussi les chances pour qu’ils l’adoptent me paraissent-elles bien minces. Or, sans eux, c’est l’échec assuré.
Il existait bien un dispositif prévoyant l’obligation, pour le médecin qui y adhérait, de tenir à jour le dossier médical de ses patients. C’était l’option du médecin référent, par laquelle les médecins volontaires, contre une rémunération forfaitaire, s’engageaient notamment à respecter les tarifs conventionnés, à ne pas pratiquer de dépassements d’honoraires, à prescrire des médicaments génériques, à participer à des campagnes de prévention et, enfin, à tenir pour chaque patient un dossier médical informatisé. C’était une très belle expérience, et c’est justement la loi de 2004 sur l’assurance maladie qui, sous la pression des syndicats de médecins libéraux, a enterré cette option à laquelle 15 % des médecins généralistes avaient pourtant adhéré et qui se faisait progressivement une place.
Si cette option existait encore, elle constituerait une expérimentation pertinente, grandeur nature, nous permettant de croire en la faisabilité du dossier médical sur clé USB. Sans elle, les médecins généralistes ne donneront pas de leur temps précieux pour jouer les secrétaires, et ce dispositif sera un échec de plus.
Il appartient aux élus de définir les priorités. Or, dans le contexte actuel, où l’accès et la continuité des soins sont mis à mal, où les hôpitaux publics se voient soumis à des contraintes budgétaires incompatibles avec leurs missions de service public, l’expérimentation d’un tel dispositif, sinon voué à l’échec, en tout cas redondant avec le dossier pharmaceutique, ne me paraît pas une priorité. Bien au contraire, elle est incohérente avec la désignation récente, au terme d’un appel d’offres, du futur hébergeur du DMP. Nous devrions nous concentrer plutôt sur le dossier médical personnel en nous attachant à résoudre les difficultés qui lui font obstacle. Ne nous égarons pas dans un énième dispositif, inutile, risquant d’ajouter de nouvelles difficultés et, de surcroît, quoi qu’on en dise, stigmatisant pour certaines catégories de patients.
 

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Jacqueline
Fraysse

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