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Sécurité sociale : missions des services sociaux et transposition de la directive services

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en dépit de l’importance des services sociaux partout en Europe et de l’attachement des peuples à leur pérennité, lequel s’est manifesté par une mobilisation sans précédent pour infléchir la directive Bolkestein, la menace sur les services sociaux reste aujourd’hui entière.
Entre une terminologie communautaire confuse et un refus constamment affirmé par la Commission européenne de toute initiative susceptible d’aboutir à un texte transversal sur les services d’intérêt général, nos services sociaux ne sont pas à l’abri des règles de la concurrence du traité et de la logique libérale et mercantile qui le sous-tend.
Conscients de cette menace et animés par la volonté de protéger un élément fondamental de notre modèle social et républicain, les députés communistes, républicains et du parti de Gauche avaient déposé, le 9 avril dernier, une proposition de résolution européenne qui demandait notamment au Gouvernement français de saisir la Commission européenne d’une demande d’initiative sur les services d’intérêt général, qui reconnaisse pleinement les caractéristiques spécifiques des services sociaux et les protège explicitement contre l’application des règles de la concurrence.
Nous avions porté ce débat devant la représentation nationale le 28 mai 2009, dans le cadre de notre niche parlementaire. Cette intervention nous paraissait d’autant plus urgente que la directive services devait être transposée avant la fin 2009 et que le Parlement ne pouvait légiférer sans que le cadre juridique des services sociaux d’intérêt général ait été clarifié et stabilisé au niveau européen. Malheureusement, le Gouvernement n’a mené aucune action en ce sens pour protéger des règles de la concurrence les services sociaux d’intérêt général.
Aujourd’hui, alors que la date limite de transposition de la directive est dépassée, nous regrettons que la France, contrairement à d’autres pays, comme la Belgique, ait renoncé à l’élaboration d’une loi-cadre générale excluant clairement de son champ d’application les « services sociaux relatifs au logement social, à l’aide à l’enfance et à l’aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin ».
Le choix du Gouvernement de transposer la directive en plusieurs morceaux, en catimini, en évitant soigneusement le débat, témoigne de votre refus de défendre les services sociaux d’intérêt général, qui touchent aux fondements mêmes de notre pacte social.
Nous partageons le constat établi par la proposition de loi de nos collègues socialistes qui dénonce le manque de transparence du processus de transposition de la directive services et sommes animés par le même souci de protéger les services sociaux d’intérêt général.
Cependant, contrairement aux dispositions de la proposition de loi, nous pensons que la protection des services d’intérêt général nécessite une remise en cause du système libéral et nous voyons une contradiction à protéger les services sociaux d’intérêt général en s’appuyant, je cite la proposition de loi, « sur les dispositions protectrices contenues dans le droit européen pour sécuriser le fonctionnement des services sociaux » et sur les « nouvelles garanties offertes par le traité de Lisbonne [...] pour permettre aux autorités publiques […] de sécuriser les services d’intérêt économique général ».
La proposition de loi entend, en effet, intégrer les services sociaux de nature économique, je cite encore, « dans le champ protecteur des articles 14 et 106, alinéa 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que dans celui des dispositions de l’article 1er du protocole n° 26 sur les services d’intérêt général et de l’article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». Selon les auteurs, « l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne au 1er décembre 2009 contribue à renforcer la protection des missions d’intérêt général imparties à certains services qualifiés d’intérêt général, y compris aux services sociaux ».
Non, les dispositions du traité de Lisbonne ne peuvent protéger les services sociaux d’intérêt général des règles de la concurrence. C’est pour cette raison essentielle que nous avions voté contre le traité ; c’est aussi pour cette raison que la majorité du peuple français l’avait rejeté. Seuls les services non économiques d’intérêt général bénéficient d’une exclusion de principe des règles du traité, alors que les services d’intérêt économique général relèvent de l’application du droit de la concurrence, sauf « exception exceptionnelle ». D’ailleurs, la Cour de justice a retenu une définition très extensive de la notion d’entreprise chargée d’un service d’intérêt économique général. Elle estime que toute entité exerçant une activité économique, quel que soit son mode de financement ou son statut juridique, constitue une entreprise. Peu importe le but lucratif ou non de son activité. Un organisme sans but lucratif peut parfaitement être considéré comme une entreprise. En outre, elle considère que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché. C’est donc simple, pour les structures européennes, les services sociaux d’intérêt général, dans leur quasi-totalité, relèvent des activités économiques et sont donc soumis aux règles de la concurrence.
L’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne auquel se réfère la proposition de loi soumet d’ailleurs explicitement la mise en œuvre des services d’intérêt économique général aux règles des traités. L’article 106 du même traité, sur lequel s’appuient aussi les auteurs de la proposition de loi, précise que les services d’intérêt économique général « sont soumis aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, et ne peuvent y déroger que si cela n’entrave pas le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union ». De plus, « la Commission veille à l’application de ces dispositions », ce qui signifie qu’elle est seule juge de l’équilibre entre services d’intérêt économique général et concurrence, et des dérogations au droit de la concurrence. Or on sait que la Commission européenne a une vision étroite des services d’intérêt économique général et considère que les restrictions apportées aux règles du traité ne doivent notamment pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour garantir la bonne exécution de la mission.
Cette vision étroite des services d’intérêt économique général, conçue comme une exception non seulement encadrée, mais véritablement corsetée, au principe cardinal du « tout marché », n’est pas démentie par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à laquelle la proposition de loi, faussement naïve, se réfère également. Certes, son article 36 affirme que « l’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union ». Toutefois, cette énième pétition de principe est éclairée par le commentaire article par article du projet de charte établi par la convention, aux termes duquel cet article, qui se fonde sur l’article 16 du TCE, ne crée pas de droit en lui-même.
Un exemple récent de cette vision étriquée des services d’intérêt économique général témoigne de l’empiétement de la Commission, par le biais de l’erreur manifeste d’appréciation, sur la liberté des États membres de définir ce qu’ils estiment relever d’une mission d’intérêt général. Cette censure s’est notamment exercée aux Pays-Bas. Ainsi, la Commission, à l’occasion de la notification par le gouvernement hollandais de son système d’aide aux logements sociaux, a estimé que le service d’intérêt général du logement social devait établir un lien direct avec les ménages défavorisés et que la location de logements aux ménages autres que socialement défavorisés ne peut être considérée comme un service d’intérêt général. La preuve est ainsi faite que les dispositions du droit communautaire garantissent avant tout les valeurs marchandes et de concurrence et qu’il est bien naïf de vouloir s’appuyer, comme le fait la proposition de loi : « sur les dispositions protectrices contenues dans le droit européen pour sécuriser le fonctionnement des services sociaux ».
De même, contrairement à ce que prétendent les auteurs de cette proposition de loi, le protocole 26 sur les services sociaux d’intérêt général n’apporte aucune nouvelle garantie, aucune nouvelle protection pour les services sociaux d’intérêt général. En énonçant que « les dispositions du traité ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres pour fournir, faire exécuter et organiser » de tels services, le protocole se limite à rappeler la jurisprudence de la Cour de justice : les services non économiques d’intérêt général ne sont pas des entreprises et échappent, de ce fait, aux règles de la concurrence.
De manière générale, le traité de Lisbonne se contente donc de rappeler les règles existantes reposant sur la jurisprudence de la Cour de justice et n’apporte aucune inflexion susceptible d’esquisser une quelconque évolution vers une Europe plus sociale, plus solidaire et plus démocratique, contrairement à ce que voudrait faire croire cette proposition de loi.
Force est de constater qu’en dépit des déclarations d’intention au niveau communautaire, la notion même de service d’intérêt général a été l’outil de démantèlement et de casse de nos services publics en les soumettant à une concurrence inutile pour les usagers.
Nous considérons, pour notre part, que la question de la définition des services publics et de leur protection ne peut se poser indépendamment d’une remise en cause globale du modèle libéral tel qu’imposé par l’Union européenne.
Nous estimons que la proposition de loi du groupe SRC, si elle part d’une bonne intention, comporte une contradiction majeure. En effet, elle ne peut à la fois protéger les services sociaux d’intérêt général et s’appuyer, pour ce faire, sur les traités. C’est antinomique !
Nous l’avons démontré : aux termes des dispositions du droit communautaire, seuls les services non économiques d’intérêt général bénéficient d’une exclusion de principe des règles des traités, alors que les entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général sont soumises aux dispositions des traités, notamment aux règles de la concurrence. Sur le fond, aucun changement, aucune avancée en matière de services sociaux d’intérêt général n’a été apporté par le traité de Lisbonne, contrairement à ce qu’indique la proposition de loi.
Nous avons, pour notre part, une autre exigence pour les services publics, une autre exigence pour l’Europe et ne pouvons nous satisfaire de cette proposition. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre.
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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