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Société : allocation d’accompagnement d’une personne en fin de vie

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à créer une allocation journalière d’accompagnement des personnes en fin de vie est l’expression d’une volonté partagée par des députés siégeant sur tous les bancs de cet hémicycle. C’est peu courant, mais il en fut déjà ainsi en avril 2005 avec la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie.
L’unanimité, qui devrait se manifester une nouvelle fois, traduit probablement la volonté d’avancer avec humanité, discernement et responsabilité sur un sujet qui, aux ultimes moments d’une vie, touche chaque personne, indépendamment de toutes considérations partisanes.
Un constat s’impose cependant à tous. Nos concitoyens sont inégaux face aux risques sanitaires, inégaux quant à leurs conditions de vie et à leur espérance de vie. Si majorité et opposition s’opposent le plus souvent sur les moyens à mettre en œuvre pour réduire ces inégalités, qu’il soit au moins possible de se retrouver une nouvelle fois pour améliorer la condition commune face aux derniers instants, face à une vie qui s’éteint. Puisse la solidarité, qui a tant de mal à s’exprimer tout au long de la vie, se manifester au moins devant la fin de vie.
Solidaires devant la fin de vie : tel est le beau titre du rapport de la mission d’évaluation qu’ont conduite ensemble les quatre députés signataires du texte soumis aujourd’hui à l’examen de notre assemblée. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui, prolongeant et confirmant nos réflexions et propositions de 2005, ont abouti à la formulation des vingt nouvelles propositions contenues dans ce rapport pour mieux faire connaître la loi, renforcer les droits des malades, aider les médecins à mieux répondre aux enjeux éthiques et adapter l’organisation du système de soins aux problèmes de la fin de vie. Je veux simplement rappeler que leurs déclinaisons concrètes doivent toutes s’inscrire dans cette impérieuse nécessité de faire vivre « la solidarité devant la fin de vie. »
Cette conviction légitime ma détermination à ne pas accepter que, pour supprimer douleurs et souffrances, il faille impérativement supprimer le mourant et légaliser l’euthanasie, autrement dit ouvrir notre législation à un droit de tuer. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, quel que puisse être, par ailleurs, l’encadrement de ce droit. Les exemples étrangers montrent bien que nous n’échapperions pas aux dérives que, bien insidieusement, un tel droit faciliterait. Autre chose est, dans des cas très exceptionnels, la possible transgression à laquelle médecins, équipes soignantes et familles pourraient se résoudre après avoir considéré collégialement qu’il n’était humainement pas possible d’abandonner un malade à des douleurs ou à des souffrances réfractaires aux meilleurs soins.
Mes convictions me conduisent également à insister, davantage encore, sur l’absolue nécessité d’une diffusion de la culture palliative à l’échelle de la société tout entière, ainsi que d’une organisation efficace des soins palliatifs et de la formation de toutes les équipes soignantes sur l’ensemble du territoire. Chaque malade en fin de vie est en droit de l’exiger.
La force de cette solidarité devant la fin de vie se mesurera à l’aune des moyens qui seront mobilisés pour satisfaire au devoir humain d’accompagnement, c’est-à-dire pour améliorer l’organisation et la qualité de l’offre de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Sans ces moyens, l’opinion publique pourrait à nouveau devenir l’otage de l’émotion qui paralyse la raison et le discernement, lequel permet de comprendre que la demande de mort est le plus souvent, de la part du malade, l’ultime moyen d’interpeller son entourage, d’exister aux yeux de l’autre et, par là même, de lui rappeler que, même en fin de vie, reste vivace le désir de vivre un peu encore – vivre, c’est-à-dire conserver des relations avec l’autre, ces relations qui nous font personnes humaines.
Les très nombreuses auditions qui ont nourri la réflexion de la représentation nationale ont permis de prendre la mesure de la peur commune à toutes les fins de vie : la peur d’être abandonné, la peur de la solitude, la peur de constater qu’on ne compte plus pour personne, la peur d’être privé du lien qui nous relie encore aux autres et donc à la vie, la peur d’imaginer que pourraient disparaître les gestes et les mots qui apaisent.
La parole, l’expression d’une émotion, le sourire, le geste, premiers et derniers témoignages de la communication, délivrent aussi.
C’est pour ces considérations que les élus communistes, républicains et du Parti de Gauche soutiennent la proposition de créer une allocation journalière d’accompagnement de la fin de vie. Nous avons bien conscience qu’elle ne suffira pas à satisfaire toutes les exigences du devoir d’accompagnement mais elle y contribuera pour une part et pour cette part-là, si modeste soit-elle, mon groupe l’appuiera sans réserve.
Modeste, elle l’est en effet, puisqu’elle exclut du bénéfice de l’allocation journalière les cas très particuliers de malades qui, pour des raisons matérielles ou médicales liées aux contraintes techniques exigées par la qualité des soins, ne peuvent absolument pas quitter l’établissement hospitalier. Je pense en particulier à certaines situations en néonatalogie, en pédiatrie, à d’autres relatives aux malades en état végétatif chronique ; je pense aussi à ces familles, souvent parmi les plus vulnérables, qui, malgré leur ardente volonté d’accueillir près d’elles un ascendant en fin de vie n’ont pas, du fait de l’exiguïté de leur lieu de résidence, la possibilité matérielle de le faire. Autant d’exemples – on pourrait en ajouter bien d’autres – qui imposent de réfléchir aux possibilités d’élargir le bénéfice de cette allocation aux situations pour lesquelles la seule solution est le maintien de la personne en fin de vie dans un environnement sanitaire.
Mais peut-être, madame la ministre, y avez-vous déjà réfléchi et, dans cette hypothèse, c’est aussi sans réserve que nous soutiendrions un amendement du Gouvernement qui permettrait par exemple de définir par décret les cas de dérogations possibles au critère de l’accompagnement à domicile – lequel, à l’évidence, se révèlera trop rigide dans un certain nombre de cas.
Mais pour donner à cette proposition de loi sa pleine efficacité, il est impératif de prendre toute la mesure des propos tenus par le professeur Aubry lorsqu’il affirme, fort justement, qu’il serait « scandaleux de prétendre développer les soins palliatifs ou l’accompagnement des personnes en fin de vie à domicile sans soutenir une véritable politique d’accompagnement des aidants ».
En effet, comme le souligne le rapport de la mission d’évaluation, il existe encore, de nos jours, des conditions structurelles rendant difficile la pratique à domicile des soins palliatifs. Ce qui me conduit à confirmer une autre recommandation de ce rapport, à savoir que seule une augmentation notable des moyens financiers dévolus à la prise en charge des soins palliatifs à domicile, et particulièrement aux réseaux de soins palliatifs, pourrait entraîner un développement substantiel de ces soins. Mme Martine Nectoux, infirmière clinicienne, ne disait pas autre chose quand, au cours d’une remarquable audition devant notre commission, elle relatait l’une de ses expériences auprès d’une personne âgée exprimant une angoisse massive de mort qui aurait peut-être mérité une sédation : « Comment soutenir le regard de cette femme, alors que l’on sait que les moyens de soulager sa souffrance existent mais que le médecin ne se déplacera pas, que le réseau de soins palliatifs, doté d’un mi-temps médecin et d’un mi-temps infirmier, n’a pas la disponibilité dans l’instant et rappelle par ailleurs qu’il se fait un devoir de ne jamais prescrire à la place du médecin référent ? » Cela aussi, nous devons bien l’entendre !
Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut donner aux soins palliatifs les moyens nécessaires à l’accompagnement des fins de vie, c’est un devoir d’humanité. Pourtant, Madame la ministre, je suis inquiet de ne pas leur voir accorder les moyens de témoigner de leur efficacité partout et dans tous les cas. Cette inquiétude s’est renforcée lorsque, prenant connaissance de votre projet de loi portant réforme de l’hôpital, j’ai constaté que le mot « palliatif » n’y apparaissait pas une seule fois, Dans la définition même du service public hospitalier, la référence aux soins palliatifs avait disparu jusqu’à l’adoption d’un amendement d’initiative parlementaire. De plus, ce texte prévoit de supprimer la référence à la formation par les CHU à la prise en charge de la douleur des patients et aux soins palliatifs.
J’avoue ne pas avoir compris, mais peut-être vos réponses dissiperont-elles mon inquiétude et celle de tous ceux qui croient à la nécessité d’un développement significatif de l’organisation des soins palliatifs dans notre pays. Je le souhaite, et je vous écouterai dans quelques instants avec autant d’attention que de vigilance. (Applaudissements sur l’ensemble des bancs.)
 

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Michel
Vaxès

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