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Société : droit de finir sa vie dans la dignité

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi sera-t-elle l’aboutissement d’une succession de rendez-vous plus ou moins réussis mais au goût d’inachevé ? C’était la question que je me posais en écrivant le texte de mon intervention ; après avoir écouté la ministre, je doute que nous puissions avoir ce débat franc, sans arrière-pensées.
En 1999 – puisque vous parlez beaucoup des soins palliatifs –, c’est avec Gilberte Marin-Moscovitz que j’ai déposé la proposition de loi généralisant les soins palliatifs, improprement appelée depuis lors loi Kouchner. Je concluais en précisant que c’était un premier pas, avec la prise en charge de la souffrance physique, mais que cela ne devrait pas nous faire oublier les souffrances psychologiques et existentielles. Je souhaitais déjà que nous ouvrions le débat sur le droit de chacun à déterminer les conditions de sa fin de vie.
Aujourd’hui, nos concitoyens sont prêts à engager le débat au fond sur le droit de mourir dans la dignité mais le législateur que nous sommes n’a encore jamais véritablement osé. Comme souvent, nous sommes en retard sur la société et les mœurs.
Le second rendez-vous fut la loi dite Léonetti, dont tant se félicitent mais qui n’est, à mes yeux, qu’une étape ; cette loi a été écrite pour protéger les médecins, en reconnaissant la pratique de l’orthothanasie. C’était nécessaire ; cela demeure insuffisant.
Considérant que vous ne pouviez éluder le débat indéfiniment, puisque nos concitoyens sont prêts à le mener, je vous avais donné un nouveau rendez-vous et, en 2001, puis en 2003, j’ai déposé deux propositions visant à instituer le droit de mourir dans la dignité. Je considérais que le temps était venu de franchir le pas et d’accorder aux femmes et aux hommes cette dernière liberté, celle de choisir sa fin de vie ; sans doute espérais-je trop.
Dix ans plus tard, le débat s’ouvre. Sera-t-il le vrai débat sans arrière-pensée que nous attendons, que notre société attend ? Je continue maintenant d’en douter.
Dans notre pays, l’approche de la mort est, encore de nos jours, un domaine où ce qui peut rester de liberté et de droits à la personne n’est que très insuffisamment reconnu. Aujourd’hui encore, le suicide, qui reste la première cause de décès chez les 30-39 ans, est très souvent analysé comme une faiblesse psychologique. Celle-ci est mise en exergue par les opposants à cette aide au suicide. Pour eux, la demande de fin de vie est en elle-même tellement absurde qu’elle ne peut être que le fruit d’un esprit malade. La demande de fin de vie est, pour eux, le produit d’un mental diminué. La personne devient, à ce titre, non plus un citoyen doté de droits mais un patient, un sous-citoyen qui n’est plus totalement maître de lui-même. Tel un mineur, il devrait être protégé de sa propre volonté, viciée par la faiblesse de son mental. La société prend alors le relais et l’oblige alors à continuer de vivre contre son gré.
Notons aussi que, contrairement au droit pénal de pays étrangers comme l’Espagne ou la Suisse, notre code pénal ne fait aucune distinction entre la mort donnée à autrui par compassion et celle préparée et infligée dans la plus noire intention, qui est qualifiée d’assassinat. Pourtant, les juges, lorsqu’ils sont appelés à trancher, ont bien du mal ; ils rendent donc parfois des verdicts qui interprètent très fortement la loi.
Le développement des soins palliatifs depuis 1999 fut une remarquable avancée, qui doit être amplifiée ; plusieurs d’entre nous l’ont demandé. Mais d’autres y ont vu le moyen de fermer la porte à toute discussion sur l’euthanasie et le droit d’aider à mourir ; nous venons d’en avoir un nouvel exemple.
Puis, l’émotion suscitée dans le pays par la détresse de Vincent Humbert et par l’inculpation de Marie, sa mère, qui l’aida à mourir, a rouvert ce débat dans la société, mais certains, au fond, n’en voulaient pas : ils ont utilisé la loi de 2005 pour faire taire les interrogations de nos concitoyens et faire croire que nous avions répondu à la détresse humaine. Depuis lors, le dramatique et pathétique suicide de Chantal Sébire a ravivé l’aspiration au débat, car la loi de 2005 laisse sur le bord de la route toutes les personnes atteintes de maladies longues, douloureuses et irréversibles, qui vivent dans une profonde détresse physique mais aussi, souvent, morale, sans que leur survie dépende de la poursuite d’un traitement.
Pour vous qui avez utilisé la loi de 2005 afin d’éviter tout débat philosophique et moral sur la fin de vie et l’euthanasie, pour vous qui vous opposez, pour des raisons philosophiques ou religieuses, à ce qu’une personne soit en dernier ressort maîtresse de son destin et de sa vie, la vie est une réalité transcendante qui ne peut être laissée à la libre disposition de l’homme. Il est temps de sortir notre corps de l’emprise des religions et de la pensée théiste. Il nous faut en prendre possession définitivement, le laïciser et affirmer qu’il n’appartient à personne d’autre qu’à nous-mêmes.
Vous considérez que l’allègement des souffrances physiques par les soins palliatifs est une réponse suffisante, qui épuise l’ensemble des interrogations existentielles. Toute souffrance apaisée, il n’y aurait plus de volonté raisonnable de mettre fin à ses jours.
Vous cherchez également – je ne vous vise pas personnellement, madame la ministre – à impressionner, à faire peur à nos concitoyens en leur dressant un tableau digne du Soleil vert de Richard Fleischer, où nos hospices deviendraient le théâtre d’euthanasies à la chaîne, dans lesquels les familles viendraient se débarrasser de leurs vieux parents pour capter leur héritage. On ne recule devant rien !
Vous faites peur en pointant des excès que la loi permet justement d’écarter. Vous faites peur pour ne pas agir, mais la peur ne doit pas entraver notre pas. Nous devons donner espoir à tous ceux qui, aujourd’hui bien-portants, veulent avoir l’assurance que leur volonté sera respectée aux derniers instants de leur vie et qu’ils pourront partir comme ils ont vécu : dignement. C’est un message d’espoir que nous portons.
Nous sommes de plus en plus nombreux, en France, à considérer le droit de mourir dans la dignité comme le dernier droit de notre vie. Entre les soins palliatifs et la possibilité donnée de fixer le terme d’une vie devenue insupportable, il n’y a pas contradiction mais, souvent, complémentarité. Vouloir opposer, comme le font certains des acteurs des soins palliatifs, ceux-ci et l’assistance au suicide ou le geste euthanasique est une erreur inspirée par certains préjugés. Tel qui accepte avec reconnaissance des soins palliatifs peut bien, à partir d’un certain moment, souhaiter hâter une fin que sa conscience réclame et qu’il ne peut plus se procurer seul. Le moment est venu de venir en aide à celles et ceux qui sont dans une situation telle que leur volonté de quitter la vie est devenue plus forte que leur désir d’y demeurer encore quelques jours ou quelques semaines.
La question est de savoir si la mort est le droit ultime que la personne en détresse physique ou morale peut revendiquer. La mort volontaire peut être une manière appropriée de terminer une existence à laquelle l’être qui souffre ne parvient plus à donner une signification.
Je me réjouis que nos collègues du groupe SRC aient fait inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour car nous pouvons, mes chers collègues, voter sur un texte clair, et saisir enfin la chance d’accorder à nos concitoyens la liberté de ce dernier acte de volonté. Saurons-nous le faire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Jacques
Desallangre

Député de Aisne (4ème circonscription)
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