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Société : extension du chèque emploi

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi nous donne l’occasion de rendre un hommage appuyé au monde associatif.
En effet, s’il est vrai que le monde associatif peut être considéré comme un gisement de nouveaux emplois, il n’en demeure pas moins que nous devons aux personnes qui s’y investissent professionnellement un minimum de garanties statutaires.
Le principe du chèque emploi associatif permet aux associations à but non lucratif de faciliter leurs démarches administratives liées à l’embauche et à la rémunération de leurs salariés, car il se substitue au bulletin de paye et au contrat de travail. La seule condition jusqu’à présent requise est que l’association ne doit pas employer plus de l’équivalent de trois personnes à temps plein par an et ne pas les rémunérer au-delà de 1 607 heures chacun dans l’année.
Si elle est dans ce cas, toutes les formalités administratives seront simplifiées : déclarations et paiements des cotisations sociales, contributions au régime d’assurance chômage et aux retraites complémentaires et de prévoyance. L’unique interlocuteur de l’association est l’URSSAF.
La réforme proposée aujourd’hui prévoit de faire passer de 3 à 9 le nombre d’emplois équivalents temps plein par le biais des CEA.
Il faut bien admettre que cet instrument gratuit destiné aux associations, mis en place dans le but de leur permettre de vivre sans crouler sous les démarches administratives, est une bonne chose en soi, même si cette mesure avait été prise à l’époque – en 2003 – sans véritable concertation avec le milieu associatif, comme l’avaient d’ailleurs dénoncé alors mes collègues députés communistes.
Ce dispositif doit être vu comme un plus dans la mesure où il simplifie une bureaucratie souvent trop lourde à gérer pour les petites associations, qui ne bénéficient pas toujours de structure adéquate. D’autant que la plupart de leurs membres sont des bénévoles cumulant travail et bénévolat et que, pour eux, il est bien trop lourd de consacrer encore du temps à ces tâches fastidieuses.
D’ailleurs, les membres d’une association n’ont parfois pas la compétence pour le faire et doivent aussi suivre des formations, ce qui représente un investissement supplémentaire, tant sur le plan personnel que pécuniaire. À quand, du reste, le statut du bénévole ?
Je ne conteste donc pas l’utilité de ces chèques emploi associatif pour les petites associations, sans lesquels le projet même d’exister pourrait avorter à la seule pensée de la lourdeur administrative. Je suis cependant réservé sur l’extension de ce dispositif, qui présente une face cachée. S’il a beaucoup été question de ceux qui signaient les chèques, nous n’avons pas souvent évoqué ceux qui allaient les toucher.
En effet, pour les bénéficiaires de ces chèques, le statut reste précaire avec un grand flou concernant l’application d’une convention collective. Pour ce qui est de la retraite, hormis le fait que les heures rémunérées par le CEA sont comptabilisées dans le calcul de la retraite, cela reste très vague. Le calcul des droits à la retraite étant déjà très compliqué, le CEA n’apporte aucun éclaircissement en la matière.
Par ailleurs, puisque le CEA met en place une forme de précarité, est-il prévu une prime de précarité comme c’est le cas pour un CDD ? Non ! Ces chèques dérogent au code du travail, et ce n’est pas très rassurant. Le fait qu’il se substitue au bulletin de paie implique qu’il revient à l’employé de récapituler ses heures. Et le fait qu’il se substitue au contrat de travail reporte sur l’employé l’obligation de se renseigner ailleurs sur les dispositions qui entourent l’acte – sur le site de l’URSSAF, notamment. En définitive, c’est plus simple pour les associations, mais pas pour les bénéficiaires.
Je me demande donc pourquoi on cherche à accroître le nombre de bénéficiaires à temps complet du chèque emploi associatif quand la logique voudrait que l’on crée de vrais emplois, des emplois durables ?
J’imagine qu’à l’origine d’une association à but non lucratif, il y a une volonté d’exister qui réunit une poignée de bénévoles. Puis, l’association prospère car elle présente un intérêt avéré pour la collectivité et, de ce fait, requiert un mode de fonctionnement très organisé, plus complexe. Elle nécessite alors le recours à des tiers recrutés par le biais de ces chèques. Pourquoi pas ? Mais, au-delà de cet outil de première phase ou de complément, ce sont des carrières qui sont en jeu. Nul ne peut se contenter de demeurer dans la précarité.
Jean-François Lamour nous a expliqué que 31 % des salariés touchant des chèques emploi associatif étaient des jeunes de 20 à 29 ans.
Certes. Mais que faites-vous des 69 % qui restent ? Ce ne sont pas des étudiants et ils ont plus de 29 ans. Quel avenir pour eux ? Quelles perspectives de carrière ?
Le chèque emploi associatif ne doit pas permettre la mise en place d’une politique d’emploi précaire. L’utilisation de ces chèques doit venir en complément de postes à durée indéterminée car il ne s’agit pas d’empêcher la création d’emplois durables. Pourquoi ne pas imposer un certain nombre de postes en CDI pour accorder les CEA dans une moindre mesure ?
Je pense notamment aux associations des zones sensibles dont la vocation est d’aider les particuliers en matière d’insertion sociale et professionnelle. Quel paradoxe de constater que des personnes qui essaient d’insérer les autres ont elles-mêmes un statut précaire ! On leur doit bien plus que ça ! Je pense également aux associations qui répondent à des appels d’offre. Pour celles-ci, s’agissant de la gestion, la différence entre statut d’association ou d’entreprise est quasiment inexistante – association d’insertion, de formation, de gestion.
Pas toujours ! D’autant que ce doit être neuf salariés en équivalent temps plein.
La vraie question est de savoir si, par le biais de ces multiples entorses au code du travail, il ne s’agit pas d’inscrire la France dans un système légalisé où l’employeur pourra prendre et jeter son personnel à tour de bras. Ce genre de politique ultralibérale, qui existe outre-Manche, a pour conséquence l’insécurité de l’emploi et le désintérêt de la fonction puisque toute perspective de carrière, et donc de reconnaissance, est inéluctablement supprimée.
C’est en ce sens que je m’interroge sur le projet de Fadela Amara baptisé « Espoirs banlieue ». Elle annonce la création de plus de 45 000 emplois en trois ans dans une centaine de quartiers en difficulté, en concertation avec des acteurs associatifs, sans nous renseigner sur la nature de ces emplois. Mais ne s’agit-il pas là de remplacer un dispositif par un autre, subterfuge dont le Gouvernement est si coutumier ? Rappelons-le, sa volonté est de casser tous les statuts et d’enfoncer tous les salariés dans la précarité… Aujourd’hui, avec cette logique, la précarité rime avec le mot travail. Avec ce texte, les 45 000 emplois ne seront-ils pas finalement les plus précaires des emplois aidés ?
L’utilisation à outrance des CEA risque de flouter le calcul aboutissant à la baisse du taux de chômage. Car cela permet une embauche ponctuelle pour une mission ponctuelle sans nous renseigner sur la globalité, à savoir si cette mission peut être qualifiée d’emploi et être comptabilisée comme tel. Encore une fois, le Gouvernement, cherche à embrouiller les statistiques et à faire parler les chiffres en sa faveur.
S’il est vrai que le CEA présente un certain nombre d’avantages pour les associations, trop de zones d’ombre entourent ce dispositif aux promesses si alléchantes qui pourraient bien se révéler néfastes pour la politique de l’emploi.
Pour finir, la priorité pour les associations serait de faire en sorte qu’elles bénéficient enfin d’un système qui puisse leur garantir un mode de financement reconductible. Car s’il est vrai que les associations passent un temps fou à faire des démarches administratives pour le traitement de leur personnel, elles en passent plus encore à chercher des subventions, leur seul moyen de subsistance. Il faudrait réfléchir aux moyens qu’on pourrait leur donner. Du fait de la diminution des crédits publics au niveau du Gouvernement, avec les conséquences que l’on sait au niveau des régions, des départements et des communes, les associations ont de moins en moins les moyens de se financer.
À cet égard, je ne comprends pas pourquoi l’Assemblée interdit, depuis le début de cette législature – je n’ai pas connu les précédentes – qu’un député puisse accorder la moindre aide à une association.
C’est ce qu’on m’a dit indiqué en commission des finances, chère collègue. Mais je ne demande qu’à croire que c’est faux ! Je viendrai vous voir et vous m’expliquerez tout cela !
Vous l’aurez compris, nous pensons que, dans certains cas, ce dispositif peut être utile. Il est cependant très dangereux pour les acquis du monde du travail s’il est utilisé à outrance. Il sera donc nécessaire de bien suivre son application, monsieur le ministre. En attendant, notre groupe s’abstiendra sur ce texte, qui peut être utile aux associations mais dangereux pour le code du travail et le statut des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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