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Société : recherches sur la personne

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui revient aujourd’hui en seconde lecture à l’Assemblée nationale vise à fixer un cadre unique aux recherches sur l’être humain en définissant trois catégories de recherche en fonction du niveau de risque encouru par les personnes ; chacune dispose d’un cadre réglementaire bien différencié mais elles sont toutes soumises à l’avis obligatoire du comité de protection des personnes.
Il s’agit des recherches interventionnelles qui reprennent sans les modifier les dispositions actuelles des « recherches biomédicales », des recherches « visant à évaluer les soins courants » et des recherches non interventionnelles ou encore observationnelles.
Par cette réforme, ce texte entend relancer une recherche biomédicale française en perte de vitesse. Effectivement, la recherche en France se porte mal. Selon le professeur Philippe Even, ancien doyen de la faculté Necker et auteur d’un rapport sur les centres hospitalo-universitaires, si notre pays occupe la quatrième place mondiale en termes de recherche médicale – juste devant le Japon et l’Italie, mais très loin derrière les États-Unis, l’Angleterre et l’Allemagne –, la production française biomédicale rapportée à la population se place au douzième ou treizième rang mondial, loin derrière des pays comme Israël, la Hollande, les pays scandinaves ou le Canada.
Selon les auteurs de cette proposition de loi, la mauvaise santé de la recherche française est due à l’empilement de textes législatifs. Je doute qu’il s’agisse de la raison essentielle, même si, effectivement, on se trouve, là aussi, devant un millefeuille législatif avec, en sous-couche, la loi Huriet-Sérusclat de 1988, et par-dessus, les lois qui l’ont modifiée et complétée : la loi de 2002 relative aux droits des malades, la loi de 2004 relative à la politique de santé publique et celle de 2006 sur la recherche ; sans oublier la loi de 2004 relative à la bioéthique, qui doit d’ailleurs être prochainement révisée.
Dans ces conditions, n’aurait-il pas été cohérent et judicieux d’attendre ce moment pour discuter de ces dispositions ?
Compte tenu de la matière, des problèmes éthiques abordés, nous déplorons vivement que le Gouvernement n’ait pas choisi d’attendre la refonte d’ensemble des lois bioéthique.
Il s’agirait donc, par cette proposition de loi, de relancer la recherche biomédicale en simplifiant son encadrement législatif. Si cela devait suffire, on pourrait comprendre l’empressement à la faire adopter : déposée sur le bureau de l’Assemblée au début de l’année dernière, elle est adoptée sans coup férir quelques jours plus tard, puis transmise au Sénat qui fera preuve de la même célérité, et enfin à l’ordre du jour de notre assemblée. Lorsqu’elle sera adoptée définitivement, qui pourra affirmer que la recherche biomédicale française surpassera toutes les autres ?
Il faut souligner que les dispositions proposées constituaient à l’origine le chapitre IV, intitulé « Modernisation de la recherche clinique », de l’avant-projet de loi HPST. Nous sommes donc face à une singularité législative : une proposition de loi d’origine gouvernementale !
Par-delà ces remarques de forme, posons-nous la question de savoir si ce texte parviendra à favoriser la recherche tout en respectant l’impératif de protection des personnes. Je ne le crois pas car les dispositions concernant la protection des personnes apparaissent parfois en retrait par rapport à ce qui existe déjà. De plus, il entretient la confusion autour des missions des comités de protection des personnes.
D’après le rapporteur, les recherches non interventionnelles ou observationnelles ne disposeraient aujourd’hui d’aucun cadre législatif, ce qui « pénalise les chercheurs français qui veulent publier dans des revues scientifiques internationales, car celles-ci exigent l’avis d’un comité d’éthique ».
Cette proposition de loi propose donc de créer un cadre pour ces recherches qui seraient dorénavant soumises à l’autorisation préalable d’un comité de protection des personnes.
Je ne m’étendrai pas sur le fait de savoir si les recherches sur des cohortes doivent être considérées comme des recherches sur la personne. En revanche, je m’inscris en faux face à l’affirmation selon laquelle elles ne sont actuellement pas encadrées. Elles le sont, par la loi Informatique et liberté de 1978, dont le chapitre IX s’intitule précisément « Traitements de données à caractère personnel ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé. »
Les revues internationales exigent l’avis d’un comité d’éthique. Or l’article 54 de la loi Informatique et liberté a instauré un comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé, dont l’avis est obligatoire.
Son article 57 protège déjà les droits des personnes, puisqu’il prévoit que « les personnes auprès desquelles sont recueillies des données à caractère personnel ou à propos desquelles de telles données sont transmises sont, avant le début du traitement de ces données, individuellement informées de la nature des informations transmises ; de la finalité du traitement de données et des personnes physiques ou morales destinataires des données ». Elles disposent par ailleurs d’un droit d’accès et de rectification et d’un droit d’opposition.
Ainsi, avec ce texte, il est prévu en lieu et place de ces dispositions de solliciter un comité de protection des personnes choisi par les promoteurs des recherches. Non seulement ce comité est incompétent en matière de protection des données personnelles, mais ses missions ne sont pas clairement définies.
De surcroît, cette proposition de loi entérine le lent processus de détournement des missions initialement confiées à ces comités de protection des personnes.
Créés par la loi d’août 2004 sur la recherche biomédicale chez l’homme, les comités de protection des personnes ont initialement pour mission de veiller au respect des dispositions législatives et réglementaires qui s’appliquent aux recherches sur la personne. Ils ne sont donc pas à proprement parler des comités d’éthique. J’insiste sur ce point, alors que ce texte prévoit que les membres du comité de protection des personnes appelés à statuer sur un projet de recherche soient choisis par le promoteur du projet. Ces comités sont actuellement chargés de protéger les personnes sur lesquelles sont entreprises des recherches biomédicales, et non d’informer ou de conseiller les chercheurs ou de leur fournir l’avis dont ils ont besoin pour être publiés dans des revues internationales.
Si les chercheurs ont besoin d’une instance chargée de telles missions, il faut la créer et non détourner des siennes les comités de protection des personnes. Sinon, qui protégera les personnes se soumettant à des recherches biomédicales ?
J’ajoute que les comités de protection des personnes n’auront pas les moyens d’exercer les nouvelles tâches que vous voulez leur confier puisque, si ce texte prévoit bien d’accroître leurs missions, il n’en modifie pas le fonctionnement et ne prévoit pas de moyens supplémentaires.
Dans la précipitation, le Gouvernement a présenté, par l’intermédiaire de notre collègue Olivier Jardé, un texte important mais inopportun. Il n’est pas inutile pour autant, car une réflexion sur les attributions des comités de protection des personnes et sur la nécessité d’un véritable comité d’éthique distinct est essentielle. Elle dépasse le cadre de cette proposition de loi, et c’est plutôt dans celui de la révision des lois bioéthiques que doit s’inscrire une telle réflexion.
Un dernier mot pour revenir sur l’objectif annoncé de ce texte, à savoir relancer la recherche biomédicale en France.
Ce dont souffre la recherche biomédicale dans notre pays, c’est avant tout d’un manque de moyens. Les gouvernements de l’Union européenne se sont fixé un objectif de dépenses de recherche de 3 % du PIB en 2010. Avec à peine 2,1 %, la France en est encore loin. Il suffit de voir la situation de précarité dans laquelle se débattent de trop nombreux chercheurs qui doivent se contenter d’une bourse ne dépassant guère le niveau du SMIC et qui sont condamnés à enchaîner les CDD, pour mesurer l’importance du problème.
 
 

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Roland
Muzeau

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