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Société : service civique

Madame la présidente, madame la présidente de la commission, monsieur le haut-commissaire, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui invitée à débattre de la proposition de loi relative au service civique transmise par le Sénat, à la suite d’une initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.
D’emblée, je précise qu’au regard des questions importantes que cette proposition de loi soulève, en relation avec la jeunesse, l’engagement citoyen, la cohésion nationale, la mixité et le brassage culturel et social, les députés communistes et républicains, ceux du Parti de gauche sont évidemment intéressés par sa discussion. Néanmoins je tiens aussi à préciser qu’ils regrettent fortement d’y être contraints dans ces conditions.
Nous vous avons interpellé à plusieurs reprises pour exiger l’ajournement d’un texte dont l’adoption refermerait prématurément un débat naissant.
Depuis la suppression du service militaire, en 1997, une multitude de dispositifs visant la création de services civiques a été adoptée, le plus souvent dans l’urgence, en esquissant à peine les jalons d’une réflexion qui devrait s’engager sur la refonte d’un creuset républicain et déterminer les finalités et les modalités d’une période de vie qui pourrait être consacrée, avant la pleine entrée dans l’âge adulte, à un engagement au service de l’intérêt général.
Il y a quelques semaines, mon collègue François Asensi est allé jusqu’à vous proposer que ce débat mûrisse utilement dans le cadre d’une mission parlementaire réunissant les différentes tendances politiques, sans exclusive. Nous n’avons pas eu de réponse à ces interpellations et, de fait, nous constatons aujourd’hui que notre ordre du jour n’a pas été modifié.
Le Gouvernement a donc inscrit la discussion de cette proposition de loi dans le cadre d’une semaine d’initiative gouvernementale alors qu’il aurait normalement pu laisser cette possibilité à un groupe parlementaire. Ce choix témoigne tout à la fois de votre empressement et d’une volonté de reprendre à votre compte un texte qui vous offre l’opportunité, dans le cadre d’un ordre du jour législatif embouteillé, de mener une avantageuse communication
Je détaillerai un peu plus tard notre forte suspicion quant au fait que le dispositif proposé soit aussi l’occasion de masquer davantage le chômage massif de la jeunesse. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Le zèle du Gouvernement est encore plus manifeste à la lecture de l’ultime amendement qu’il proposera à notre discussion. Afin de permettre – selon son exposé sommaire – la « montée en puissance rapide du service civique », le Gouvernement envisage de ne pas attendre l’installation de l’agence, c’est-à-dire le 1er juillet 2010, pour délivrer les premiers agréments. Il prévoit aussi un « agrément temporaire de droit pour tous les organismes pour lesquels l’agrément ou le conventionnement de volontariat associatif ou de volontariat civil de cohésion sociale et de solidarité est valable au moment de la promulgation de la loi ».
C’est à se demander si la loi est nécessaire puisque l’on n’aura pas besoin d’attendre sa pleine mise en œuvre pour commencer à recruter ! Ce n’est pas vous, monsieur le haut-commissaire, qui me contredirez puisque, interrogé sur la date d’entrée en vigueur du dispositif, vous avez déclaré avant-hier à la presse : « Tout de suite, très vite » !
Nous croyons qu’un plan d’urgence contre le chômage et la désespérance de la jeunesse est nécessaire tout de suite et très vite, particulièrement dans les banlieues populaires.
Nous pourrions évidemment saluer les objectifs plutôt louables, en apparence, de cette proposition de loi relative au service civique, qui tend à unifier les principaux dispositifs actuels de volontariat sous un statut homogène et simplifié, afin de relancer un service civil volontaire qui n’a pas rencontré pour l’instant le succès escompté. Je rappelle qu’au lieu des 50 000 volontaires envisagés pour la fin 2007 seulement 6 298 ont été recrutés depuis la création de ce dispositif par la loi pour l’égalité des chances de mars 2006. La moyenne de 3 000 engagés par an, représente effectivement une part infime des 750 000 à 800 000 jeunes de la classe d’âge correspondante.
Nous pourrions aussi nous retrouver dans certaines des intentions affichées par les auteurs de la présente proposition de loi au Sénat : renforcer l’engagement au profit d’un projet collectif d’intérêt général, recréer du lien social, permettre à des jeunes, parfois à la recherche de repères, de s’engager au service des autres, de faire l’apprentissage de la citoyenneté et leur offrir ainsi de sérieuses perspectives d’insertion grâce à l’expérience acquise.
Nous constatons enfin sur le terrain une relative satisfaction tout à la fois des volontaires et des organismes qui les accueillent. Nous reconnaissons le formidable travail effectué par certaines associations qui cherchent à développer le service civique malgré le faible encouragement des pouvoirs publics.
Néanmoins force est de constater que le texte, depuis sa version initiale jusqu’à sa version modifiée par les travaux sénatoriaux puis en commission à l’Assemblée nationale, souffre de graves insuffisances.
La proposition de loi ne tire ainsi aucune conséquence de l’objectif qu’elle s’était assignée à l’article 1er : « Renforcer la cohésion sociale et de promouvoir la mixité sociale ».
Selon le dispositif proposé l’engagement de service civique restera volontaire. De mon côté, je soutiendrai un amendement destiné à rétablir l’article 1er AA, supprimé en commission, qui prévoyait qu’un rapport serait remis au Parlement avant le 31 décembre 2010 pour, après consultation des organismes, institutions et partenaires, dresser un état des lieux de la politique française « en matière de cohésion sociale et républicaine » et évaluer « le rôle qu’un service civique obligatoire et universel peut jouer dans sa préservation et son développement ».
Je comprends que donner un caractère obligatoire à un service civique n’est peut-être pas dans l’air du temps, mais cela reste à prouver, d’autant que cela pourrait constituer un droit nouveau pour la jeunesse. En Norvège, par exemple, au titre d’une sorte de service civil, environ 10 % des habitants ont passé une année de leur vie, entre dix-huit et vingt-cinq ans dans ce que l’on appelle des universités populaires qui leur ont permis de découvrir des environnements nouveaux, par exemple dans les domaines artistiques ou sportifs, à l’international ou autour d’un engagement social.
Mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, ont avancé une proposition intéressante, dans le cadre du débat qui s’est tenu au Sénat le 10 juin 2009 sur le service civique, selon laquelle la transformation éventuelle en service obligatoire devrait être décidée démocratiquement, c’est-à-dire soumise à référendum, et cela cinq ans après la mise en place de ce service. Ce référendum serait précédé d’un important débat national impliquant les élus, les parlementaires, les acteurs des services publics, les associations et organisations de jeunes et d’éducation populaire et, au-delà, chaque citoyen, en particulier les jeunes sur le contenu, la forme, l’organisation de ce service national. 
Cependant l’éventualité d’en faire un droit aurait un coût de l’ordre de 3 à 5 milliards d’euros par an, qui ne rentrerait alors pas dans l’enveloppe de 40 millions d’euros qui semble être celle qui vous est octroyée, monsieur le haut commissaire, pour la mise en place du dispositif, et des éventuels 500 millions d’euros lorsqu’il tournera à plein régime, dont le financement ne semble pas assuré à ce jour, mais peut-être allez-vous me rassurer.
Pourtant le Président de la République avait fait de la création d’un service civique obligatoire, je le rappelle, un engagement de campagne !
De plus, vous ne donnez aucune garantie quant aux moyens que vous mettrez en œuvre pour atteindre cette mixité sociale, à part de très vagues déclarations à la presse sur des quotas de jeunes peu diplômés.
Pour répondre aux critiques concernant l’information et l’orientation des jeunes vers le dispositif, vous proposez un amendement qui, tout en affichant de bonnes intentions, n’affiche aucun moyen en conséquence.
Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche formuleront l’exigence d’un « égal accès des citoyens au service civique » en défendant un amendement à l’article 4, mais ils attendent aussi de votre part l’inscription dans la loi d’engagements précis supplémentaires.
Ainsi nous défendons depuis longtemps l’instauration de ce que nous appelons un « service national de solidarité », dont nous avons détaillé les principes et l’organisation dans plusieurs propositions de loi déposées sous la précédente législature.
Pour l’essentiel, il s’agirait d’un engagement de six à douze mois, proposé aux jeunes femmes et aux jeunes hommes de dix-huit à vingt-cinq ans, y compris les résidents de nationalité étrangère. Il serait réalisé selon un projet élaboré avec l’intéressé au cours de la dernière année de sa scolarité ou dans les deux ans suivant l’obtention d’un diplôme d’études supérieures.
Il pourrait s’effectuer en France ou à l’étranger, dans des associations ou des structures publiques, dans les domaines de la défense, de l’action humanitaire, de la coopération, de la prévention, de l’aide à la personne, de la défense des droits, de l’éducation ou de l’environnement.
Il comporterait une période de formation de deux mois minimum, assurée par l’État. Cette formation offrirait d’une part les outils indispensables à la citoyenneté que sont une éducation juridique, une éducation à la santé, l’obtention du permis de conduire, mais également un accompagnement autour de l’orientation personnelle et professionnelle. Dans le cadre de la présente proposition de loi, nous demanderons, par le biais d’un amendement, que le temps consacré à la mission ne puisse excéder vingt-quatre heures par semaine pour permettre ce temps de formation.
Cette période serait validée pour la retraite et prise en compte dans tous les diplômes d’État et dans le cadre d’un processus de validation des acquis de l’expérience.
Elle devrait s’accompagner d’une allocation prise en charge, pour moitié par l’État et pour l’autre moitié par l’organisme d’accueil, qui ne pourrait être inférieure au seuil de pauvreté – nous y tenons beaucoup – soit 750 ou 900 euros, selon l’indicateur retenu, pour une personne seule, afin de permettre au jeune d’accomplir son service dans des conditions de vie décentes, mais aussi d’une véritable couverture sociale et d’une aide à l’insertion.
En comparaison, votre texte crée un statut de volontaire dès seize ans, ce qui nous semble particulièrement inadapté. Il exclut de son bénéfice les jeunes étrangers vivant en France depuis moins d’un an tandis qu’un jeune Français aura l’entier loisir d’aller effectuer un service civique à l’étranger. Nous n’apprécions que modérément la tentative, bien que visiblement avortée, de rétablir ce délai à trois ans, d’autant que notre groupe au Sénat en avait obtenu la réduction.
Nous déplorons aussi le fait que, selon un amendement de Mme la rapporteure adopté par la commission, le bénéfice d’un contrat d’accueil et d’intégration ne permet plus à un jeune étranger de déroger à cette condition.
Le service civique n’est entouré d’aucune garantie en termes de formation. Il ne s’inscrit pas dans le code du travail mais prévoit pourtant une durée d’engagement de quarante-huit heures par semaine pouvant être réparties sur six jours.
Le texte ne donne pas non plus d’indication sur les congés, ni sur la rémunération exacte du volontaire, qui sera variable.
Nous attendons un engagement important du Gouvernement à ce niveau, d’autant que nous n’aurons pas le loisir d’avancer de propositions puisque, contrairement à ce qui s’est passé au Sénat, la commission des finances a jugé notre amendement irrecevable au titre de l’aggravation des charges publiques.
Enfin, l’engagement de service civique n’offre plus d’obligation d’affiliation à la retraite complémentaire des volontaires tel que prévu dans la proposition de loi initiale. Là encore, nous regrettons que notre demande n’ait pas passé le barrage de la recevabilité financière alors qu’elle avait été discutée sans problème par les sénateurs.
Les manques du dispositif, ajoutés les uns aux autres, laissent entrevoir la création d’un statut très concurrentiel par rapport aux deux millions d’emplois salariés du secteur associatif, ce qui nous inquiète. Nous proposerons donc plusieurs amendements destinés à éviter la création d’un sous-salariat qui permettrait aussi de masquer l’aggravation du chômage et l’inaction du Gouvernement en la matière.
Aujourd’hui, ce dernier a refusé l’ouverture d’un large débat réunissant les acteurs associatifs, politiques, syndicaux et la jeunesse, afin d’aboutir à un projet ambitieux et réellement valorisant.
Compte tenu de l’écart important entre la proposition de loi qui nous est soumise, avec toutes les insuffisances que j’ai décrites, et notre conception d’un « service national de solidarité » destiné à la jeunesse, véritable opportunité, qui s’inscrirait dans un ensemble de droits nouveaux en faveur des jeunes en matière d’emploi, de formation, d’autonomie, d’accès au logement, de transports, de santé, de culture, les députés communistes, républicains et du Parti de gauche ne pourront pas soutenir en l’état ce texte, sauf si vous décidez de le modifier substantiellement.
Je regrette de contrarier le consensus annoncé par M. le Haut commissaire mais nous ne croyons pas aux miracles, même s’ils sont républicains.
 
 

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Marie-Hélène
Amiable

Députée des Hauts-de-Seine (11ème circonscription)
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