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Souveraineté de la Nouvelle-Calédonie

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, je vous livre l’intervention qu’aurait dû prononcer Marie-George Buffet. Puisqu’elle a eu un empêchement, je me fais avec plaisir son porte-voix.
Avec l’examen de ce projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, nous arrivons au terme du processus entamé avec l’accord de Nouméa signé en 1998. Il s’agit d’un accord de grande portée que nous devons aux Néo-calédoniens dans leur diversité. Cet accord a signifié, comme l’indique son préambule, que le moment était venu « de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière. » Il a reconnu la légitimité du peuple kanak, présent sur l’île avant la colonisation française. Telle est bien l’origine du mouvement qui s’est développé sur ce territoire, et dont nous envisageons aujourd’hui l’aboutissement : c’est la grandeur de cet accord que de le reconnaître.
On y lit ceci : « Lorsque la France prend possession de la Grande Terre, que James Cook avait dénommée « Nouvelle-Calédonie », le 24 septembre 1853, elle s’approprie un territoire […], elle n’établit pas des relations de droit avec la population autochtone. […] Or, ce Territoire n’était pas vide. La Grande Terre et les Îles étaient habitées par des hommes et des femmes qui ont été dénommés kanak ». On y lit aussi : « La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu’elle a privé de son identité. […] De grandes souffrances en sont résultées. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d’une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun ».
C’est en raison de cette colonisation que des femmes et des hommes se sont levés afin de faire valoir leurs droits et leur liberté d’être des citoyens et citoyennes à part entière. Ils se sont levés afin d’être respectés et de bénéficier à égalité des richesses de leur territoire. Le mouvement fut marqué par le massacre d’Ouvéa le 5 mai 1988 qui reste comme une plaie dans la mémoire de notre République mais nous gardons aussi en mémoire la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur lors de la signature de l’accord du 26 juin 1988. Dix ans plus tard, l’accord de Nouméa fut conclu in extremis, beaucoup s’en souviennent. Fruit de l’intelligence partagée des forces en présence dans le territoire et de la volonté de l’État de trouver une solution permettant à toutes les parties de se voir reconnues. Il résulta aussi d’une volonté politique commune à toutes les parties d’inclure toutes les communautés du territoire dans le processus de décolonisation.
Le 8 novembre 1998, cet accord a donné lieu à un référendum caractérisé par une forte participation s’élevant à 74 % des inscrits par lequel 62 % des Néo-Calédoniens ont approuvé sa ratification. Il a été suivi d’une longue période transitoire au cours de laquelle les compétences des assemblées et de l’exécutif de la Nouvelle-Calédonie ont été progressivement étendues. Néanmoins, si les aspects institutionnels ont été au cœur du débat politique, le bilan économique et social est quant à lui plus contrasté. L’accord devait en effet permettre le rééquilibrage économique et social entre les communautés et entre les différentes régions du territoire. Le résultat est mitigé. Les inégalités sociales liées à l’origine perdurent et la fragilité économique demeure. Les objectifs ne sont pas encore atteints en matière de formation, de qualification, de rémunération mais aussi d’infrastructures portuaire et aéroportuaire.
L’exploitation du nickel, ses retombées respectueuses du développement durable et le partage des richesses produites par le travail demeurent au cœur des débats. Il faut néanmoins souligner les réalisations menées par le territoire lui-même dans des domaines tels que l’éducation, l’aquaculture, le numérique, la santé, qui bénéficie du « Medipôle de Kiouto », ou encore le tourisme, la pêche et l’agriculture. Au terme du processus initié en 1998, nous pouvons mesurer ensemble le chemin parcouru et vérifier combien des choix politiques élaborés et contrôlés avec et par les personnes concernées sont porteurs d’avancées humaines et démocratiques. Nous mesurons ainsi que la politique est utile aux peuples dès lors qu’elle agit au service du bien commun.
L’accord de Nouméa précise qu’une consultation doit être organisée à l’initiative du Congrès de Nouvelle-Calédonie à la majorité des trois cinquièmes de ses membres. Si une telle majorité s’avère impossible à rassembler avant le mois de mai 2018, il appartiendra à l’État d’organiser la consultation avant le mois de mai 2019 dans les conditions prévues à l’article 77 de la Constitution. Au sujet de la consultation, le texte de l’accord est clair et prévoit « le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ». Dans ce cadre, le projet de loi qui nous est soumis traite de la composition et des pouvoirs des commissions administratives locales, de la mise en place d’une commission consultative d’experts et de l’inscription d’office de certaines catégories d’électeurs sur la liste électorale spéciale. Il s’agit là de sujets décisifs pour la poursuite du processus démocratique en Nouvelle-Calédonie.
Loin d’être techniques, les réponses proposées dans le texte assurent le nécessaire respect des forces en présence et tracent donc le seul chemin possible pour la dignité et le vivre ensemble de tous et toutes sur le même territoire. Le 26 juin dernier, lors de la session annuelle du comité spécial de décolonisation de l’ONU, M. Mickael Forrest, représentant du FLNKS, a fait état du nouveau consensus auquel est parvenu le comité des signataires extraordinaire du 5 juin et a conclu en ces termes : « Notre responsabilité aujourd’hui sera de concrétiser la construction de cette société […] avec plus d’équité et de justice dans le respect des valeurs mélanésiennes de solidarité, de partage et d’humilité ». Néanmoins, M. Forrest a aussi présenté à l’ONU une « demande d’assistance technique afin de disposer de listes électorales sincères et transparentes ». Lors de la même réunion, M. Wamitan, président du groupe UC-FLNKS et nationalistes au Congrès de Nouvelle-Calédonie, affirmait que l’objectif recherché était « un acte d’autodétermination honnête, transparent, crédible et incontestable » et émettait des doutes sur la capacité de l’État français à en être garant.
Il ne tient qu’à nous, représentation nationale, d’apporter par notre vote les garanties nécessaires. Si le texte initial présenté par le Gouvernement a suscité des oppositions, voire des manifestations des non-indépendantistes, la réunion du 5 juin et les amendements gouvernementaux qui en sont issus, adoptés par le Sénat, devraient rassurer toutes les parties sur les conditions démocratiques du référendum, en particulier concernant les catégories d’électeurs bénéficiant de l’inscription d’office. Des discussions se poursuivent au sujet du corps électoral restreint retenu pour les élections provinciales et de ses conséquences sur l’accès prioritaire à l’emploi local. Le comité du 5 juin a entamé un processus visant à résoudre ce problème et chacun ici comprend que de son dénouement dépend le caractère apaisé du référendum.
Nous ne sommes pas au terme de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, marquée par la colonisation, la lutte du peuple kanak pour sa dignité, la construction commune des communautés en présence pour avancer dans la paix vers le progrès et peut-être demain le choix majoritaire d’une pleine souveraineté. Le processus en cours est inédit. Nous voterons donc ce projet de loi organique, en appelant tous les acteurs, et avant tout l’État, à être les garants d’un bon déroulement, rigoureux et honnête, des futures opérations électorales et de la tenue du référendum lui-même. L’acte qu’il constitue est historique pour tous les peuples qui aspirent à exercer leur souveraineté et, en s’en portant garante, notre République est fidèle à ses valeurs. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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