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Taxe sur transferts de sportifs professionnels

Madame la ministre des sports, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, chers collègues, 222 millions d’euros, c’est le montant du transfert d’un joueur d’un grand club parisien et 180 millions d’euros, celui d’un autre. Au total, les transferts de ces deux footballeurs représentent trois fois le budget du Centre national pour le développement du sport – CNDS –, un budget amputé pratiquement de moitié par le Gouvernement il y a quelques semaines.
Alors, quand on constate ce fossé entre la situation de certains clubs professionnels, véritables bulles financières, et celle des clubs amateurs, on ne peut qu’être motivé, en tant que législateur, par l’envie d’agir pour plus d’équité.
Ne faisons donc pas l’économie d’un débat sur ces sujets ! Ce serait une grave erreur que de regarder, béats, la bulle inflationniste des transferts gonfler avec toutes les dérives dont elle est porteuse : inégalité dans la compétition sportive – la Ligue 1 de foot en témoigne – et mainmise sur le sport de fonds financiers incontrôlés avec toutes les pressions inhérentes sur les valeurs du sport. Le foot n’est pas qu’un marché : le foot est aussi porteur de valeurs.
Nous devrions, selon moi, débattre aujourd’hui de trois problématiques. La première est la situation du sport amateur en France et les difficultés auxquelles il fait face. La deuxième est le montant exorbitant et dangereux des salaires et transferts, qui ne cesse de croître depuis l’arrêt Bosman de 1995. La troisième est le lien entre les deux : comment s’assurer de la mise en place de mécanismes de financement solidaire des clubs professionnels pour le sport amateur ?
Le texte qui nous est proposé ne prend en compte qu’une partie du problème, mais il a le mérite d’ouvrir le débat et, surtout, je souhaite qu’il devienne un tremplin pour des mesures législatives plus complètes permettant de réguler le montant des transferts et d’assurer une meilleure redistribution vers le sport amateur.
Cette proposition de loi vise à taxer les transferts de sportifs professionnels à hauteur de 5 % des recettes brutes générées par le transfert et à affecter les recettes de la taxe au Centre national pour le développement du sport. Cela rejoint l’esprit de mutualisation de la taxe sur les droits de retransmission audiovisuelle pour abonder, à l’époque, le FNDS – Fonds national pour le développement du sport.
Nous sommes d’accord sur la nécessité de compléter les mécanismes de solidarité entre le sport professionnel et le sport amateur, même si l’on peut regretter l’absence de plancher dans ce texte et le fait que celui-ci ne différencie pas des situations financières très hétérogènes dans le sport professionnel, y compris dans le football professionnel.
Comme cela a été rappelé, des mécanismes de mutualisation existent déjà. Le CNDS bénéficiait l’année dernière de 39,3 millions d’euros au titre de la taxe sur les retransmissions. De plus, la Fédération française de football verse une contribution de 17 millions aux clubs amateurs, auxquels viennent s’ajouter les 15 millions du Fonds d’aide au football amateur.
Sur le plan international, la FIFA a aussi mis en place des mécanismes de redistribution depuis 2001. Ainsi, une taxe de 5 % est prélevée lors d’un transfert international pour être reversée aux clubs formateurs du footballeur transféré.
Enfin, et nous le savons tous, cette taxe ne sera véritablement efficace que si elle se construit au niveau européen. C’est une limite, mais elle n’est pas insurmontable. En effet – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – à plusieurs reprises la France a fait office de précurseur…
M. Jean-Christophe Lagarde. Tout à fait !
Mme Marie-George Buffet. …dans le domaine de la réglementation du sport et on a vu se diffuser par la suite ces mesures à l’échelle internationale ou européenne. Nous devons être conscients de la limite inhérente au champ d’application de la loi, mais en aucun cas cela ne doit nous lier les mains.
Nous sommes ici réunis pour prolonger les actions sur la régulation du sport professionnel, actions qui avaient déjà été soutenues dans la loi de 1999, et sur le financement du sport amateur. Mais dans ce même hémicycle, il y a quelques semaines, nous nous prononcions sur le budget de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». À travers ce rappel, je tiens à réaffirmer le rôle central de l’État et des collectivités territoriales qui souffrent de la réduction de leurs dotations dans le financement du sport.
Votre majorité a voté le budget des sports il y a quelques semaines – un budget en baisse de 7 % – et une amputation du budget du CNDS sans précédent. Il faut effectivement plus de mécanismes de redistribution entre le monde professionnel et le monde amateur mais si, dans le même temps, l’État se désengage de sa mission de promotion du sport pour tous et toutes, de ses responsabilités pour le haut niveau, de la construction d’infrastructures dans les territoires sous-dotés et s’il appauvrit les collectivités territoriales, cela ne servira pas à grand-chose.
Cette proposition de loi ne cherche pas à limiter le montant ni à réguler les transferts. Pourtant, nous devrions agir beaucoup plus fortement en ce sens. C’est d’ailleurs l’objet, me semble-t-il, de la rencontre qui a eu lieu mardi matin entre le Président de la République et le président de la FIFA pour que la France puisse défendre ces sujets sur le plan européen. J’invite donc les députés de la majorité et de tous les groupes à se saisir aussi de cette question et à faire entendre la voie de la France sur le plan international pour enfin remettre de l’ordre dans les transferts.
A l’arrêt Bosman, il faut ajouter l’arrivée de faux financiers, parfois même d’Etats. C’est pour cela qu’il faut plus de transparence, par une application stricte du fair-play financier de l’UEFA dans les clubs professionnels français, et plus de clarté dans la rémunération des agents.
Pour atteindre ces objectifs, le groupe GDR propose des amendements visant à réguler le montant des transferts des sportifs professionnels et à réaffirmer quelques principes éthiques. Bien sûr, en raison de l’ampleur de la tâche, un travail plus fourni devra être effectué afin d’identifier toutes les mesures à prendre pour mettre fin aux dérives.
Mais dès l’examen et, je l’espère, l’adoption de ce texte, nous pourrons limiter plus strictement la rémunération des agents des sportifs ou des clubs, rémunérations qui participent à l’inflation des transferts. Nous proposons ainsi de limiter la rémunération de l’agent à 6 % du montant total du transfert contre 10 % actuellement. Cet amendement est issu des recommandations du rapport d’information de l’Assemblée nationale de juillet 2013 portant sur le fair-play financier dans le football français. Cette disposition est également soutenue par la Fédération française de football, qui est consciente du danger que représente cette augmentation sans fin des transferts.
De plus, nous proposons de limiter le montant du transfert à 70 % du salaire total du sportif sur l’ensemble de son contrat. Cela s’inspire d’une des recommandations de l’étude de la Commission européenne publiée en février 2013.
À terme, le risque existe de ligues fermées, sur le modèle étasunien, et le lien entre les clubs les plus riches et le reste du monde sportif serait dans ce cas-là définitivement rompu.
Ce modèle, nous n’en voulons pas. Au-delà même de cet aspect financier, il y a aussi les enjeux éthiques. La transparence dans les transferts doit être considérablement améliorée, et les mécanismes de contrôle doivent être renforcés. On pourrait, par exemple, imaginer que tous les transferts passent par un compte de la ligue professionnelle : toutes les indemnités de mutation impliquant au moins un club français pourraient ainsi faire l’objet d’un contrôle. Sans assurer une transparence à 100 %, une telle mesure permettrait tout de même de l’améliorer considérablement.
Enfin, nous proposons d’inscrire dans le code du sport l’interdiction de conclure des contrats de travail en France avec un sportif professionnel dont une partie des droits est détenue par une société tierce, notamment par des fonds de pension. Ce système, en effet, est inacceptable et contrevient aux règles éthiques. Le syndicat international des footballeurs professionnels dénonce la détention de droits économiques par un tiers comme une forme nouvelle d’esclavagisme. Si cette pratique est interdite en France, il faut aller plus loin et inscrire dans le code du sport l’interdiction, pour les clubs professionnels, de conclure des contrats avec des sportifs soumis à ces montages financiers.
En conclusion, ce texte soulève un problème important et, même si la réponse proposée est lacunaire et sans doute trop imprécise pour répondre de manière efficace aux besoins de financement du sport amateur, d’une part, et de contrôle des masses financières du sport professionnel, d’autre part, elle a le mérite de mettre ces questions sur la table. Il nous revient donc de nous emparer de ces enjeux, en particulier de celui du financement du sport amateur par l’État et par la mutualisation des moyens dans le mouvement sportif national et international, et surtout de mener de véritables politiques publiques sportives, ambitieuses et ouvertes à toutes et tous.
J’étais impatiente d’examiner les amendements que nous avons déposés et j’envisageais, au terme de cet examen, de voter votre proposition de loi, monsieur le rapporteur. Je regrette donc profondément qu’une motion de rejet préalable ait été déposée, car elle nous empêchera d’aller au bout de ce débat.
M. Jean-Paul Dufrègne. Très bien !

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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