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Taxis et VTC

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues
Ces derniers mois, les taxis se sont mobilisés, en France comme dans plusieurs villes d’Europe, pour protester contre la concurrence croissante et déloyale des véhicules de tourisme avec chauffeur et les pratiques de la société californienne Uber, filiale de Google. En France, le ver est dans le fruit depuis la loi Novelli du 22 juillet 2009 qui a rebaptisé les véhicules de grande remise « véhicules de tourisme avec chauffeur » ou VTC, et ouvert à ces derniers la possibilité d’intervenir librement sur l’ensemble du marché de la réservation préalable.
Avant cette loi, les taxis détenaient de fait le quasi-monopole des activités de transport léger de personnes. Il existait concurremment des véhicules dits de « petite remise » ou de « grande remise », mais ceux-ci se positionnaient sur des marchés restreints, comme le haut de gamme ou les longs trajets, parfois même le transport des enfants handicapés.
La loi de développement et de modernisation des services touristiques a permis que se développe une économie parallèle du taxi. Si la loi maintenait sur le papier une distinction claire entre taxis et VTC, les VTC doivent être réservés et n’ont ainsi pas le droit de prendre des clients dans la rue. La souplesse tarifaire et la quasi-exonération de licences ont généré une explosion de l’activité des VTC.
De 2009 à 2013, nous sommes passés de 400 licences de « grande remise » à 300 entreprises de VTC et plus de 10 000 licences. Ce succès, le secteur des VTC le doit également, bien sûr, au développement des dispositifs de géolocalisation, qui brouillent la distinction entre taxis et VTC. Cette révolution numérique a joué un rôle central dans l’essor des VTC. Elle permet en effet à des sociétés comme Uber de proposer des applications qui contournent l’obligation de réservation préalable pour privilégier une forme de maraude électronique qui concurrence directement l’activité des taxis.
Afin de mettre fin à cette concurrence déloyale et assainir le secteur, Jean-Marc Ayrault avait confié à notre rapporteur le soin de conduire une mission de concertation qui a rendu son rapport au mois d’avril dernier. La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui est la traduction législative, malheureusement incomplète, des propositions formulées dans ce rapport.
Le constat, nous le partageons tous : il est indispensable et urgent de remédier aux déséquilibres et aux inégalités qui pénalisent l’exercice de l’activité de taxi et représentent une menace sérieuse pour la pérennité de cette profession réglementée, riche d’une histoire et d’une culture professionnelle qu’il faut défendre et préserver.
Si le développement des VTC ulcère les chauffeurs de taxi, ce n’est pas seulement en raison du décalage entre des conditions d’exercice très réglementées d’un côté et incontrôlées de l’autre, c’est aussi parce que la concurrence des VTC est une parfaite illustration des dérives de la dérégulation libérale et des risques sociaux qui s’y attachent. Violation délibérée de la réglementation, main-d’œuvre flexible, conditions de travail déplorables, faible participation aux cotisations sociales, optimisation fiscale : telles sont quelques-unes des graves dérives observées sur la dernière période.
La proposition de loi qui nous est soumise entend, au premier chef, rééquilibrer les conditions d’exercice des acteurs économiques du secteur, fixer des règles du jeu et un cadre commun à l’ensemble du transport routier léger de personnes. L’intention est louable. Nous tenons d’ailleurs au passage à saluer l’excellent travail conduit ces derniers mois par notre collègue.
Par contre, nous regrettons que la proposition de loi dont nous débattons soit en retrait sur certaines propositions formulées dans le rapport de la mission de concertation. Nous déplorons surtout que le texte normalise et banalise les VTC, que vous proposez d’ailleurs de rebaptiser « véhicules de transport avec chauffeur » au lieu de « véhicules de tourisme avec chauffeur ».
Si le vote de la présente proposition de loi doit aller de pair avec la fin du moratoire et la réouverture des vannes des immatriculations de nouveaux chauffeurs VTC, il est légitime de nous interroger sur la question de savoir si les mesures d’encadrement des VTC que vous nous proposez sont suffisantes.
En interdisant le cumul, pour un même conducteur, des activités de taxi et de VTC, en interdisant aux VTC toutes les formes de maraude, assimilables au racolage sans réservation préalable sous peine d’une amende de 15 000 euros et un an d’emprisonnement, comme le prévoit l’article 10, le texte propose, certes, des avancées mais celles-ci restent fragiles au regard de ce que l’on observe sur le terrain.
Le fait de sanctuariser le monopole des taxis sur le marché de la maraude dans leur zone de rattachement ne suffira pas à empêcher les VTC de continuer, sur le terrain, à stationner illégalement sur la voie publique ou à prendre des clients à la volée dans la rue.
Pour que les VTC se cantonnent au marché des courses avec réservation préalable, il faut des garde-fous plus solides. C’est dans cet esprit que le Gouvernement avait proposé un temps préalable de réservation de quinze minutes, un temps beaucoup trop court mais qui a été invalidé par le Conseil d’État.
D’autres propositions ont, depuis, été mises sur la table : instaurer un montant de course minimal pour les VTC, leur interdire le statut d’auto-entrepreneur, leur imposer un retour dans leurs bases arrières après chaque prestation. Nous avons, pour notre part, déposé un amendement visant précisément à ce que les VTC soient contraints, entre deux courses, de revenir à leur point de départ. Quelle que soit la solution ou la rédaction retenue, une chose est sûre : les chauffeurs de taxi attendent un engagement plus fort des pouvoirs publics pour que la séparation des activités soit effective et que les forces de l’ordre puissent effectivement sanctionner ceux qui, aujourd’hui, contournent impunément la loi.
Outre les interrogations que soulève l’absence dans le texte d’une définition précise et claire de l’interdiction faite aux VTC de stationner sur la voie publique sans réservation préalable, la proposition de loi souffre de quelques insuffisances.
La possibilité pour les VTC d’opter pour une tarification à la durée entretient ainsi la confusion avec l’activité de taxi. Nous vous proposerons donc, par voie d’amendement, que la tarification à la durée ne puisse intervenir que pour les prestations d’une durée supérieure à trois heures. De même, alors que le moratoire sur la délivrance des licences permettait pourtant d’entrevoir ou d’espérer une régulation des délivrances d’autorisation des VTC, le texte ne pose aucune limite aux immatriculations de VTC. C’est à nos yeux, là aussi, une grave insuffisance, d’où notre proposition de fixer annuellement un numerus clausus. Il est essentiel pour la sauvegarde de la profession de taxi et la viabilité de l’ensemble de ce secteur économique que les pouvoirs publics gardent la maîtrise du nombre de véhicules en circulation, sur le fondement d’une connaissance précise du marché. Or c’est l’une des failles majeures du système actuel.
Le texte propose par ailleurs une série de mesures plus spécifiques aux taxis. Vous proposez ainsi la création d’un registre public de disponibilité des taxis, ayant pour finalité le développement de services électroniques de géolocalisation. Vous suggérez aussi, ce qui nous semble assez superflu, que des signes distinctifs communs aux taxis, notamment une couleur unique, permettent de mieux les identifier.
Vous proposez ensuite, et surtout, l’extinction du statut de locataire taxi au profit des statuts de salariés et de location-gérance, un statut un peu moins défavorable aux chauffeurs que la location proprement dite. Cette mesure représente une avancée sociale indéniable, qui ne peut que contribuer à améliorer les conditions sociales d’exercice de la profession de taxi, alors que les contrats actuels placent les locataires dans des situations intenables, leurs charges fixes allant jusqu’à 4 500 euros par mois sans leur permettre de disposer des garanties de droit commun des salariés, notamment d’une assurance chômage.
Vous proposez par ailleurs de rationaliser l’attribution des licences gratuites de façon que celles-ci aillent par priorité aux chauffeurs exerçant véritablement le métier de taxi. Il s’agit, là aussi, d’une avancée appréciable, compte tenu des dérives auxquelles le système actuel ouvre la voie. Nous vous proposerons un amendement visant, dans le même esprit, à mieux garantir que les attributions aillent par priorité aux locataires, autrement dit aux chauffeurs les plus fragiles économiquement.
En conclusion, si la proposition de loi présente l’inconvénient majeur de normaliser et banaliser l’existence des VTC et présente des failles dans leur encadrement, elle propose par ailleurs des améliorations, comme la disparition du statut de locataire taxi. Elle représente quelques avancées indiscutables mais que nous ne jugeons toutefois pas suffisantes, en l’état, pour répondre aux préoccupations exprimées à maintes reprises par les chauffeurs de taxi, eu égard aux conditions d’exercice de leur profession, de la pression à la baisse des normes et des rémunérations qu’implique la concurrence agressive des VTC.
Du sort qui sera réservé à nos amendements dépendra donc notre vote final.

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Patrice
Carvalho

Député de Oise (6ème circonscription)

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